24/03/2020
C'est un parti pris et c'est un parti raisonnable
... Assigné à résidence, ça me rappelle la mise aux arrêts de rigueur . Reste la liberté de parole et de pensée, essentielles . Faisons contre mauvaise fortune bon coeur .
« A François Tronchin
Conseiller d’État
rue des Chaudronniers
à Genève
[12 janvier 1765] 1
Mon cher ami voici ma démission . C'est un parti pris et c'est un parti raisonnable . Je vous demande seulement qu'il soit secret .
Vous m'avez enchanté par vos sentiments fermes et nobles . Je me flatte que tous vos confrères penseront avec la même grandeur d'âme , et qu'un godenot 2, insensé et malhonnête homme ne triomphera pas d'une compagnie de magistrats sages et vertueux .
Soyez d'ailleurs très persuadé que Mme la duchesse de L...3 n'a jamais parlé ni su parler de médiation, qu'elle n'influera rien sur vos affaires . Tenez pour certain que M. le duc de P***4 méprise Jean-Jacques comme il le doit . Que le Conseil soit ferme et tout ira bien . Mes respects je vous prie à tout Tronchin.
V. »
1 Datée par Tronchin sur le manuscrit .
2 Un godenot est une figurine qu'escamotaient les joueurs de gobelets ; par extension c'est un vilain petit bonhomme .
3 Duchesse de Luxembourg . V* dit curieusement qu'il n’est pas question de médiation de sa part, alors qu'il vient précisément de la solliciter ; voir lettre du 9 janvier 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/03/17/c-est-un-exercice-qui-apprend-a-la-fois-a-bien-parler-et-a-bien-prononcer-e.html
4 Duc de Praslin .
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23/03/2020
suivant accord fait entre nous
... le confinement continue , nous sommes qualifiés pour continuer en seconde semaine, et plus, si succès aux deux premières .
Il en est qui sont prêts à jouer les prolongations
« A Jean-Robert Tronchin
Je remets à monsieur Robert Tronchin la maison sur le territoire Saint Jean nommée les Délices avec toutes les dépendances suivant accord fait entre nous .
Fait au château de Ferney 12 janvier 1765
Voltaire. »
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je m'en remets entièrement à la sagesse du Conseil, qui saura bien réprimer toutes les infractions à la paix publique et au bon ordre
... Ainsi parla Castaner au temps de la grande guerre contre Covid-19 !
« Au Magnifique Conseil de Genève
Je suis obligé d'avertir le Magnifique Conseil de Genève que parmi les libelles pernicieux dont cette ville est inondée depuis quelque temps, tous imprimés à Amsterdam, chez Marc-Michel Rey, il arrive lundi prochain chez le nommé Chirol, libraire de Genève, un ballot contenant des Dictionnaires philosophiques, des Évangiles de la raison et autres sottises , qu'on a l'insolence de m'imputer, et que je méprise presque autant que les Lettres de la montagne . Je crois satisfaire mon devoir en donnant cet avis ; et je m'en remets entièrement à la sagesse du Conseil, qui saura bien réprimer toutes les infractions à la paix publique et au bon ordre 1.
Je ne dois que me borner à l'assurer de mon profond respect .
Voltaire.
Au château de Ferney 12è janvier 1765 2»
1 Cette dénonciation de V* (laquelle ne laisse pas de jeter quelque doute sur la sincérité de ses protestations contre les délateurs) fut suivie d'une enquête ; voir le registre du Conseil des 14, 18 et 19 janvier 1765 . Naturellement , le résultat de l'enquête fut négatif . Le sieur Chirol répondit que les ouvrages qu'il avait reçus jusque là , venant de Lausanne, n'étaient pas prohibés, et que pour les livres défendus dont Marc-Michel Rey lui annonçait l'envoi, il les avait « fait arrêter sur la route », « craignant que cet envoi ne lui causât du chagrin. »
2 L'édition Gaberel donne une version très fautive .
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elle est maîtresse de tout le gravier possible pour les chemins
... Ca me rappelle Ségolène, ex- maîtresse de toute la glace possible du nord et du sud, et qui tente , sans scrupule *, de ne pas se faire oublier .
* Etymologiquement parlant, le scrupule est un petit caillou pointu , fort désagréable dans la sandale du légionnaire romain , alors obligé de s'arrêter .
Ségolène, réveille-toi ! on est en 2020 .
« A Louise-Suzanne Gallatin 1
M. de Voltaire présente ses respects à madame Gallatin, elle est maîtresse de tout le gravier possible pour les chemins . Son très humble et très obéissant serviteur
Voltaire.
A Ferney 12 janvier 1765. »
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22/03/2020
Je suis bien las d'être homme public, et de me voir condamné aux bêtes comme les anciens gladiateurs et les anciens chrétiens
... Ce que doivent penser nos gouvernants en temps normal, et plus encore en notre temps de crise .
Tremblez humains !
« A Etienne-Noël Damilaville
12è janvier 1765 1
J'ai fais chercher hier dans Genève la brochure dont vous m'avez parlé ; je n'ai pu encore la trouver . On dit que ce n'est qu'une seule feuille, et qui a été oubliée presque en naissant, qu'on attribue à un ministre nommé Vernes ou Vernet, lequel a déjà écrit une autre brochure contre Jean-Jacques, oubliée tout de même . Je n'ai vu ni l'un ni l'autre écrit , Dieu merci, et je n'ai fait que parcourir les livres ennuyeux faits à cette occasion . Je serais assurément bien fâché d'avoir la moindre part à toutes ces tracasseries . J'ai resté constamment dans mes campagnes depuis dix ans, et j'y mourrai sans me mêler dans ces sottes querelles . Le nom de Rousseau n'est pas heureux pour la bonne morale et la bonne conduite .
Au reste, mon cher frère, je serais très fâché que mes lettres prétendues secrètes fussent débitées à Paris, quelle rage de publier des lettres secrètes ! J'ai prié instamment M. Marin 2 de renvoyer ces rogatons en Hollande d'où elles sont venues . Je suis bien las d'être homme public, et de me voir condamné aux bêtes comme les anciens gladiateurs et les anciens chrétiens . L'état où je suis ne demande que le repos et la retraite ; il faut mourir en paix ; mais afin que je meure gaiement écr l'inf. »
1 L'édition de Kehl amalgame des extraits de cette lettre avec les lettres du 15 janvier 1765 et du 18 janvier 1765 à Damilaville .
2 Voir lettre du 10 janvier 1765 à Rieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/03/20/cette-requete-en-produira-rien-mais-elle-fera-voir-au-public-que-j-ai-fait.html
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Je suis fâché d'applaudir de si loin au bon parti que vous avez pris , je ne suis plus qu'une ombre, et pas même une ombre ambulante
... Confiné, con in fine !
A noter, ce matin, chez Intermarché, il n'y avait plus de beurre, ni argent du beurre, ni main de la crémière, ni autres matières grasses ! Why ? Dernier tango à Paris ?
« A Davis-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches
Major etc.
à Landrecy
Flandre
12è janvier 1765 à Ferney
Je vous écris de mon lit, mon cher colonel français 1. Vous devez être regretté à La Haye, et bien accueilli chez nous, vous nous défendez et vous plairez, voilà ce qu'il nous faut . Je suis fâché d'applaudir de si loin au bon parti que vous avez pris , je ne suis plus qu'une ombre, et pas même une ombre ambulante .
L’extrême faiblesse qui me fait languir, et la perte presque entière de mes yeux, ne me font pas espérer le bonheur de vous revoir . Il ne me reste que le tendre intérêt que je prendrai jusqu'à mon dernier moment à votre félicité et à vos succès . Je sens que je suis encore en vie par la vivacité de mes sentiments pour vous . Mme Denis se porte mieux que moi, mais elle ne vous aime pas davantage . Souffrez que M. de Besenval 2 trouve ici les assurances de mon respect .
V. »
1 Grâce aux efforts de V* , Constant a été admis colonel dans le régiment français d'Eptingen .
2 Sur Pieter Joseph Victor, baron de Besenval, inspecteur des troupes suisses dans l'armée française , voir lettre du 13 mars 1757 à Constant : « Auguste sultan , […] Nous nous prosternons aux pieds de votre trône, et nous prions le Dieu miséricordieux qu'il vous conserve les sublimes talents dont le bacha Buzanval fait un si bel éloge . » Et : https://gw.geneanet.org/pierfit?lang=fr&n=de+besenval&oc=0&p=pierre+joseph+victor
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21/03/2020
Il n'y a pas un moment à perdre si on veut lui sauver la vie
... Tristement d'actualité .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
12 janvier 1765 à Ferney 1
Mes divins anges, j'ai oublié dans la requête à M. le duc de Praslin, de spécifier que ce vieux de Moultou qui veut promener sa veille vessie à Montpellier, a un fils qu'on appelle prêtre, ministre du saint Évangile, pasteur d'ouailles calvinistes, et qui n'est rien de tout cela ; c'est un philosophe des plus décidés, et des plus aimables . J'ignore si sa qualité de ministre évangélique s'oppose aux bontés d'un ministre d’État . J’ignore s'il est nécessaire que M. le duc de Praslin ait la bonté de faire mettre dans le passeport, le sieur de Moultou et son fils prêtre . Je m'en rapporte uniquement à la protection et à la complaisance de M. le duc de Praslin ; les maux que souffre Moultou le père sont dignes de sa pitié . Il n'y a pas un moment à perdre si on veut lui sauver la vie . Tronchin inocule, mais il ne taille point de la pierre .
N.B. – Je suis fâché pour la philosophie que Jean-Jacques Rousseau ait commencé par être fou, et finisse par être un très malhonnête homme . Il veut mettre le trouble dans Genève par un assez mauvais livre contre le gouvernement de cette ville, et contre la médiation 2. Il a envoyé cet insolent ouvrage au président qui en aura sans doute instruit M. le duc de Praslin . Il a déchaîné la populace contre le magistrat, mais j'espère que ce petit désordre n’aura pas de suites, et que vous n’enverrez pas les troupes à Genève comme en Corse 3.
Mes anges, je baise toujours le bout de vos ailes .
V.
Puisque j'ai acquis un œil je vais donc me remettre à la conspiration des Roués, mais encore une fois trouvez-moi des acteurs, ou faites jouer les Roués à l'Opéra-Comique .
Je recommande à vos bontés la petite affaire de M. Moultou et je supplie M. le duc de Praslin de vouloir bien m’adresser le passeport . Pour moi je crois que j'en aurai un bientôt pour l'autre monde . Vivez heureux dans celui-ci, mes très adorables anges .
V.»
1 L'édition de Kehl est réduite au premier paragraphe, le reste ayant été biffé sur la copie Beaumarchais . Il n'est pas sûr, d'autre part, que le post-scriptum, qui semble avoir été ajouté après coup sur la copie, n'ait pas fait partie d'une autre lettre .
2 Sur cette médiation, voir lettre du 10 janvier 1765 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/03/18/j-emploie-mon-bon-oeil-mon-divin-ange.html
3 Une expédition française a été envoyée pour occuper la forteresse de Gênes ; la suite de cette affaire est la cession à la France , en mai 1768, de la Corse, qui dépendait alors de Gênes et s'était révoltée . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Corse
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