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01/09/2010

il faut des années avant que les gens d'esprit aient repétri les sots

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 http://fr.wikipedia.org/wiki/Caricatures_de_Mahomet_du_jo...

 Les sots, précurseurs des fanatiques traversent les âges et se multiplient sans cesse, hélas ! 

 

 

 « Pierre-Robert Le Cornier de Cideville

 

A Bruxelles le 1er septembre 1742

 

Alla, illah alla Mohammed rezoul, alla.[i]

 

 Ce Mahomet, mon très aimable ami, m'a fait bien coupable envers vous ; il m'a rendu paresseux. Me voilà enfin tranquille à Bruxelles, et je profite de ce petit moment de loisir pour m'entretenir avec vous. Je pars demain pour aller trouver à Aix-la-Chapelle le roi qui a changé deux fois le système de l'Europe [ii], et qui pourtant n'est pas puni de Dieu, car il est aux eaux sans avoir besoin des les prendre, et les médecins sont au nombre des puissances dont il se moque. Si notre Mahomet, mon cher ami, eût été représenté devant lui, il n'en eût pas été effarouché comme l'ont été nos prétendus dévots [iii]. Il ne veut pas faire jouer Zaïre, parce qu'il y a trop de christianisme à ce qu'il dit dans la pièce. Vous jugez bien que le miracle de Polyeucte n'est pas de son goût et que celui de Mahomet lui plaît davantage [iv].

 

Nos jansénistes de Paris, et surtout nos jansénistes convulsionnaires ne pensent point ainsi ; les bonnes gens ont cru que l'on attaquait saint Médard et M. saint Pâris. Il y a eu même de vos graves confrères conseillers au parlement de Paris, qui ont représenté à leurs chambres que cette pièce était toute propre à faire des Jacques Clément et des Ravaillac. Ne trouvez-vous pas que ce sont là de bonnes têtes ? Ils croient sans doute qu'Harpagon fait des avares, et enseigne à prêter sur gages.

 

 Il y a une chose qui me fait de la peine , mon cher ami, et je vous la dirai, c'est que le gros de notre nation n'a point d'esprit. Le petit nombre d'illustres précepteurs que les Français ont eu dans le siècle passé n'a pu encore rendre la raison universelle. Corneille, Racine, Molière, La Bruyère, Bossuet, Fénelon etc. , ont eu beau faire, le faux, le petit, le léger, sont le caractère dominant. Cependant il y a toujours le petit nombre des élus à la tête desquels je vous place. Ceux-là conduisent à la longue le troupeau : dux regit examen, mais ce n'est qu'à la longue ; et il faut des années avant que les gens d'esprit aient repétri les sots. Le Tartuffe essuya autrefois de plus violentes contradictions ; il fut enfin vengé des hypocrites. J'espère l'être des fanatiques, car enfin Mahomet est Tartuffe le Grand ; nous en raisonnerons à Paris, c'est là ma plus chère espérance, car vous y viendrez à ce Paris, et moi j'y serai dans deux ou trois mois.

 

Tout ce griffonnage, mon cher ami, avait été écrit il y a huit jours. J'ai été voir le roi de Prusse avant de finir ma lettre [v]. J'ai courageusement résisté aux belles propositions qu'il m'a faites. Il m'offre une belle maison à Berlin et une jolie terre, mais je préfère mon second étage dans la maison de Mme du Châtelet. Il m'assure de sa faveur et de la conservation de ma liberté, et je cours à Paris à mon esclavage, et à la persécution. Je me crois un petit Athénien qui refuse les bontés du roi de Perse. Il y a pourtant une petite différence. On était libre à Athènes, et je suis sûr qu'il y avait beaucoup de Cideville. Sans celà comment aurait-on pu aimer sa patrie ? C'est beaucoup qu'il y en ait un en France, et que je puisse me flatter d'avoir bientôt la consolation de l'embrasser.

 

Mme du Châtelet fait toujours ici sa malheureuse guerre de chicane [vi], et on craint à tout moment d'en voir une véritable et universelle. Quel acharnement ! ne faudra-t-il pas faire la paix après la guerre ? Eh ! morbleu que ne fait-on la paix tout d'un coup !

 

Adieu, Mme du Châtelet vous fait mille compliments. Je vous regrette, je vous aime, je voudrais passer avec vous ma vie.

 

V.

 

A Bruxelles , 10 septembre 1742 »

 

 

 

i Il n'y a de dieu qu'Allah et Mahomet est son prophète.

ii Frédéric.

iii On avait exigé que V* retire sa pièce (jouée pour la première fois le 9 août à Paris) ; elle fût retirée après la troisième représentation ; « on a remarqué, écrit un journaliste, que toutes les religions paraissaient être attaquées dans cette tragédie, sous prétexte de blâmer celle de Mahomet. »

iv Le 16 août, la Comédie française joua Polyeucte à la place de Mahomet.

v Il est parti le même jour, 1er septembre ; il rendra compte au cardinal de Fleury , le 10 août, des entretiens qu'il a eu avec Frédéric pendant deux jours.

vi Procès intenté par Mme du Châtelet pour être reconnue héritière du marquis de Trichâteau, toujours pas terminé ; cf. lettre du 19 janvier 1742 à Cideville.

 

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