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18/06/2023

Par quelle fatalité déplorable faut-il que des ennemis du genre humain,...soient unis entre eux pour faire le mal, tandis que les sages qui pourraient faire le bien sont séparés, divisés, et peut-être, hélas! ne connaissent pas l'amitié ?

... Triste constat d'actualité et persistant .

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

[1] décembre 1767 1

J'attends demain une lettre de vous, mon cher ami ; ainsi je vous réponds avant que vous m'ayez écrit, car l'éloignement du bureau de la poste me force toujours de mettre un grand intervalle entre les lettres que je reçois et celles que je réponds.

Je n'ai encore rien reçu de Mme de Sauvigny, rien de M. le duc de Choiseul ; mais j'ai reçu un livre imprimé à Avignon, intitulé Dictionnaire antiphilosophique 2, qui est assurément très digne de son titre. Les malheureux y ont ressemblé toutes les ordures qu'on a vomies dans divers temps contre Helvétius et Diderot, et contre quelqu'un que vous connaissez. La fureur de ces misérables est toujours couverte du masque de la religion ; ils sont comme les coupeurs de bourses qui prient Dieu à haute voix en volant dans l'église.

L'ouvrage est sans nom d'auteur, le titre le fait débiter. Il y a des morceaux qui ne sont pas sans éloquence, c'est-à-dire l'éloquence des paroles car pour celle de la raison, il y a longtemps qu'elle est bannie de tous les livres de ce caractère. Trois jésuites, nommés Patouillet, Nonotte et Cérutti, ont contribué à ce chef-d’œuvre. On m'assure qu'un avocat a déjà daigné répondre à ces marauds, à la fin d'un livre qui roule sur des matières intéressantes 3.

Par quelle fatalité déplorable faut-il que des ennemis du genre humain, chassés de trois royaumes, et en horreur à la terre entière, soient unis entre eux pour faire le mal, tandis que les sages qui pourraient faire le bien sont séparés, divisés, et peut-être, hélas! ne connaissent pas l'amitié ? Je reviens toujours à l'ancien objet de mon chagrin : les sages ne sont pas assez sages, ils ne sont pas assez unis, ne sont ni assez adroits, ni assez zélés, ni assez amis. Quoi! trois jésuites se liguent pour répandre les calomnies les plus atroces, et trois honnêtes gens resteront tranquilles

Vous ne serez pas tranquille sur le compte des Sirven. Je compte toujours, mon cher ami, que M. Chardon rapportera l'affaire incessamment devant le roi. Il sera comblé de gloire et béni de la patrie.

Avez-vous lu L’Honnête Criminel ?4 Il y a de très beaux vers. L'auteur aurait pu faire de cette pièce un ouvrage excellent ; il aurait fait une très grande sensation, et aurait servi votre cause.

Je suis toujours très malade: je sens de fortes douleurs; mais l'amitié qui m'attache à vous est bien plus forte encore.

Bonsoir, mon digne et vertueux ami. »

 



1 Le manuscrit est daté du 11, date que Beuchot a judicieusement corrigée en 1(er). V* a écrit à Mme de Sauvigny le 18 novembre ou peu s'en faut, et le 2 décembre il annonce à Damilaville sa réponse : « Mme de Sauvigny, à qui j'avais écrit de la manière manière plus pressante, sans vous compromettre en rien, s'explique [,,,] »

2 Louis Mayeul Chaudon : Dictionnaire anti-philosophique, pour servir de commentaire et de correctif au Dictionnaire philosophique . Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6545729z

et : https://data.bnf.fr/fr/11896366/louis-mayeul_chaudon/

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis-Mayeul_Chaudon

3 Allusion probable au « Projet secret » imprimé à la fin des Lettres à son Altesse […] ; voir lettre du 4 octobre 1767 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/05/12/ces-marauds-la-ne-valent-pas-la-plaisanterie-il-ne-faut-poin-6442855.html

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