25/04/2009
les sottises de Paris : elles me paraissent se multiplier tous les jours
Volti aurait pu être un personnage d'Hergé à l'égal du disciple de Confucius :"il faut trouver la voie", "si vous ne trouvez pas la voie, je vous coupe la tête" ! Louis XVI et quelques milliers d'autres n'ont pas su trouver la voie, bains de sang offerts au peuple effrayé donc en colère. Très effrayé donc meurtrier.
Volti a l'art et la manière de proposer la destruction des entêtés religieux :"quand on étranglerait deux ou trois jésuites, avec les boyaux de deux ou trois jansénistes, le monde s’en trouverait-il plus mal ?" Présenté comme ça, on trouverait presque que c'est normal ; non? Mais il est vrai que forcer le trait est parfois nécessaire . Humour, toujours l'humour ! il va jusqu'à prêter des motifs de réjouissance aux calvinistes genevois. J'appelle ça du billard à trois bandes ! Beau coup (de queue, pour les praticants )!
« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d’Esclavelles d’Épinay
Je ne vous ai point encore remerciée, ma belle philosophe, de votre jolie lettre, et de votre pierre philosophale ; car c’est la vraie pierre philosophale que la multiplication du blé, dont vous m’avez envoyé le secret [à la demande de V*, par l’entremise de Mme d’Epinay, M. d’Epinay, fermier général est intervenu pour aider V* à récupérer un chargement de blé saisi par des commis de Saconnex et empêchaient la libre circulation de son blé]; j’irai présenter la première gerbe devant votre portrait, au temple d’Esculape [= Théodore Tronchin qui possède un portrait de Mme d’Epinay par Liotard] à Genève ; ce portrait sera mon tableau d’autel ; j’en fais bien plus de cas que de l’image de mon ami Confucius ; ce Confucius est, à la vérité, un très bon homme, ami de la raison, ennemi de l’enthousiasme, respirant la douceur et la paix, et ne mêlant point le mensonge avec la vérité ; mais vous avez tout cela comme lui, et vous possédez de plus deux grands yeux, très préférables à ses yeux de chat et à sa barbe en pointe .
Confucius est un bavard qui dit toujours la même chose, et vous êtes pleine d’imagination et de grâce .Vous êtes probablement , Madame, aujourd’hui dans votre belle terre [La Chevrette], où vous faites les délices de ceux qui ont l’honneur de vivre avec vous, et où vous ne voyez point les sottises de Paris ; elles me paraissent se multiplier tous les jours ; on m’a parlé d’une comédie contre les philosophes [Les philosophes, de Palissot, 2 mai 1760] dans laquelle Préville doit représenter Jean-Jacques marchant à quatre pattes . Il est vrai que Jean-Jacques a un peu mérité ces coups d’étrivières par sa bizarrerie, par son affectation de s’emparer du tonneau et des haillons de Diogène, et encore plus par son ingratitude envers la plus aimable des bienfaitrices ; mais il ne faut pas accoutumer les singes d’Aristophane à rendre les singes de Socrate méprisables [allusion aux « Nuées » d’Aristophane qui raillaient Socrate], et à préparer de loin la ciguë que Me Joly de Fleury voudrait faire broyer pour eux, par les mains de Me Abraham Chaumeix [Joly de Fleury (réquisitoire) et Chaumeix (mémoire) ont fait condamner l’Encyclopédie par le parlement en janvier-février 1759].
On dit que Diderot, dont le caractère et la science méritent tant d’égards, est violemment attaqué dans cette farce. La petite coterie dévote de Versailles la trouve admirable [d’Alembert écrira : « Les protecteurs femelles (déclarés) de cette pièce sont Mmes de Villeroy, de Robecq, et du deffand votre amie…. En hommes il n’y a …que … Fréron elle ne peut avoir été jouée sans protecteurs puissants… »] ; tous les honnêtes gens de Paris devraient se réunir au moins pour la siffler ; mais les honnêtes gens sont bien peu honnêtes ; ils voient tranquillement assassiner les gens qu’ils estiment ; et en disent seulement leur avis à souper ; les philosophes sont dispersés et désunis, tandis que les fanatiques forment des escadrons et des bataillons.
Les serpents appelés jésuites, et les tigres appelés convulsionnaires, se réunissent tous contre la raison, et ne se battent que pour partager entre eux ses dépouilles. Il n’y a pas jusqu’au sieur Lefranc de Pompignan, qui n’ait l’insolence de faire l’apôtre [dans son discours d’entrée à l’Académie française le 10 mars 1760], après avoir fait le Pradon [Pradon avec Racine sont identiques à V* avec Lefranc : V* a écrit « Alzire » et Lefranc « Zoraïde » en même temps, on se demande laquelle a inspiré l’autre ].
Vous m’avouerez, ma belle philosophe, que voilà bien des raisons pour aimer la retraite. Nos frères du bord du lac ont reçu une douce consolation, par les nouvelles qui sont venues de la bataille donnée au Paraguay entre les troupes du roi de Portugal, et celles des révérends pères jésuites [depuis mai 1758, les jésuites refusaient de cesser leurs commerces]. On parle de sept jésuites prisonniers de guerre, et de cinq tués dans le combat, cela fait douze martyrs, de compte fait. Je souhaite pour l’honneur de la sainte Église que la chose soit véritable. Je me crois né très humain, mais quand on étranglerait deux ou trois jésuites, avec les boyaux de deux ou trois jansénistes, le monde s’en trouverait-il plus mal ?
Je ne vous écris point de ma main, ma belle philosophe, parce que Dieu m’afflige de quelques indispositions dans ma machine corporelle. Je ne suis précisément pas mort comme on l’a dit, mais je ne me porte pas trop bien [le 14 avril, on parlait déjà de lui trouver un successeur à l’Académie]. Comment aurais-je le front d’avoir de la santé quand Esculape a la goutte ?
Adieu, ma belle philosophe, vous êtes adorée aux Délices, vous êtes adorée à Paris, vous êtes adorée présente et absente. Mes hommages à tout ce qui vous appartient, à tout ce qui vous entoure.
Voltaire
25 avril 1760. »
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