25/01/2024
Que le bon Dieu vous accorde de bons comédiens, pour amuser la vieillesse où l’un de vous deux va bientôt entrer, si je ne me trompe ; car il faut s’amuser : tout le reste est vanité et affliction d’esprit
... Meilleurs voeux pour le couple E. et B. M*** , Dieu reconnaîtra les siens .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
6 Juin 1768 1
Mes chers anges,
Vous voulez une nouvelle édition de la Guerre de Genève ; mais vous ne me dites point comment il faut vous la faire parvenir. Je l’envoie à tout hasard à M. le duc de Praslin, quoiqu’il soit, dit-on, à Toulon. S’il y est, il n’y sera pas longtemps, et vous aurez bientôt votre Guerre.
Que le bon Dieu vous accorde de bons comédiens, pour amuser la vieillesse où l’un de vous deux va bientôt entrer, si je ne me trompe ; car il faut s’amuser : tout le reste est vanité et affliction d’esprit, comme dit très bien Salomon 2. Je doute fort que le Palatin, qu’on veut faire venir de Varsovie 3, remette le tripot en honneur. J’attends beaucoup plus de ma Cateau de Russie et du roi de Pologne ; ce sont eux qui sont d’excellents comédiens, sur ma parole.
Je suis fâché que mon gros neveu le Turc veuille faire une grosse histoire de la Turquie 4, dans le temps que Lacroix, qui sait le turc, vient d’en donner un abrégé très commode, très exact, et très utile 5. Je suis encore plus fâché que mon gros petit-neveu soit si attaché aux assassins du c.d.L.B 6. Pour moi, je ne pardonnerai jamais aux barbares.
Écoutez bien la réponse péremptoire que je vous fais sur les fureurs d’Oreste . Elles sont telles qu’elles doivent l’être dans l’abominable édition de Duchesne, et telles qu’on les débite au tripot : mais vous savez que cet Oreste fut attaqué et défait par les soldats de Corbulon 7. On affecta surtout de condamner les fureurs, qui d’ailleurs furent très mal jouées, et qui doivent faire un très grand effet par le dialogue dont elles sont mêlées, et par le contraste de la terreur et de la pitié, qui me paraissent régner dans cette fin de la pièce. Je fus forcé, par le conseil de mes amis, de supprimer ce que j’avais fait de mieux, et de substituer de la faiblesse à de la fureur J’ai toujours ressemblé parfaitement au Meunier, à son Fils, et à son âne 8. J’ai attendu l’âge mûr d’environ soixante-quinze ans pour en faire à ma tête, et ma tête est d’accord avec les vôtres en faisant faire un grand carton par les frères Cramer et le savant Panckoucke qui a traduit Lucrèce assez platement 9.
Vous ne me parlez point, mon cher ange, de l’autre tripot sur lequel on doit jouer Pandore. J’ai tâté, dans ma vie, à peu près de tous les maux qui furent renfermés dans la boite de cette drôlesse. Un des plus légers est qu’on m’a cru incapable de faire un opéra. Plût à Dieu qu’on me crût incapable de toutes ces brochures que de mauvais plaisants ou de mauvais cœurs mettent continuellement sous mon nom !
Je vous souhaite à tous deux santé et plaisir, et je suis à vous jusqu’à ce que je ne sois plus. »
1 Original partiellement autographe à partir de qui a traduit Lucrèce ; édition de Kehl .
2 Ecclésiaste, I, 14 : https://saintebible.com/ecclesiastes/1-14.htm
3 Andrzej Mokronowski a été envoyé pour négocier avec la confédération de Bar ; on sait que le palatin ou voïvode est un haut dignitaire polonais. Voir : https://en.wikipedia.org/wiki/Andrzej_Mokronowski
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Conf%C3%A9d%C3%A9ration_de_Bar
4 Sur l’abbé Mignot et son Histoire de l'empire ottoman, voir lettre du 14 janvier 1767 au marquis de Florian : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/05/07/les-choses-dans-ce-monde-prennent-des-faces-bien-differentes-6380671.html
5 Sur cet ouvrage, voir lettre du 27 mai 1768 à Mme Denis : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/01/18/je-m-en-remets-entierement-a-vous-sur-tout-ce-que-vous-voudr-6480895.html
6 Le chevalier de La Barre, bien entendu .
7 C'est-à-dire par Électre de Crébillon . Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/07/jugement-eloge-de-crebillon-partie-9.html
8 Voir lettre du 10777 à Cramer ; V* écrit meunier, alors que Wagnière suit la prononciation locale de Genève et de la Bourgogne et écrit munier.
9 Voir lettre du 28 février 1767 à Panckoucke : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/08/02/tout-ce-qui-me-viendra-de-vous-me-sera-precieux-6394520.html
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