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19/10/2009

Quand tout le parterre crierait que c’est moi, il faut dire qu’il n’en est rien.

Quinault_by_Pirodon_after_Quentin_de_La_Tour.jpg
Pour ceux qui suivent un peu mes élucubrations, ne voyez dans cette illustration que le goût pour la vérité historique toute nue, -ou un peu, il faut bien garder un peu de mystère, n'est-ce pas mesdames- et le souci de la présentation d'une damoiselle qui fit de l'effet sur Volti.:
"Charmante Thalie,"
persiste et signe ...

« A Jeanne-Françoise Quinault

 

Charmante Thalie, j’ai bien peur que l’Enfant prod[igue] ne soit bientôt enterré avec la chienne noire, mais il n’y a ni ouvrage ni chien qui puisse durer    autant que ma tendre reconnaissance et mon attachement pour vous .

 

                            Vous pourriez engager M. de Ponde [M. de Pont de Veyle ; M. d’Argental] ou M. Dar, à m’envoyer par la poste le pièce telle qu’on la joue [la première avait eu lieu le 10 octobre]. Ils sont à portée de faire contresigner le paquet, et on a le plaisir d’avoir son enfant au bout de deux jours. Sinon je vous supplierais de l’envoyer à  cet avocat Robert qui va toujours partir pour Cirey . Il faudrait avoir la bonté de mettre l’adresse à Mme la marquise du Châtelet.

 

                            Je ne connais point du tout Mlles Fessard . Je n’ai point écrit à Mme la duchesse de Saint-P. [De Saint-Pierre . Mlles Fessard et la duchesse de Saint-Pierre disent que son Enfant prodigue est de lui .] depuis mon départ. Je n’ai dit mon secret à personne [ La pièce avait été jouée anonymement et sans être annoncée ; c’est Britannicus qui était inscrit au programme ( il n’avait pu être joué suite à la maladie d’un acteur)]. Niez toujours fort et ferme, quand tout le parterre crierait que c’est moi, il faut dire qu’il n’en est rien.

 

                            Si la pièce n’est ni digne de tant de bontés de votre part, ni utile aux comédiens, ni flatteuse pour son auteur, du moins j’en aurai tiré un avantage, qui m’est plus cher que les plus grands succès, j’aurai connu tout ce que vous valez dans le commerce de la vie, et combien vous êtes au dessus de tous les rôles que vous embellissez, et de tous les auteurs que vous faites valoir.

 

                            Quoi ! aimable Thalie, une chienne noire vient accoucher chez vous ! Voilà la plus belle nouvelle du monde. Je vous conjure de me retenir un chien et une chienne. J’espère que le père fera un jour dans Cirey beaucoup d’enfants à la sœur , et que dans peu d’années , nous aurons d’inceste en inceste une meute de petits noirs. Voilà la fable du pot au lait , et tout est pot au lait. L’Enfant prodigue est un de ces pots là. Votre amitié, vos bontés pour moi seront quelque chose de plus réel.

 

                            Adieu, divinité que j’ai habillée de crotte . Je vous jure de ne vous donner jamais de Croupillac [Personnage de la pièce . V* écrivait le 7 septembre : « Je vous demande bien pardon pour la Croupillac. Cette bégueule-là gâte à mon gré un ouvrage qui pourrait réussir. »] de ma vie.

 

                            Encore un petit mot . Le public est donc bien raffiné. Il trouve mauvais qu’il y ait du plaisant dans l’Enfant prod[igue] et s’il n’y en avait point eu il aurait dit : c’est une tragédie.

 

                            Encore un mot . Ce Rousseau est donc un grand faquin de vouloir bannir l’intérêt [Jean-Baptiste Rousseau a écrit une épître sur la comédie]. Le fat ! confondez le et continuez-moi vos bontés.

 

 

                            Voltaire

                            A Cirey ce 19 octobre 1736. »

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