05/09/2010
Votre pédant en points et virgules, et votre disciple en philosophie et en morale, a profité de vos leçons
Point et virgule : http://www.deezer.com/listen-845481
Et une Virgule qui sonne comme des points de suspension : http://www.deezer.com/listen-2845649, ça peut (dé)plaire , ...
« A Frédéric II, roi de Prusse
A Potsdam, 5 septembre [1752]
Sire,
Votre pédant en points et virgules, et votre disciple en philosophie et en morale, a profité de vos leçons, et met à vos pieds La Religion naturelle [i], la seule digne d'un être pensant. Vous trouverez l'ouvrage plus fort, et plus selon vos vues [ii]. J'ai suivi vos conseils, il en faut à quiconque écrit. Heureux qui peut en avoir de tels que les vôtres.
Si vos bataillons et vos escadrons vous laissent quelque loisir, je supplie Votre Majesté de daigner lire avec attention cet ouvrage qui est en partie l'exposition de vos idées, et en partie celle des exemples que vous donnez au monde. Il serait à souhaiter que ces opinions se répandissent de plus en plus sur la terre. Mais combien d'hommes ne méritent pas d'être éclairés !
Je joins à ce paquet ce qu'on vient d'imprimer en Hollande [iii]. Votre Majesté sera peut-être bien aise de relire l'Éloge de La Mettrie. Cet éloge est plus philosophique que tout ce que ce fou de philosophe avait jamais écrit [iv]. Les grâces et la légèreté du style de cet éloge y parent continuellement la raison. Il n'en est pas de même de la pesante lettre de Haller, qui a la sottise de prendre sérieusement une plaisanterie. La réponse grave de Maupertuis n'était pas ce qu'il fallait [v]. C'était bien le cas d'imiter Suift, qui persuadait à l'astrologue Partrige qu'il était mort [vi]. Persuader à un vieux médecin qu'il avait fait des leçons au bordel eût été une plaisanterie à faire mourir de rire.
Nous attendrons tranquillement Votre Majesté à Potsdam . Qu'irais-je faire à Berlin ? Ce n'est pas pour Berlin que je suis venu quoique ce soit une fort jolie ville, c'est uniquement pour vous. Je souffre mes maux aussi gaiement que je peux. D'Argens s'amuse et engraisse. Arius de Prades est un très aimable hérésiarque [vii]. Nous vivons ensemble en louant Dieu et Votre Majesté, et en sifflant la Sorbonne . Nous avons de beaux projets pour l'avancement de la raison humaine [viii]. Mais un plus beau projet, c'est Gustave Vaza [ix]. Il n'y a pas moyen d'y penser en Silésie, mais je me flatte qu'à Potsdam vous ne résisterez pas à la grâce efficace qui vous a inspiré ce bon mouvement. Ce sujet est admirable et digne de votre génie unique et universel.
Je me mets à vos pieds.
V. »
i V* l'envoie aussi à la margravine qui fera des observations. L'ouvrage ne sera publié qu'en 1756.
ii Ce poème avait paru trop dévot à Frédéric et V* s'en défendit . Le matérialisme cynique de La Mettrie plaisait davantage au roi et il fit son Éloge .
iii V* avait demandé à la comtesse de Bentinck le 11 et le 25 août de lui faire avoir « l'éloge de La Mettrie avec des remarques et quelques autres pièces curieuses » qu'on a imprimé en Hollande. C'est L'Éloge du sieur de La Mettrie ... avec le catalogue de ses ouvrages et deux lettres . L'Éloge est de Frédéric, les deux lettres sont de Haller à Maupertuis du 10 novembre 1751 qui répond le 25 novembre.
iv La Mettrie a publié, entre autres, L'Homme machine en 1748, L'Anti-Sénèque ou le souverain bien en 1750, L'Art de jouir en 1751, Le Petit Homme à grande queue en 1751.
v La Mettrie, sceptique, avait dédié en termes amicaux son Homme machine au pieux Haller qui avait protesté courtoisement en disant qu'il ne le connaissait pas. Alors, dans l'Art de jouir et dans Le Petit homme, La Mettrie avait parlé de prétendues grivoiseries du sérieux Haller, qui adressa une très digne lettre de protestation à Maupertuis . Celui-ci répondit que ces « plaisanteries » n'avaient pu nuire à Haller.
vi Swift écrivit en 1709 l'Account of the death of mr Partidge the almanach-maker.
vii Cf. lettre à d'Alembert du 9 septembre.
Hérésiarque, hérésie : http://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%A9r%C3%A9siarque
viii Début du Dictionnaire philosophique ? L'article Abraham sera envoyé au roi vers octobre.
ix Au cours d'un souper, Frédéric aurait conté « l'histoire de Gustave Vasa avec une éloquence si animée » que V* lui demanda de la conter en vers.
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