Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/05/2023

Je me doutais bien qu'il y avait là quelque friponnerie

... Par exemple ici : https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/immigrati...

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

16è octobre 1767

Je jure par tous les anges, et par la probité, et par l'honnêteté, et par la vérité, que je n'ai jamais écrit un seul mot de l'étrange et ridicule phrase soulignée dans la lettre de mon ange, du 8è octobre. J'ai écrit tout le contraire; j'ai écrit que le partage fait entre Mlle Durancy et Mlle Dubois devait être regardé comme mon testament, et qu'après ma mort, si elles n'étaient pas contentes de leur partage, elles pourraient lire « Le Testament expliqué par Ésope »1, et prendre chacune ce qui lui conviendrait.

Je me doutais bien qu'il y avait là quelque friponnerie. Comme ma lettre n'était point de mon écriture, il est très vraisemblable qu'on en aura substitué une autre, en ajoutant à mes paroles, et en me faisant dire ce que je n'ai point dit. Celui à qui je dictai ma lettre se souvient très bien qu'il n'y a pas un seul mot de ce qu'on m'impute. Je le somme devant Dieu de dire la vérité.



« Je proteste, devant Dieu et devant M. d'Argental, que je n'ai jamais écrit un seul mot de la phrase soulignée par M. d'Argental dans sa lettre du 8è octobre, laquelle commence par ces mots : Vous devez regarder ce qui s'est passé comme un testament mal fait. En foi de quoi j'ai signé, ce 16 d'octobre 1767 à Ferney.

« Wagnière . »



Si j'avais écrit à Mlle Dubois ce qu'on prétend que je lui ai écrit, elle m'en aurait remercié et c'est ce qu'elle n'a eu garde de faire. Cependant voilà Mlle Durancy sacrifiée par sa faute, et cela, pour avoir pris une résolution trop précipitée, pour n'avoir point confronté l'écriture, pour avoir mal lu, pour n'avoir point pris de moi des informations. L'affaire est faite , l'artifice a réussi. Ce n'est pas le premier tour de cette espèce qu'on m'a joué; c'est, Dieu merci, le seul revenant bon de la littérature. L'auteur du beau poème intitulé Le Balai et de La Poule à ma tante 2 s'avisa un jour de falsifier et de faire courir une lettre que j'avais écrite à M. d'Alembert 3, et de me faire dire que les ministres étaient des oisons, et qu'il n'y avait que la Poule à ma tante et le Balai qui soutinssent l'honneur de la France. Cette belle lettre parvint à M. le duc de Choiseul, qui d'abord goba cette sottise, et qui bientôt après me rendit plus de justice que vous ne m'en rendez.

Tout ce qui reste, ce me semble, à faire après cette petite infamie, c'est d'abandonner le théâtre pour jamais. Je mourrai bientôt, mais il mourra avant moi. Ce siècle des raisonneurs est l'anéantissement des talents ; c'est ce qui ne pouvait manquer d'arriver après les efforts que la nature avait faits dans le Siècle de Louis XIV. Il faut, comme le dit également Pierre Corneille,

céder au destin, qui roule toutes choses 4.

Pour moi, qui ai vu empirer toutes choses, je ne regretterai rien que vous.

Je me doutais bien que Mme de Grosley vous jouerait quelque mauvais tour; c'est bien pis que Mlle Dubois. Ces collatéraux-là ne sont pas votre meilleur côté.

Adieu, mon cher ange; achevons notre vie comme nous pourrons, et ne nous fâchons pas injustement. Il y a dans ce monde assez de sujets réels de chagrin. Tous les miens sont plus adoucis par votre amitié qu'ils n'ont été aigris par vos reproches. Comptez que je vous aimerai tendrement jusqu'au dernier moment de ma vie.

V. »

1 La Fontaine Fables, II, xx : Le Testament expliqué par Ésope : http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/testasop.htm

4 D'après Corneille, Pompée, ac. I, sc. 1 , vers 190 ; mais il faut lire torrent au lieu de destin .

Les commentaires sont fermés.