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07/11/2010

toutes ces misères ne troublent pas plus mon repos que la lecture de l'Alcoran ou celle des Pères de l'Église

 

 

 

« A Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

 

[vers le] 5 novembre 1764 aux Délices

 

Madame l'ange est suppliée d'être l'arbitre entre M. de Foncemagne et moi [i] ; si elle me condamne je me tiens pour très bien condamné [ii]. Je sais bien que j'ai affaire à forte partie, car c'est plutôt contre Mme la duchesse d'Aiguillon et M. le maréchal de Richelieu que contre M. de Foncemagne que je plaide [iii]. Il me semble que le procès est assez curieux.

 

Quant au portatif je ne plaide point et je décline toute juridiction. Il est très avéré que cet ouvrage (horriblement imprimé , quoiqu'il ne l'ait pas été chez les Cramer ) est fait depuis plusieurs années [iv], ce qui est très aisé à voir, puisque à l'article Chaîne des évènements, page 70, il est parlé de soixante mille Russes en Poméranie.

 

Il n'est pas moins certain que la plupart des articles étaient destinés à l'Encyclopédie, par quelques gens de lettres, dont les originaux sont encore entre les mains de Briasson. S'il y a quelques articles de moi, comme Amitié, Amour, Anthropophages, Caractères, la Chine, Fraude, Gloire, Guerre, Lois, Luxe, Vertu, je ne dois répondre en aucune façon des autres. L'ouvrage n'a été imprimé que pour tirer de la misère une famille entière. Il me parait fort bon, fort utile, il détruit les erreurs superstitieuses que j'ai en horreur, et il faut bénir le siècle où nous vivons qu'il se soit trouvé une société de gens de lettres et dans cette société des prêtres qui prêchent le sens commun. Mais enfin je ne dois pas m'approprier ce qui n'est pas de moi [v]. L'empressement très inconsidéré de deux ou trois philosophes de Paris, de donner de la vogue à cet ouvrage au lieu de ne le mettre qu'en des mains sures m'a beaucoup nui. Enfin, la chose a été jusqu'au roi qu'il fallait détromper [vi], et vous n'imagineriez jamais de qui je me suis servi pour lui faire connaitre la vérité [vii]. Je n'ai pas les mêmes facilités auprès de maitre Omer mon ennemi, qui me désigna indignement et très mal à propos il y a quelques années dans son réquisitoire contre Helvétius [viii]. Son frère l'ancien intendant de Bourgogne a fait venir le livre pour le lui remettre, et pour en faire l'usage ordinaire.

 

Cet usage ne me parait que ridicule, mais il est pour moi de la dernière importance qu'on sache bien qu'en effet l'ouvrage est de plusieurs mains, et que je le désavoue entièrement. C'est le sentiment de toute l'Académie. Je lui en ai écrit par le secrétaire perpétuel [ix]. Quelques académiciens qui avaient vu les originaux chez Briasson ont certifié une vérité qui m'est si essentielle. Au reste j'ai pris toutes mes mesures depuis longtemps pour vivre et mourir libre, et je n'aurai certainement pas la bassesse de demander, comme M. d'Argenson, la permission de venir expirer à Paris entre les mains d'un vicaire. Un des Omer disait qu'il ne mourrait pas content qu'il n'ait vu pendre un philosophe ; je peux l'assurer que ce ne sera pas moi qui lui donnerai ce plaisir.

 

Soyez bien persuadée, Madame, que d'ailleurs toutes ces misères ne troublent pas plus mon repos que la lecture de l'Alcoran ou celle des Pères de l'Église, et soyez encore plus persuadée de mon tendre et inviolable respect.

 

Voulez-vous bien, Madame, donner à M. de Foncemagne ma réponse dans laquelle je ne crois avoir manqué à aucun des égards que je lui dois ?

 

N.B. - Je reçois la petite lettre de M. le duc de Praslin. C'était, ne vous déplaise, M. l'évêque d'Orléans [x] qui avait déjà parlé, mais je préfère la protection de M. de Praslin à celle de tout le clergé. Pour M. le duc de Choiseul, il m'a écrit : Vieux Suisse, vieille marmotte, vous vous agitez comme si vous étiez dans un bénitier, et vous vous tourmentez pour bien peu de chose [xi].

Je ne suis pas tout à fait de son avis, [xii

 

i L'Arbitrage entre M. de Voltaire et M. de Foncemagne (1765) que V* ne donne pas sous son nom. C'est la reprise du débat sur l'authenticité du Testament politique ... du cardinal de Richelieu. Foncemagne vient de donner une nouvelle édition du Testament en ajoutant un Essai sur l'authenticité. V* répondit par les Doutes nouveaux sur le Testament attribué au cardinal de Richelieu.

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tienne_Laur%C3%A9ault_de_Foncemagne

 

ii V* remercia les d'Argental le 27, de lui avoir signalé une erreur, après leur avoir répondu sèchement le 14 novembre suite à leurs critiques.

 

iii V* considère Foncemagne comme « l'avocat » de Richelieu et de la duchesse d'Aiguillon en ce qui concerne « le testament de leur grand oncle » ; cf. lettre du 5 novembre à d'Argental.

 

iv Le Dictionnaire philosophique a été imprimé clandestinement en juillet à Genève chez Grasset ; cf. lettre du 19 octobre à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/18/j...

 

v Cf. lettres du 19 octobre à Damilaville et à d'Alembert pour connaitre les articles que V* invoque pour sa défense.

 

vi Cf. lettre du 20 octobre à d'Argental et celle du 19 octobre à d'Alembert.

 

vii V* pense sans doute au président Hénault, que le roi aurait consulté, auquel il a écrit le 20 octobre ; cf. lettre du 2 novembre à Damilaville .

 

viii A savoir le livre De l'esprit en 1759 ; V* verra son Poème sur la loi naturelle condamné en même temps.

 

ix V* écrivit le 20 octobre et le 2 novembre à Duclos et la lettre du 20 fut lue à l'Académie le 27.

 

x Louis Sextius de Jarente de La Bruyère.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Sextius_Jarente_de_La_...

 

xi Le duc avait écrit le 27 octobre à peu près ces paroles, mais aussi « vous désavouez le livre sans que l'on vous en parle, à la bonne heure ; mais vous ne me persuaderez jamais qu'il n'est pas de vous ; le silence sur cet ouvrage était très prudent ; vos lettres multipliées sont une preuve de plus qu'il est de vous et que vous avez peur. Soyez tranquille, et tout le sera à votre égard ... »

 

xii Il manque la fin sur la copie .

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