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20/10/2024

votre manière est de ne pas répondre aux choses dont vous ne voulez pas qu'on vous parle

... Ça me rappelle quelqu'un : E* M*** ?

Juste ?

 

 

« A Marie-Louise Denis

17è avril 1769

Je reçois, ma chère nièce, votre lettre du 17 avril . Je suis bien aise que M. de Lézeau vous ait tenu parole pour le passé . Mais il vous doit je crois actuellement deux années ou une au moins, en son propre et privé nom ; c'est ce que vous pourrez aisément vérifier . J'espère que vous ne serez pas moins contente de M. de Richelieu . Je veux que vous soyez heureuse quand j'ai renoncé à l'être . J'ai encore une petite fièvre toutes les nuits , qui est peut-être plus dangereuse que les onze ou douze accès violents que j'ai essuyés . Je n'ai fait aucune difficulté de communier dans mon lit lorsque j'étais en danger . Il y a une très grande différence entre nos philosophes se portant bien qui dédaignent dans Paris une cérémonie inutile et un vieillard malade qui est malheureusement célèbre, qui doit ne pas révolter les barbares dont il est environné, qui est forcé d'imposer silence à un évêque ultramontain, fanatique et persécuteur, qui doit surtout éviter un scandale désagréable pour sa famille et pour l’Académie française dont il est membre . J'ai donné même un exemple que tout bon citoyen suivra peut-être . J'ai déclaré que je voulais mourir et que j'avais toujours vécu dans la religion de mon roi et de ma patrie laquelle fait partie des lois de l’État . C'est la déclaration d'un honnête homme ; elle fait taire le fanatisme, et ne peut irriter le philosophe . Je trouve Boindin très ridicule de n’avoir point voulu se soumettre aux lois de son pays. Qu'a-t-il gagné par cette opiniâtreté ? Il a fait de la peine à sa famille et il a été jeté à la voirie 1.

Je présume que je pourrai vivre encore jusqu'à l'hiver prochain . Vous trouverez alors le Châtelard bien bâti et la terre dans le meilleur état possible .

Ma maladie m'a mis absolument hors d'état de travailler . Je me fais lire ; je vois mes ouvriers quand le temps le permet ; je me couche à dix heures précises, je ménage ainsi le peu de forces qui me restent .

On ne sait ce qu'est devenu Perrachon . Votre lettre est probablement perdue 2 . Vous pourriez aisément me mander ce qu'elle contenait, et me l’envoyer par M. Lefèvre .

J'avoue que ç'aurait été une consolation pour moi, et en même temps un grand amusement, si vous aviez pu faire réussir l'affaire de La Touche cette année . Peut-être en viendrez-vous à bout, personne n'en est plus capable que vous .

J'ignore le projet dont vous me parliez dans votre dernière lettre . Je suis tout dérouté quand vous me dites que vous n'aimez pas Paris 3. Vous avançâtes votre voyage de trois jours pour revoir vos parents, vos amis, les spectacles , et pour jouir de tout ce que la capitale peut avoir d'agréments, tandis que j'ai vécu dans une espèce de prison pendant une année entière . La solitude de la campagne est faite pour moi, pour ma situation, et pour ma mauvaise santé qui exige la retraite . Mais vous êtes encore d'un âge à goûter tous les plaisirs de la société . La vie que je mène serait un supplice pour vous . Enfin je ne puis concevoir le dégoût que Paris semble vous inspirer . Je ne puis le regarder que comme un dégoût passager qui s 'évanouira bientôt . Ouvrez-moi votre cœur, parlez-moi avec confiance ; soyez très sûre que je partage vos plaisirs et vos peines . J'imagine que vous pourriez louer l'appartement qu'occupait chez vous Mme Dupuits à quelque homme de lettres, dont la société serait pour vous un agrément de plus . C’est peut-être ce que vous auriez de mieux à faire .

J'ignore toutes les nouvelles . La gazette de Berne prétend que M. de Laborde est exilé 4, et je n'en crois rien . C'est un homme trop sage pour s'être attiré cette disgrâce . Mais je crains beaucoup pour ses actions de la caisse d'escompte . Je crois vous avoir dit que j'ai entre les mains presque le seul bien libre qui me restait . S'il lui arrivait un malheur j'en serais la première victime, et je serais bien embarrassé pour assurer quelque chose à votre neveu d'Hornoy par son contrat de mariage . Nos affaires avec le duc de Virtemberg sont dans la plus grande sécurité; mais tout ne sera arrangé que dans trois mois . Il me semble que je vous en ai aussi informée .

L'autre La Borde, premier valet de chambre du du roi, m'inquiète un peu . Vous ne m'accusez point la réception d'un paquet que je lui ai envoyé pour vous il y a trois semaines . Je ne reçois de lui aucune nouvelle . Il paraît ne plus songer à Pandore, c'était pourtant une belle fête à donner à la Dauphine 5.

On fait trois nouvelles éditions du Siècle de Louis XIV , à Leipsick, à Lausanne, et dans la ville d'Avignon. Celui qui a frappé ma médaille 6 s'appelle Wachter, il est sujet de l'électeur palatin .

J'ai répondu à tous les articles de votre [lettre ] . Il est inutile à présent que M. d'Hornoy passe chez la veuve Duchesne, elle a entièrement réparé sa faute . Renvoyez-moi, je vous prie, le petit billet pour Laleu afin que tout soit en règle . Je mets un ordre très exact dans toutes mes affaires . Mon âge et ma mauvaise santé l'exigent . Je vous embrasse avec la plus tendre amitié.

V. »

1 Nicolas Boindin, procureur et auteur dramatique, né en 1676, mort à Paris le 30 novembre 1751 . Voir lettre du 9 avril 1769 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/11/il-faut-etre-poli-et-ne-point-refuser-un-diner-ou-l-on-est-p-6518425.html

2 Dans la lettre du 26[30] mars à laquelle répond V*, Mme Denis demandait : « […] avez-vous reçu mon cher ami une grand lettre que je vous ai envoyée par Perrachon ? Il me semble que je vous dis bien des choses dans cette lettre . J'espère que vous m'y répondrez ( car votre manière est de ne pas répondre aux choses dont vous ne voulez pas qu'on vous parle ), mais je vous déclare que je ne resterai pas à Paris.[...] Quand vous voudrez savoir mon projet je vous le dirai .»

3 Voir note précédente, où Mme Denis fait une comparaison entre l'hiver à Paris et en Jura s'achevant ainsi : « Mon corps est ici, mais mon cœur et ma tête sont toujours à Ferney. »

4 Les Nouvelles de divers endroits du 12 avril 1769 rapportent en effet, dans une dépêche datée du 3 avril :'Le bruit a court depuis deux jours que M. de Laborde est exilé à sa terre de La Ferté dans le Perche. On n'en donne pas la raison . »

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