Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/04/2022

La destitution de cet homme est l’objet le plus important de cette affaire et le seul qui puisse nous délier les mains

... On peut le supposer à propos du czar Poutine, sans oublier qu'il ne règne pas avec une cour de saints, et que son élimination ne garantit pas d'avoir un.e démocrate à sa place . Dur dur de négocier avec l'ours oriental .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

29 Décembre 1766 (1).

Voyez, mon cher ange, si Homère n’avait pas raison de dire que le destin est le maître de tout.

Premièrement, c’est un étrange effet de la destinée que la femme de votre laquais Lejeune soit la sœur d’un homme qui aurait été peut-être maréchal de France, s’il eût vécu, et qui sûrement aurait mérité de l’être.

Secondement, c’est encore une grande fatalité qu’elle soit venue à Ferney. Mais en voici une troisième non moins forte.

Parmi soixante et dix mille scélérats en commission, qui sont employés à tourmenter la nation dans les bureaux des fermes, il y a entre autres un scélérat nommé Jeannin, revêtu de l’emploi de contrôleur du dernier bureau entre la France et Genève, dans un village nommé Saconnex. Cet homme m’a les plus grandes obligations ; j’ai empêché deux fois qu’on ne le chassât de son poste ; je lui ai prêté une maison, je lui ai prêté de l’argent. Lui et sa femme venaient souvent dîner à la table de notre maître d’hôtel. Il vit plusieurs fois cette pauvre Lejeune, qui n’avait point d’autre nom dans la maison ( car elle n’a pris le nom de Doiret qu’au bureau de Collonges, où elle a été arrêtée, à six lieues de Ferney, sur la route de Chalon.)

L’infernal Jeannin a été son confident ; il s’est offert de la servir, il l’a conduite lui-même de Ferney à Collonges dans mon carrosse, moyennant une récompense 1 ; et c’est là qu’il l’a trahie pour avoir, outre sa récompense, le tiers des effets qu’il a fait saisir.

Cet homme, pour être plus sûr de sa proie, et craignant que nous ne réclamassions le carrosse, les chevaux et les habits qui étaient dans les malles mêlés avec les papiers de madame Lejeune déclara que les papiers m'appartenaient, et Mme Lejeune eut la probité ou l’imprudence de dire, dans son trouble, que les papiers étaient à elle.

Nous ne savions point, quand nous avons commencé la procédure contre des quidams, que Jeannin était instruit du nom de Lejeune. Nous ne pouvons plus continuer la procédure contre ce misérable, trop instruit que madame Lejeune est la femme de votre valet de chambre, et qui ne manquerait pas de le déclarer en justice.

Il est d’une nécessité indispensable de commencer par faire révoquer cet homme ; il n’est pas de la province, et il n’y restera certainement pas. Il n’y a qu’à dire un mot à Rougeot, fermier-général, chargé de la ruine du pays de Gex ; il est de Dijon ; c’est un très bon homme. M. de Courteilles ou quelque autre peut prier M. Rougeot de renvoyer Jeannin sans délai. J’agirai de mon côté. Rougeot m’aime, et il est venu coucher souvent à Ferney.

La destitution de cet homme est l’objet le plus important de cette affaire et le seul qui puisse nous délier les mains. Car ce monstre, n’osant avouer son crime, n’a été qu’un dénonciateur secret, et il n’est fait mention de lui dans le procès-verbal de Collonges que sous le nom d’un quidam. Dès qu’il sera écarté, nous serons à notre aise, et nous informerons contre ce quidam sans nommer Jeannin. Ou si on le nomme, il ne sera plus à craindre 2.

Mme Denis persiste toujours dans la juste résolution de redemander ses chevaux et son carrosse ; car si elle consent à la saisie, elle s’avoue coupable, avec moi, d’un délit que nous n’avons commis ni l’un ni l’autre. Pour moi, je fonde mon innocence sur l’impossibilité morale que je fasse commerce de livres, et qu’à l’âge de soixante et treize ans je me sois fait colporteur pour faire fortune.

Tout ceci est horrible, je le sais, mon cher ange ; mais vous avez du courage et de la sagesse, et vous viendrez à bout de tout. Il y a dans la vie de plus grands malheurs ; il n’y a d’autre chose à faire qu’à les réparer ou à les supporter. Mon âme sera aussi à son aise dans un village de Suisse ou de Hollande que dans celui de Ferney, et partout où sera cette âme, elle adorera la vôtre. Je serais déjà parti, tout languissant que je suis, et je serais actuellement enfoncé dans les neiges, si je n’attendais pas de vos nouvelles . Je ne veux ni partir, ni mourir, sans en avertir mon cher ange.

V. »

2 Phrase ajoutée par V* sur le manuscrit .

Les commentaires sont fermés.