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26/09/2010

on le traita de séditieux parce qu'il prononça un peu haut : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien."

 http://www.deezer.com/listen-929901

http://fr.wikipedia.org/wiki/Suzanne_Curchod

 

Curchod necker_Suzanne.jpg

 

 

 

« A Suzanne Necker

 

26è septembre 1770

 

Je vous crois actuellement à Paris, Madame ; je me flatte que vous avez ramené M. Necker [i] en parfaite santé. Je lui présente mes très humbles obéissances aussi bien qu'à monsieur son frère [ii], et je les remercie tous deux de la petite correspondance qu'ils ont bien voulu avoir avec mon gendre le mari de Mlle Corneille.

 

J'ai actuellement chez moi M. d'Alembert [iii] dont la santé est raffermie , et dont l'esprit juste et l'imagination intarissable adoucissent tous les maux dont il m'a trouvé accablé. J'achève ma vie dans les souffrances et dans la langueur sans autre perspective que de voir mes maux augmentés si ma vie se prolonge. Le seul remède est de se soumettre à la destinée.

 

M. Thomas fait trop d'honneur à mes deux bras, ce ne sont que deux fuseaux fort secs, ils ne touchent qu'à un temps fort court, mais ils voudraient bien embrasser ce poète philosophe qui sait penser et s'exprimer. Comme dans mon triste état ma sensibilité me reste encore, j'ai été vivement touché de l'honneur qu'il a fait aux lettres par son discours académique, et de l'extrême injustice qu'on a faite à ce discours en y entendant ce qu'il n'avait pas certainement voulu dire [iv]. On l'a interprété comme les commentateurs font Homère ; ils supposent tous qu'il a pensé autre chose que ce qu'il a dit. Il y a longtemps que ces suppositions sont à la mode.

 

J'ai ouï conter qu'on avait fait le procès dans un temps de famine à un homme qui avait récité tout haut son Pater noster, on le traita de séditieux parce qu'il prononça un peu haut : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien. »

 

Vous me parlez, Madame, du Système de la nature, livre qui fait grand bruit parmi les ignorants, et qui indigne tous les gens sensés [v]. Il est un peu honteux à notre nation que tant de gens aient embrassé si vite une opinion si ridicule. Il faut être bien fou pour ne pas admettre une grande intelligence quand on en a une si petite. Mais le comble de l'impertinence est d'avoir fondé un système tout entier sur une fausse expérience faite par un jésuite irlandais qu'on a pris pour un philosophe [vi]. Depuis l'aventure de ce Malcrais de La Vigne, qui se donna pour une jolie fille faisant des vers [vii], on n'avait point vu d'arlequinade pareille. Il était réservé à notre siècle d'établir un ennuyeux système d'athéisme sur une méprise. Les Français ont eu grand tort d'abandonner les belles-lettres pour ces profondes fadaises, et on a tort de les prendre sérieusement.

 

A tout prendre, le siècle de Phèdre et du Misanthrope valait mieux.

 

Je vous renouvelle, Madame, mon respect, ma reconnaissance et mon attachement.

 

V. »

i Son époux Jacques Necker, de retour des eaux de Spa.

http://www.deezer.com/listen-2021171 : Why not ? !

ii Le professeur Louis Necker.

iii Il resta une quinzaine de jours, accompagné de Condorcet.

iv Antoine-Léonard Thomas, pronoça un discours en recevant Loménie de Brienne le 5 septembre à l'Académie française, flatteur pour Voltaire et où on avait vu une attaque contre le Réquisitoire sur lequel est intervenu l'arrêt du parlement du 18 août 1770 qui condamne à être brûlés différents livres et brochures , 1770, de Séguier, qui avait fait condamner des ouvrages du baron d'Holbach et aussi Dieu, réponse au Système de la nature de V*. Le discours de Thomas a été saisi et sera imprimé en 1802 seulement.

v A cet ouvrage, prétendu de M. Mirabaud, en réalité du baron d'Holbach, V* répondra par Dieu, réponse au Système de la nature.

vi V* écrit le 26 août 1768 que Needham « s'imagina avoir produit des anguilles avec de la farine et du jus de mouton » et « poussa même l'illusion jusqu'à croire que ces anguilles en avaient sur le champ produit d'autres. »

vii En 1735, Desforges-Maillard envoya ses vers sous le nom de Mlle Malcrais de La Vigne car on refusait de les publier dans le

 

http://www.deezer.com/listen-550368

 

Mercure ; V* le félicita de sa plaisanterie, à laquelle il s'était lui aussi laissé prendre, et Piron y prit l'idée de sa Métromanie.

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