27/08/2012
j'ai été mordu par mon singe
... Et désormais c'est moi qui fait la grimace !
Sauf quand je suis mordu de Voltaire et de Mam'zelle Wagnière .
« A Madame de KLINGLIN, comtesse de LUTZELBOURG.
Aux Délices, 25 octobre [1756].
J'ai toujours mon rhumatisme, madame, et, de plus, j'ai été mordu par mon singe 1 le jour de la nouvelle, vraie ou fausse, de la défaite de votre armée. Je suis au lit comme un des blessés.
Pardonnez-moi de ne vous pas écrire de ma main. Je me porterai certainement mieux quand vous m'apprendrez que vos amis les serviteurs de Marie 2 ont fait un petit tour vers Berlin. Nous nous flattons au moins que le roi de Pologne est hors de danger et hors de chez lui. Il est bien triste que ce qui pût lui arriver de mieux fût de sortir de ses États. Il y a des gens qui prétendent qu'il va en Pologne armer la Pospolite 3 en sa faveur; mais la Pospolite fait rarement des efforts pour ses souverains, et leur fournit aussi peu de troupes que d'argent. Si vous avez quelques nouvelles, madame, daignez en faire part aux solitaires des Délices. Vous savez que les bords du Rhin sont plus près du théâtre des événements que les paisibles bords de notre lac, nous ne sommes encore bien informés d'aucun détail. Cela est triste pour ceux qui s'intéressent à Marie, et assurément, personne ne lui est plus attaché que moi depuis trois ans 4. Mais je vous le suis bien davantage, madame, et depuis plus longtemps. Mille tendres respects aux deux dignes amies 5. »
1 Singe que V* avait nommé Luc, -surnom donné à Frédéric II,- et dont je vous laisse trouver l'anagramme peu flatteuse .
2 Marie-Thérèse d'Autriche . Voir lettre du même jour à Jean-Robert Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/
3 Réunion générale de la noblesse polonaise pour aller à la guerre; mais son service n'était pas obligatoire plus de six semaines, ni à plus de quatre lieues hors des frontières. (Beuchot.)
4 C'est-à-dire depuis le mois de juin 1753, époque où Voltaire, opprimé à Francfort, n'avait pas inutilement imploré la protection de la cour de Vienne. (CL.)
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26/08/2012
il y a des temps où c'est un grand bonheur de sortir de chez soi
... Ne serait-ce que pour se prouver qu'on n'est pas complètement rouillé .
« A M. Jean -Robert TRONCHIN, de Lyon
Délices, 25 octobre [1756].
Vous savez qu'on prétend que le roi de Pologne a échappé 1 à ce diable de Salomon du Nord, il y a des temps où c'est un grand bonheur de sortir de chez soi. On ajoute que les housards de Nadasti vont droit à Berlin 2 par le plus court mais on n'est encore bien informé de rien, pas même de la bataille du 1er. 3
Voilà un premier acte de tragédie embrouillé et sanglant, toute la pièce sera dans ce goût. J'aime mieux votre théâtre de Lyon. »
2 Berlin sera mise à contribution par Marie-Thérèse d'Autriche qui contrôlera la ville une journée seulement . Voir page 43 et suiv. : http://books.google.fr/books?id=hXhHAAAAYAAJ&pg=PA365&lpg=PA365&dq=housards+de+nadasti&source=bl&ots=l0Arnia0Bk&sig=-mFL-NEq8EUw_2ZNaqvAGQJkMWM&hl=fr#v=onepage&q=nadasti&f=false
3 Bataille de Lobositz : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Lobositz
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Voilà déjà environ vingt mille hommes morts pour cette querelle, dans laquelle aucun d'eux n'avait la moindre part. C'est encore un des agréments du meilleur des mondes possibles.
... Ce qui me peine quand je pense à ces soldats (Français et autres ) envoyés se mettre entre l'arbre et l'écorce, entre les fanatiques et les partisans de la démocratie et de la liberté , se faire trouer la peau en vain .
Mais comme dit Volti, c'est " l'un des agréments du meilleur des mondes possibles" ! Humour noir !
Le meilleur des mondes possibles voit le nombre de ses humains fantômes s'augmenter trop rapidement .
« A Madame la duchesse de SAXE-GOTHA
Aux Délices, 22 octobre [1756].
Madame, il ne reste à moi, pauvre perclus, que la liberté de la main droite pour remercier Votre Altesse sérénissime. Je connais tous les manifestes du roi de Prusse. Le meilleur, à ce qu'on dit, est une bataille gagnée au commencement du mois, vers les frontières de la Bohême. Voilà déjà environ vingt mille hommes morts pour cette querelle, dans laquelle aucun d'eux n'avait la moindre part. C'est encore un des agréments du meilleur des mondes possibles. Quelles misères, et quelles horreurs! La meilleure de toutes les demeures possibles est certainement celle de Gotha, et je sais bien quelle est la meilleure des princesses possibles.
Conservez, madame, la paix de vos États, comme vous conservez celle de l'âme. Je suis toujours dans cet ermitage si précieux pour moi, puisqu'il a été habité par un prince 1 dont le souvenir m'est si cher. Je crois ses frères déjà en état de faire goûter à leur mère le plaisir de voir leurs progrès. Je serai attaché pour jamais à cette auguste famille. Je m'intéresse bien plus à Gotha qu'à Pirna 2.
Je supplie la grande maîtresse des cœurs de répondre de mes sentiments et de mon profond respect pour Votre Altesse sérénissime. »
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25/08/2012
Pendant que Tronchin conserve la vie à trois ou quatre personnes, on en tue vingt mille en Bohême.
... Nombreux sont les Tronchin-Esculape qui sauvent des vies, plus nombreux encore sont les tueurs d'humains , hélas ! Quand donc verra-t-on la disparition de ces assassins, avec ou sans uniforme ? Quand les chefs/dirigeants/rois/présidents nuisibles seront-ils seulement un mauvais souvenir ?
J'ose dire avec Volti , mince consolation : "J'ose encore espérer qu'il y a des hommes plus puissants que moi qui seront moins heureux que moi ", mais je ne citerai pas de noms .
Lueurs d'espoir au fil de la vie
« A M. THIERIOT.
Aux Délices, 14 octobre [1756].
Si Mme de La Popelinière n'est pas guérie cet hiver, il faut que son mari lui donne un beau viatique pour aller trouver Esculape-Tronchin au printemps. Dieu lit dans les cœurs, et Tronchin dans les corps. Il a ressuscité deux fois ma nièce de Fontaine, il a guéri une gangrène de vieillard. Mme de Muy 1, qui est arrivée mourante à Genève il y a trois mois, a des joues, et vient chez moi coiffée en pyramide. Il me fait vivre. Venite ad me, omnes qui laboratis 2. Ce sont là de vrais miracles, mais ils sont aussi rares que les faux ont été communs. Je me flatte que Mme de La Popelinière sera du petit nombre des élus.
Pendant que Tronchin conserve la vie à trois ou quatre personnes, on en tue vingt mille en Bohême. Je ne sais pas encore le détail de la grande bataille 3. Les relations sont différentes. Il parait vraisemblable que notre Salomon est vainqueur. Heureux qui vit tranquille sur le bord de son lac, loin du trône et loin de l'envie ! Mettez-moi à part, je vous prie, un Derham 4 et les Mémoires 5 de Philippe V. Je vous demanderai d'autres livres à mesure que les besoins viendront, et vous enverrez la cargaison par la diligence, afin de n'en pas faire à deux fois. Je suis très-sensible au soin que vous avez la bonté de prendre.
Vous me parlez de vers qu'on m'attribuait n'est-ce pas une petite pièce qui finit ainsi
Votre bonheur serait égal au mien ?6
Ils ont plus de cent ans, et ils ont été faits pour le cardinal de Richelieu.
Je ne suis pas fâché d'être loin du centre des faux bruits et des tracasseries. J'ose encore espérer qu'il y a des hommes plus puissants que moi qui seront moins heureux que moi.
En vous remerciant, mon ancien ami, de m'avoir procuré le plaisir de pouvoir être auprès de notre docteur le commissionnaire d'une personne 7 dont je voudrais rendre la vie longue et heureuse.
Si vous avez des nouvelles, Candidus imperti
Vale, amice. »
1 Née Hennin-Liétard, mariée, en 1744, au marquis de Muy, nommé lieutenant général en 1748: morte en 1764.
2 Matthieu, XI, 28. http://www.enseignemoi.com/bible/matthieu-11.html
« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. »
4 Voir note 6, page 217 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4113444/f220.image
5 Mémoires pour servir à l'Histoire d'Espagne, sous le règne de Philippe V, rédigés en espagnol par le marquis de Saint-Philippe, traduits, selon Barbier, par de Maudave; 1756, quatre volumes in-12 : http://archive.org/stream/mmoirespourserv03maudgoog#page/n33/mode/2up
6 Vers du président Maynard (qui furent attribués à V*) ; voir page 103 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4113308/f120.image
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24/08/2012
vivre avec ce qu'on aime Est un plaisir digne des gens de bien
... Gens de bien sont ceux qui s'aiment
D'amitié, et songent à l'hymen .
« Pour M. et madame de MONTPÉROUX,
et pour eux seuls 1
[octobre 1756 ?]
Sous même toit vivre avec ce qu'on aime
Est un plaisir digne des gens de bien;
Votre amitié des deux parts est extrême,
Juste, éprouvée; allez, ne craignez rien
Du temps qui fuit, ni de l'hymen lui-même. »
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22/08/2012
je suis un bavard qui dit ce qu'il aurait dû faire, et qui n'a rien fait qui vaille
... Mais comment mon cher Volti pouvez-vous me décrire si bien , enfin presque . Je ne pense absolument pas que cette phrase puisse s'appliquer à votre attitude . It's a joke !
Comme dit R2D2 : Réfléchir avant d'agir
« A M. d'ALEMBERT.
Aux Délices, 9 octobre [1756].
Nous avons été sur le point, mon cher philosophe universel, de savoir, Mme de Fontaine et moi, ce que devient l'âme quand son confrère est passé. Nous espérons rester encore quelque temps dans notre ignorance. Toutes nos petites Délices vous font les plus tendres compliments. Les ridicules de Con flans et l'aventure de Pirna 1 feront une assez bonne figure un jour dans l'histoire mais ce n'est pas là mon affaire, Dieu m'en préserve ! Je suis assez embarrassé du passé sans me mêler encore du présent. Si vous avez quelques articles de l'Encyclopédie à me donner, ayez la bonté de vous y prendre un peu à l'avance. Un malade n'est pas toujours le maître de ses moments. Je tâcherai de vous servir mieux que je n'ai fait. Je suis bien mécontent de l'article Histoire 2. J'avais envie de faire voir quel est le style convenable à une histoire générale, celui que demande une histoire particulière, celui que des mémoires exigent. J'aurais voulu faire voir combien Thoiras l'emporte sur Daniel, et Clarendon sur le cardinal de Retz. Il eût été utile de montrer qu'il n'est pas permis à un compilateur des mémoires des autres de s'exprimer comme un contemporain , que celui qui ne donne les faits que de la seconde main n'a pas le droit de s'exprimer comme celui qui rapporte ce qu'il a vu et ce qu'il a fait; que c'est un ridicule, et non une beauté, de vouloir peindre avec toutes leurs nuances les portraits des gens qu'on n'a point connus; enfin il y avait cent choses utiles à dire, qu'on n'a point dites encore; mais j'étais pressé et j'étais malade, j'étais accablé de cette maudite
Histoire générale que vous connaissez. Je vous demande pardon de vous avoir si mal servi. S'il était temps, je pourrais vous donner quelque chose de mieux; mais, ne pouvant répondre d'un jour de santé, je ne peux répondre d'un jour de travail. Je ne connais point le Dictionnaire 3; je n'ai point souscrit. Je courais le monde quand vous avez commencé je l'achèterai quand il sera fini. Mais je fais réflexion qu'alors je serai mort ainsi je vous prie de proposer à Briasson 4 de m'envoyer les volumes imprimés je lui donnerai une lettre de change sur mon notaire.
Ce qu'on m'a dit des articles de la théologie et de la métaphysique me serre le cœur. Il est bien cruel d'imprimer le contraire de ce qu'on pense.
Je suis encore fâché qu'on fasse des dissertations, qu'on donne des opinions particulières pour des vérités reconnues 5. Je voudrais partout la définition et l'origine du mot, avec des exemples.
Pardon, je suis un bavard qui dit ce qu'il aurait dû faire, et qui n'a rien fait qui vaille. Si on met votre nom dans un dictionnaire, il faudra vous définir le plus aimable des hommes. C'est ainsi que pense le Suisse V. »
1 Pirna, ville longtemps bloquée par les Prussiens, se rendit à discrétion à la fin de la campagne de 1756.
2 Qu'il a pourtant déjà plusieurs fois remanié .
3 C'est aussi le point de départ d'une collaboration accrue à l'écriture d'articles , six tomes sont déjà édités .
4 Libraire à qui est adressée la lettre du 13 février 1756 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/05/27/ce-point-qui-quoique-frivole-en-lui-meme-devient-important-d.html
5 Allusion aux Mémoires compilés par La Beaumelle.
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21/08/2012
Si je ne me mourais pas d'un vilain rhumatisme, madame, je crois que je mourrais de joie des nouvelles que vous avez eu la bonté de m'envoyer
... Vite, composons le 15, le SAMU est nécessaire du côté des Délices !
Pour un vilain rhumatisme, ce doit être un vilain rhumatisme ! J'ai cependant ouï dire, -paroles de sagesse (sic) populaire, autant dire paroles d'évangile - que c'est une maladie qui fait des centenaires . Qui croire ?
Aux dernières nouvelles, mon propre rhumatisme ne m'empêche pas de jouer du clavier . Pourvou què ça doure !
Mourir de joie, drôle de programme ? programme de drôle ? programme drôle ? Fin.
« A Madame de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.
Aux Délices, 6 octobre [1756].
Si je ne me mourais pas d'un vilain rhumatisme, madame, je crois que je mourrais de joie des nouvelles que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Mais sont-elles bien vraies? Si vous en avez la confirmation, achevez mes plaisirs.
Vous avez bien raison de détester le style d'un polisson 1 qui veut faire le plaisant, et parler en homme de cour des princes et des femmes dont il n'a jamais vu l'antichambre. Il y a encore une raison de mépriser son livre: c'est que, d'un bout à l'autre, il contient un tissu de mensonges ou de contes traînés dans les rues. Il est très-bien à la Bastille, pour quelques impostures punissables, notre chère Marie-Thérèse y est pour quelque chose 2. Si Marie-Thérèse est victorieuse, comme je l'espère, et si je suis en vie, ce que je n'espère guère, vous pourriez bien encore revoir à l'île Jard votre ancien courtisan qui vous sera attaché jusqu'au dernier soupir de sa vie. Mille respects à votre digne amie 3. »
2 Dans ses Mémoires de Mme de Maintenon (livre XIII, chap. Ier), La Beaumelle dit que la cour de Vienne était soupçonnée de réparer par ses empoisonneurs les fautes de ses ministres. (Beuchot.)
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