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20/10/2009

Combattant contre l’oisiveté et l’ignorance naturelle avec laquelle nous sommes nés

J'ai le bonheur de disposer encore de mes cinq sens, le sixième étant un sens interdit que je prend nuitamment, sans aucun risque, pour cause de travaux. N'appelez pas les bleus, ils sont couchés à cette heure là (en tout cas, je le souhaite ! ).  Bon , puisque personne ne réagit, je vais me coucher moi aussi .

 

"Il y a beaucoup de maisons dans la demeure de mon père" disent les écritures, oui il y a beaucoup de maisons -demeures de l'Etat- pendant que des malheureux se gèlent dehors . M. Jean S.....y, si vous êtes assez couillu pour vous présenter à un poste de président sans autre bagage que votre bagout et un père logorrhéique à tic , occuppez-vous vite de ceux qui vivent sous des cartons ; sinon , circulez, y'a rien à voir, gardez votre Rolex, je garde mon Solex !

 

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"Eh bien moi, je préfère ma petite jument" nous aurais déclaré le Patriarche de Ferney à qui on présentait un Solex chinois, et "je ne veux point d'autre montre que de Ferney, les Genevois vont savoir qu'on est meilleurs qu'eux, et dans vingt ans, nous serons maitres de ce marché !"  devant une Rolex genevoise fabriquée par des français, italiens, espagnols, etc .

 

 

 

 

 

« A Pierre-Joseph Thoulier d’Olivet

 

 

                            Quoique je sois en commerce avec Neuton Maupertuis, et avec Descartes Mairan, cela n’empêche pas que Quintillien d’Olivet ne soit toujours dans mon cœur et que je ne le regarde comme mon maître et mon ami. Multae sunt mansiones in domo patris mei [Il y a beaucoup de maisons dans la demeure de mon père.], et je peux encore dire : in domo mea. Je passe ma vie , mon cher abbé, avec une dame qui fait travailler trois cents ouvriers, qui entend Neuton, Virgile et Le Tasse, et qui ne dédaigne pas de jouer au piquet.[Emilie du Châtelet, le château est en plein travaux encore] Voilà l’exemple que je tâche de suivre quoique de très loin. Je vous avoue , mon cher maître, que je vois pas pourquoi l’étude de la physique écraserait les fleurs de la poésie. La vérité est-elle si malheureuse qu’elle ne puisse souffrir les ornements ? L’art de bien penser, de parler avec éloquence, de sentir vivement et de s’exprimer de même serait-il donc l’ennemi de la philosophie ? Non, sans doute  ce serait penser en barbare. Malebranche, dit-on, et Pascal avaient l’esprit bouché pour les vers. Tant pis pour eux, je les regarde comme des hommes bien formés d’ailleurs, mais qui auraient le malheur de manquer d’un des cinq sens.

 

Je sais qu’on s’est bien étonné et qu’on m’a même fait l’honneur de me haïr, de ce qu’ayant commencé  par la poésie je m’étais ensuite attaché à l’histoire et que je finissais par la philosophie. Mais, s’il vous plait, que  faisais-je au collège, quand vous aviez la bonté de former mon esprit ? Que me faisiez-vous lire et apprendre par cœur à moi  et aux autres ? Des poètes, des historiens, des philosophes . Il est plaisant qu’on n’ose pas exiger de nous dans le monde ce qu’on a exigé dans le collège, et qu’on n’ose pas attendre d’un esprit fait les mêmes choses auxquelles on exerça son enfance.

 

                            Je sais fort bien et je sens encore mieux que l’esprit de l’homme est très borné mais c’est par cette raison-là même qu’il faut tâcher d’étendre les frontières de ce petit État, en combattant contre l’oisiveté et l’ignorance naturelle avec laquelle nous sommes nés. Je n’irai pas en un jour faire le plan d’une tragédie et des expériences de physique, sed omnia tempus habent [Mais toutes choses ont leur temps.], et quand j’ai passé trois mois dans les épines des mathématiques je suis fort aise de retrouver des fleurs.

 

Je trouve même fort mauvais que le père Castel ait dit dans un extrait des Éléments de Neuton [Dans les Mémoires de Trévoux], que je passais du frivole au solide . S’il savait ce que c’est que le travail d’une tragédie et d’un poème épique, si sciret donum dei [S’il connaissait le don de Dieu], il n’aurait pas lâché cette parole . La Henriade m’a coûté dix ans , les Éléments de Neuton m’ont coûté six mois et ce qu’il y a de pis, c’est que La Henriade n’est pas encore faite . J’y travaille encore quand le dieu qui l’a fait faire m’ordonne de la corriger, car, comme vous savez,

Est deus in nobis agitante calescimus illo.

[Il y a un dieu en  nous, nous nous enflammons sous son action.]

Et pour vous prouver que je sacrifie encore aux autels de ce dieu, c’est que M. Thiriot doit vous faire lire une Mérope de ma façon [Mérope remaniée], une tragédie française, où, sans amour, sans le secours de la religion une mère fournit cinq aces entiers . Je vous prie de m’en dire votre sentiment tout aussi naïvement que vous l’avez dit à Rousseau sur les Ayeux chimériques [d’Olivet est un des signataires d’un sonnet et d’une lettre adressée par « Voltaire et d’autres »  à Jean-Baptiste Rousseau, où étaient attaquées ses « trois épitres gothiques » et son « ode détestable sur la paix » et son « impertinente comédie des Ayeux Chimériques ».]

 

                            Je sais que non seulement vous m’aimez mais vous aimez aussi la gloire des lettres, et celle de votre siècle. Vous êtes bien loin de ressembler à tant d’académiciens, soit de votre tripot [l’Académie française], soit de celui des inscriptions, qui n’ayant jamais rien produit, sont les mortels ennemis de tout homme de génie et de talent, qui se donneront bien de garde d’avouer que de leur vivant la France a eu un poète épique , qui loueront jusqu’au Camouens [Luis de Camouens (1524-1580, auteur des Lusiades (1572), traduites par Duperron de Castera en 1735] pour me rabaisser, et qui me lisant en secret, affecteront en public de garder le silence sur ce qu’ils estiment malgré eux.  Peut être extinctus amabitu idem [Une fois mort le même sera aimé]. Vous êtes trop au-dessus de ces lâches cabales formées par les esprits médiocres, vous encouragez trop les arts par vos excellents préceptes pour ne pas chérir un homme qui a été formé par eux .Je ne sais pourquoi vous m’appelez pauvre ermite. Si vous aviez vu mon ermitage, vous seriez bien loin de me plaindre gardez-vous de confondre le tonneau de Diogène avec le palais d’Aristippe [voir une phrase du portrait malveillant de Voltaire qui a circulé en 1735, où on disait « le matin Aristippe et Diogène le soir »]. Notre première philosophie est ici de jouir de tous les agréments qu’on peut se procurer. Nous saurions très bien nous en passer , mais nous savons aussi en faire usage, et peut êtes si vous veniez à Cirey, préféreriez-vous la douceur de ce séjour   à toutes les infâmes cabales des gens de lettres, au brigandage des journaux, aux jalousies, aux querelles, aux calomnies , qui infectent la littérature. Il y a des têtes couronnées, mon cher abbé, qui ont envoyé dans cet ermitage de Mme du Châtelet leurs favoris pour venir l’admirer [Le favori de Frédéric, Dietrich von Kayserlingk a été envoyé l’été précedent], et qui voudraient y venir eux-mêmes ; et si vous y veniez nous en serions tout aussi flattés. La visite du sage vaut celle des princes .

 

                            Adieu, je ne vous écris point de ma main, je suis malade, je vous embrasse tendrement . Adieu, mon ami et mon maître.

 

 

                            V.

                            A Cirey ce 20 octobre 1738. »

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