27/01/2011
Je sais que le bien que l'on dit d'un homme ne passe guère la porte de la chambre où on en parle, et que la calomnie va à tire-d'aile jusqu'aux ministres
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Et chantez les premières phrases de cette lettre sur cet air :
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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
Conseiller au parlement , rue Neuve-saint Augustin à Paris.
A Amsterdam ce 27 janvier 1737
Respectable ami, je vous dois compte de ma conduite. Vous m'avez conseillé de partir, et je suis parti, vous m'avez conseillé de ne point aller en Prusse, et je n'y ai point été. Voici le reste que vous ne savez pas. Rousseau i apprit mon passage par Bruxelles, et se hâta de répandre et de faire insérer dans les gazettes que je me réfugiais en Prusse, que j'avais été condamné à Paris à une prison perpétuelle etc ii. Cette belle calomnie n'ayant pas réussi, il s'avise d'écrire que je prêche l'athéisme à Leyde iii. Là-dessus il forge une histoire, et on envoie ces contes bleus à Paris, où sans doute la bonté du prochain ne les laissera pas tomber par terre. On iv m'a renvoyé de Paris une des lettres circulaires qu'il a fait écrire par un moine défroqué qui est son correspondant à Amsterdam v. Ces calomnies si réitérées, si acharnées et si absurdes ne peuvent ici me porter coup, mais elles peuvent beaucoup me nuire à Paris. Elles m'y ont fait déjà des blessures, elles rouvriront les cicatrices. Je sais par expérience combien le mal réussit dans une belle et grande ville comme Paris, où l'on n'a guère d'autre occupation que de médire. Je sais que le bien que l'on dit d'un homme ne passe guère la porte de la chambre où on en parle, et que la calomnie va à tire-d'aile jusqu'aux ministres. Je suis persuadé que si ces misérables bruits parviennent à vous , vous en verrez aisément la source, et l'horreur, et que vous préviendrez l'effet qu'ils peuvent faire. Je voudrais être ignoré, mais il n’y a plus moyen. Il faut se résoudre à payer toute ma vie quelques tributs à la calomnie. Il est vrai que je suis taxé un peu haut ; mais c’est une sorte d’impôt fort mal réparti. Si l’abbé de Saint-Pierre vi a quelque projet pour arrêter la médisance, je le ferai volontiers imprimer à mes dépens.
Du reste je vis assez en philosophe, j’étudie beaucoup, je vois peu de monde, je tâche d’entendre Newton, et de le faire entendre. Je me console, avec l’étude, de l’absence de mes amis. Il n’y a pas moyen de refondre à présent l’Enfant prodigue. Je pourrais bien travailler à une tragédie le matin, et à une comédie le soir ; mais passer en un jour de Newton à Thalie, je ne m’en sens pas la force.
Attendez le printemps, Messieurs ; la poésie servira son quartier ; mais à présent c’est le tour de la physique. Si je ne réussis pas avec Newton, je me consolerai bien vite avec vous. Mille tendres respects, je vous en prie, à M. votre frère. Je suis bien tenté d’écrire à Thalie vii ; je vous prie de lui dire combien je l’aime, combien je l’estime. Adieu ; si je voulais dire à quel point je pousse ces sentiments-là pour vous, et y ajouter ceux de mon éternelle reconnaissance, je vous écrirais des in-folio de bénédictins.
V.
Quand vous aurez quelques ordres à me donner, adressez vos lettres à MM. Ferrand et Darty, négociants à Amsterdam , sans autre nom, sans autre enveloppe, la lettre me sera surement rendue. »
i Jean-Baptiste Rousseau.
ii La Gazette d'Utrecht a annoncé le 3 janvier que V* a sans doute quitté définitivement la France puisque pour échapper à l'emprisonnement il était parti sur le territoire lorrain, à Cirey en 1734.
iii Le 1er mars, V* précise : « C'est lui qui écrivait et qui faisait écrire ... que j'avais soutenu une thèse d'athéisme à Leyde contre M. Sgravesende, qu'on m'avait chassé de l'université etc. Vous êtes instruit de la lettre de M. Sgravesende dans laquelle cette indigne et absurde calomnie est si pleinement confondue. »
Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/pages/Annee_1737_Partie...
iv Formont peut-être ?
v Jean-Baptiste de La Varenne, rédacteur entre autres de l'Observateur. Voir 5.1.3 page 247 : ttps://openaccess.leidenuniv.nl/.../Thèse+complète+Leyde+revue+bis.pdf
vi Charles-Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre, auteur d'un Projet de paix perpétuelle.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k105087z
http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Ir%C3%A9n%C3%A9e_Cas...
vii Mlle Quinault.
Je ne connais pas le talent de chanteuse de Mlle Quinault, mais j'ai de la tendresse pour Isabelle Aubret :
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