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05/09/2010

Hué et persécuté je serais tombé malade et on m'aurait demandé un billet de confession. J'ai pris le parti de renoncer à tous ces agréments,

 

 

 

 

« A César-Gabriel de Choiseul, comte de Choiseul, duc de Praslin

 

A Potsdam 5 septembre [1752]

 

Vos bontés constantes me sont bien plus précieuses, Monsieur, que l'enthousiasme passager d'un public [i] presque toujours égaré qui condamne à tort et à travers, juge de tout et n'examine rien, dresse des statues et les brise pour vous en casser la tête. C'est à vous plaire que je mets ma gloire.

 

Je n'aime de signal [ii] que celui auquel je reviendrai voir mes amis. A l'égard de celui de Lisois [iii], je pense qu'à la reprise on pourrait hasarder ce qu'il a été très prudent de ne pas risquer aux premières représentations.

 

Ce n'est point le héros du Nord qui m'empêche à présent de venir vous faire ma cour. C'est Louis XIV. Une nouvelle édition qu'on ne peut faire que sous mes yeux m'occupera encore six semaines pour le moins. J'ai eu de bons matériaux que je mets en oeuvre [iv]. J'ai tiré de mon absence tout le parti que je pouvais. Je suis assez comme qui vous savez. Mon royaume n'est pas de ce monde. Si j'étais resté à Paris, on aurait sifflé Rome [v] et Le Duc de Foix, la Sorbonne eût condamné Le Siècle de Louis XIV, on m'aurait déféré au procureur général pour avoir dit que le parlement fit force sottises du temps de la Fronde. Hué et persécuté je serais tombé malade et on m'aurait demandé un billet de confession. J'ai pris le parti de renoncer à tous ces agréments, de me contenter des bontés d'un grand Roi, de la société d'un grand homme, et de la plus grande liberté dont on puisse jouir dans la plus petite retraite du monde. Pendant ce temps là j'ai donné le temps à ceux qui me persécutaient à Paris de consumer leur mauvaise volonté devenue impuissante. Il y a des temps où il faut qu'un pauvre diable d'homme de lettres qui a le malheur d'avoir de la réputation succombe ou s'enfuie.

 

Si jamais ma mauvaise santé, qui me rendra bientôt inutile au roi de Prusse, me forçait de revenir m'établir en France, j'aimerais bien mieux y jouer un rôle d'un malade ignoré que d'un homme de lettres connu. Vos bontés et celles de vos amis y feraient ma principale consolation. Je me flatte que votre santé est rétablie. Pour moi je suis devenu bien vieux. Mon imagination et moi nous sommes décrépis. Il n'en est pas ainsi du sentiment. Celui qui m'attache à vous et à vos amis n'a rien perdu de sa force. Il est aussi vif qu'inviolable.

 

J'envoie une nouvelle fournée de Rome sauvée. Je ne sais si à la reprise la gravité romaine plaira à la galanterie parisienne [vi].

 

Mille tendre respects.

 

V. »

i Succès d'Amélie ou le duc de Foix le 17 août à la Comédie française.

ii Allusion au coup de canon que l'on entend dans Adélaïde du Guesclin et dont il n'est plus question dans Amélie ou le duc de Foix.

iii Le personnage de Lisois remplace dans Amélie celui de Coucy qui figurait dans Adélaïde.

iv Cf. lettre à Thibouville du 15 avril 1752.

v Rome sauvée créée à la Comédie française le 24 février 1752, jouée onze fois à Paris en 1752.

vi La pièce sera reprise à Fontainebleau le 30 octobre 1752.

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