21/08/2022
On voit le doigt de Dieu partout
... Ouaff ! ouaff !!
« A Antoine-Henri de Bérault-Bercastel 1
11è mars 1767
Non-seulement, monsieur, celui que vous aviez chargé de me faire parvenir votre poème de La Conquête de la terre promise 2 ne m'a point envoyé votre bel ouvrage, mais il ne m'en a point parlé. Une longue maladie à laquelle j'ai été sur le point de succomber a été sans doute la cause de sa négligence .Mon ami ne m'a pas cru capable de juger des vers dans le triste état où j'étais .Je sens tout le prix de ce que j'ai perdu. Rien n'est plus poétique sans doute que les conquêtes de Josué, tout y est prodige, et les miracles font un effet d'autant plus admirable qu'on ne peut pas dire que l'auteur y amène la divinité, comme les poètes grecs qui faisaient descendre un dieu sur la scène, quand ils ne savaient comment dénouer leur intrigue. On voit le doigt de Dieu partout dans le sujet de votre ouvrage, sans que l'intervention divine soit une ressource nécessaire.
Josué pouvait aisément passera à gué le Jourdain, qui n'a pas quarante-cinq pieds de large, et qui est guéable en cent endroits; mais Dieu fait remonter le fleuve vers sa source, pour manifester sa puissance.
Il n'était pas nécessaire que Jéricho tombât au son des cornemuses, puisque Josué avait des intelligences dans la ville par le moyen de Raab la prostituée. Dieu fait tomber les murs, pour faire voir qu'il est le maître de tous les événements. Les Amorrhéens étaient déjà écrasés par une pluie de pierres tombées du ciel ; il n'était pas nécessaire que Dieu arrêtât le soleil et la lune à midi, pour que Josué triomphât de ce peu de gens qui venaient d'être lapidés d'en haut. Si Dieu arrête le soleil et la lune, c'est pour faire voir aux Juifs que le soleil et la lune dépendent de lui.
Ce qui me paraît encore de plus favorable à la poésie, c'est que le sujet est petit, et les moyens grands. Josué ne conquit, à la vérité, que dix-huit lieues de pays mais la nature entière est en convulsion pour le pays d'Éphraïm. C'est ainsi qu'Énée, dans Virgile, s'établit dans un village d'Italie avec le secours des dieux. Le grand avantage que vous avez sur Virgile, c'est que vous chantez la vérité, et qu'il n'a chanté que le mensonge. Vous avez l'un et l'autre des héros pieux, ce qui est encore un avantage. Il est vrai qu'on pourrait reprocher quelques cruautés à Josué, mais elles sont sacrées, ce qui est un grand avantage encore. Jugez, monsieur, quel est mon regret de n'avoir pu lire, dans ma terre non promise, votre poème sur la terre promise, qui me fait concevoir de si grandes espérances.
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. »
1 Antoine-Henri Bérault de Bercastel, né près de Metz vers 1720, mort vers 1800, est auteur de la Conquête de la Terre promise, poème, 1766, deux volumes in-8°, et d'autres ouvrages.
Voir : https://data.bnf.fr/fr/see_all_activities/13011353/page1
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine-Henri_de_B%C3%A9rault-Bercastel
L'édition Commentaire historique, très inexacte intitule la lettre : « Lettre à un ecclésiastique, auteur d'un poème épique sur la conquête de la terre promise, en douze chants, imprimés à Paris, chez Delain libraire rue Saint-Jacques en 1766, avec un privilège du roi ». L'édition de Kehl ajoute le nom de Béraud et la date , mais n'améliore pas le texte
Voir : lettre 6788 à l'abbé Bérault : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411361p/texteBrut
2 A. -H. de Bérault-Bercastel : La Conquête de la terre promise, 1766 : https://books.google.fr/books?id=VktaAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
Quoi qu'en dise V* cet ouvrage a dû lui être remis car il figure dans sa bibliothèque : https://c18.net/vll/vll_fiche.php?id_vo_vll=351
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