05/04/2014
Périssent les tracasseries!
... Que les nouveaux ministres en soient bien intentionnés, que les anciens réalisent un peu les voeux des citoyens, que les bureaucrates fonctionnaires ne se croient plus d'essence supérieure parce qu'ils ont en main stylo et tampon comme des sceptres .
« A Jacques-Abram-Elie-Daniel Clavel de BRENLES.
[vers le 1er mars 1759]
J'étais étonné de votre silence, mon cher ami ; je tombe des nues ; on me dit que vous êtes fâché du petit mot que je vous écrivis sur la cabale de Grasset 1. Il me semble, autant que je puis m'en souvenir, que j'étais aussi touché de votre amitié que mécontent du parti de Grasset. Je crois vous avoir dit que ce parti me paraissait insensé de protéger un fripon décrété de prise de corps pour avoir volé ses maîtres, contre votre ami qui s'était attaché à Lausanne, qui n'y était venu que pour vous, qui dépensait à Lausanne autant qu'un Anglais, et qui laissait un legs à l'école de charité de Lausanne. Tout cela est vrai ; je vous ouvre toujours mon cœur, parce que la franchise de l'amitié permet tout.
Si j'ai ajouté quelque sottise, avertissez-moi ; un ami doit avertir son ami.
J'ai mandé à M. le bailli de Lausanne que « je me mettais sous la protection d'un brave officier comme lui, et que le parti de Grasset avait beau faire demi-tour à gauche, je ne craignais rien de ses manœuvres, avec un commandant comme lui ». Il me semble encore que cette lettre est agréable et doit plaire ; il m'a répondu avec sa bonté ordinaire. Je suis très-content ; je n'imagine pas pourquoi on me mande qu'on ne l'est point. Je n'en crois rien ; je n'en veux rien croire. Périssent les tracasseries! Conservez-moi, vous et votre chère philosophe, une amitié dont j'ai toujours senti le prix et chéri les douceurs.
V.
L'exécution des jésuites ne se confirme pas ; on ne fait que mentir d'un bout de l'univers à l'autre. »
1 Voir lettre du 12 février 1759 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/03/12/triomphez-des-sots-il-y-en-a-plus-que-de-fous-5321148.html
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04/04/2014
C'est un conseil d'ami et d'amis que je donne à mes amis
... Lisez Candide sans tarder, Zadig sans rechigner, L'Ingénu en souriant, Les oreilles du comte de Chesterfield en vous tenant les côtes, La Pucelle en dessert, etc. etc. etc. Des jours et des jours de plaisir et de réflexion heureuse ... Voltaire, votre meilleur ami, et le mien aussi .
A voir : http://pluzz.francetv.fr/videos/la_parenthese_inattendue.html
« A Gabriel et Philibert Cramer
Je viens de lire Candide . Je trouve cette plaisanterie dans un goût singulier, mais je ne la crois point du tout faite pour ce pays-ci . S'il est vrai que vous en ayez reçu de Lyon et de Paris 1 je vous conseille de ne les pas produire et de retirer les exemplaires si vous en avez . C'est un conseil d'ami et d'amis que je donne à mes amis .
Ce midi jeudi [1er mars 1759 ?] »2
1 De Lyon et de Paris est ajouté au dessus de la ligne .
2 Ce billet semble avoir été écrit dès que V* eut entendu parler de l'action entreprise par le Conseil de Genève le 26 février sur la plainte de la Vénérable Compagnie des Pasteurs , qui sur rapport à Jean Sarrasin, avait trouvé dans Candide, ou Traité de l'optimisme, « des choses sales, inspirant l'inhumanité, contraires aux bonnes mœurs, et injurieuses à la Providence ». Voici le texte du rapport de Boissier, syndic, concernant les recherches faites chez les libraires en vue de saisir les exemplaires : « Nous auditeur soussigné certifions que noble Favre seigneur, premier syndic nous ayant donné l'ordre hier à M. l'auditeur Sarrasin et à nous, de la part du Magnifique Conseil, de faire des recherches au sujet d'un livre intitulé Candide ou l'Optimisme qui avait été imprimé sans permission,et qui se distribuait depuis quelques jours dans cette ville, d'enlever tous les exemplaires que nous trouverions tant chez les libraires que chez les loueuses de livres, et de prendre des informations pour découvrir en quel endroit et par qui il avait été imprimé, qu’en exécution de ces ordres, M. l'auditeur Sarrasin se chargea de faire les recherches nécessaires chez les loueuses de livres, et que pour satisfaire au surplus des susdits ordres, nous nous transportâmes suivis de Cathelaz un de nos huissiers chez tous les libraires de cette ville, savoir chez MM. De Tournes, frères Cramer, Duvillard, frères Philibert,Gosse et compagnie et Bardin, que nous ne trouvâmes aucun exemplaire du susdit livre, dans aucun de leurs magasins, qu'il résulte des informations que nous primes d'eux qu'ils croyaient tous que le livre avait été imprimé à Lyon, que le sieur Bardin nous déclara que son correspondant de Lyon lui en avait envoyé cinq ou six exemplaires comme d'un livre nouveau qui n'était pas connu à Genève, et que lui sieur Bardin les avait expédiés pour l'étranger, que le sieur Philibert nous déclara de même qu'il en avait reçu un de Lyon qu'il avait vendu ici, et MM. les frères Cramer qu'ils en avaient reçu chacun un exemplaire de Lyon de leur correspondant nommé Raineau, chacun pour leur compte particulier, qu'ils avaient prêté à leurs mais, qu'ils avaient appris qu'il y en avait deux ou trois éditions différentes, qu'il s'en était fait une à Avignon chez Guariguan, que nous fîmes défenses à tous les dits sieurs libraires de vendre et débiter le susdit livre dans cette ville, et qu'enfin, nous estimons devoir ajouter aux susdites informations que dans les recherches que nous fîmes la semaine dernière par l’ordre des seigneurs syndics dans les six imprimeries de cette ville, nous ne découvrîmes rien qui pût nous faire soupçonner que le susdit livre ait été imprimé ici . En foi de quoi nous avons dressé et signé le présent verbal , à Genève le vingt septième février mille sept cent cinquante neuf.
Boissier auditeur. »
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03/04/2014
Tout le monde crie dans les rues de Paris, mangeons du jésuite, mangeons du jésuite . C'est dommage que ces paroles soient tirées d'un livre détestable
... C'est moins grave à Paris qu'à Rome, au Vatican en particulier ! le pape François découpé en tranchettes style prosciutto di Parma, brrr !!
Par contre à Paris, on descend déjà en flammes le nouveau gouvernement, en paroles tirées de cervelles détestables .
Restons optimistes !
« A Jacob Vernes
[février/mars 1759]
All that is, is right 1. Voilà deux rois assassinés en deux ans 2, la moitié de l'Allemagne dévastée, quatre cent mille hommes massacrés, etc. etc. etc. Quelques curieux disent que les révérends pères de la compagnie de Jésus-Christ ont empoisonné le roi d'Espagne 3, et prétendent en avoir des preuves, ipsi viderint 4. Tout le monde crie dans les rues de Paris, mangeons du jésuite, mangeons du jésuite . C'est dommage que ces paroles soient tirées d'un livre détestable 5 qui semble supposer le péché originel et le chute de l'homme, que vous niez vous autres damnés de sociniens qui niez aussi la chute d'Adam, la divinité du verbe, la procession du Saint Esprit et l'enfer . Nous sommes un peu brouillés pour les odes . Cependant ma rapsodie sera à vos ordres, mais il faudra venir diner quelque jour avec nous, car tout soi-disant prêtre que vous êtes, et tout orthodoxe que je suis, je vous aime de tout mon cœur . Gratias ago du journaliste anglais, c'est un bon vivant . »
1 Tout ce qui est est bien .
2 Allusion à l'attentat de Damien et au complot contre José de Portugal .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert-Fran%C3%A7ois_Damiens
3 Ferdinand VI mourra de mélancolie pathologique le 10 août 1759 ; http://fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_VI_d%27Espagne
4 Eux-mêmes l'ont vu, disent-ils ; Psaumes, CVII, 24 : http://bible.catholique.org/psaumes/8803-psaume-107
5 Candide évidemment ; chap. xvi ; http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre715-chapitre524.html
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02/04/2014
Toute cette bêtise m'est très-agréable, parce qu'elle me fait connaître tout le prix d'un cœur comme le vôtre
...
« A Élie BERTRAND.
A Tournay, par Genève, [vers le 28 février 1759].
J'allais écrire à mon cher philosophe, dont la courageuse amitié m'est si précieuse ; j'allais le prier de m'envoyer par le coche quelque chose de sa façon, sur l'histoire naturelle, pour l'Académie de Lyon 1, qui vient enfin d'être renouvelée, et qui a pris une meilleure forme et plus digne de lui. Je le supplie avec instance de ne pas tarder un moment ; je n'en ai qu'un pour lui répondre. Voici un Mémoire dont j'envoie quatre copies à Berne ; je vous prie de donner la cinquième à M. de Freudenrik, dont la bonté et la justice ne seront pas subjuguées par la faction de Grasset et de Darnay, qui remuent ciel et terre.
J'écris à M. de Vermont 2. Toute cette bêtise m'est très-agréable, parce qu'elle me fait connaître tout le prix d'un cœur comme le vôtre.
Je suis bien fâché de ne savoir les noms que de deux curateurs.
Mettez-moi bien avant dans le cœur du vertueux M. de Freydenrik, car il est dans le mien à côté d'Aristide.
Je savais bien que Haller protégeait le Grasset ; j'en ai rougi pour lui, et je lui ai écrit de quoi le faire rougir 3.
Allamand m'écrit que tous les pasteurs de Vevay désavouent le libelle daté de Vevay. Nouvelle raison pour la suppression.
V. »
1 Jusqu'en 1758, deux académies existaient à Lyon, celle des sciences et belles lettres et celle des beaux arts ; elles furent réunies en 1758 .
2 Chargé d'affaires français auprès du Corps helvétique en l'absence de l'ambassadeur, spécialement au cours de la période allant du 16 octobre 1758 au 29 mai 1759 .
3 C'est la lettre du 26 février 1759 à Haller ; « Permettez-moi donc du moins d'agir lorsqu'on m'outrage d'une façon dangereuse, comme vous en avez usé, quand on vous offensa d'une façon qui n'était qu'extravagante . » http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/02/26/je-ne-perds-pas-plus-le-repos-dans-cette-petite-affaire-que.html
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Je souhaite seulement qu'il y ait dans ce Conseil quelqu’un qui aime la paix autant que vous et moi .
... Dit la tulipe à la jonquille, qui n'en pensait pas moins .
« A Jean-Robert Tronchin
à Lyon
Aux Délices 26 février [1759]
On proposait à Amyot 1, précepteur de Charles IX et de Henri III, d'écrire leur vie . Ah ! dit-il, je suis trop serviteur pour les faire connaître . J'en dis autant des vers du roi de Prusse mon disciple .
Le cardinal de Bernis m'écrit qu'il a commencé à retrouver sa gaieté et sa santé depuis qu'il est dans sa retraite . J'ignore encore si le prince de Soubise 2 entre dans le Conseil, mais la chose est très vraisemblable . Je souhaite seulement qu'il y ait dans ce Conseil quelqu’un qui aime la paix autant que vous et moi .
Deux tonneaux de vin sont déjà arrivés, café aussi, sucre viendra, fusils etc. Et grand merci de toutes les cargaisons .
Bonsoir mon très aimable correspondant . Les fleurs montrent déjà le bout du nez dans nos Délices , et vous ne vous en souciez guère .
Oncle et nièce vous embrassent .
V.
N.-B.- Je me ruine . »
1 L'écrivain Jacques Amyot : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Amyot_%28%C3%A9v%C3%AAque%29
2 Soubise, après avoir réparé par quelques succès mineurs le désastre de Rossbach, avit en effet été nommé maréchal le 19 octobre 1758 et mnistre d'Etat le 18 février 1759 . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_de_Rohan,_prince_de_Soubise
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01/04/2014
il y a des gens assez impertinents pour m’imputer cet ouvrage
... Poisson d'avril !!
« A Gabriel et Philibert Cramer
[vers le 25 février 1759]
Qu'est-ce que c'est qu'une brochure intitulée Candide qu'on débite dit-on avec scandale , et qu'on dit venir de Lyon ? Je voudrais bien la voir . Pourriez-vous, messieurs, m'en faire tenir un exemplaire relié ? On prétexte qu'il y a des gens assez impertinents pour m’imputer cet ouvrage que je n'ai jamais vu ! Je vous prie de me dire ce qu'il en est . »1
1 Ce billet, comme tous ceux de ce genre aux Cramer est évidemment destiné à être présenté en cas de poursuite contre l'auteur .Le 23 février 1759, Thieriot écrit : « Ô carissime Candide […] ? On s'arrache votre ouvrage des mains . » . Le 24 , Omer Joly de Fleury écrit au lieutenant de police Bertin d' »arrêter le débit d'une brochure aussi scandaleuse et zen découvrir les auteurs » par les moyens les plus prompts et les plus efficaces . Le lendemain, un dimanche,à 11 heures du matin, l'ordre passait aux officiers de Bertin pour exécution .
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