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27/01/2011

Tout ce qu'on pourra faire sera d'éclairer peu à peu la jeunesse qui peut avoir un jour quelque part dans le gouvernement, et de lui inspirer insensiblement des maximes plus saines et plus tolérantes

Je ne résiste pas au plaisir de faire paraitre cette lettre de Volti qui montre ses idées de progrès pour un meilleur monde, et lui, agé de 82 ans qui voit, encore une fois, cet avenir aux mains de jeunes bien formés .

Depuis le XVIIIè siècle, qu'en est-il de ces idées généreuses ?

Faut-il en arriver à la révolte/révolution des jeunes ?

http://www.deezer.com/listen-1967273

http://www.deezer.com/listen-1967282

 

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"Il faut bien lui laisser le plaisir de se faire valoir." , petite citation que je réserve ce jour à un petit nerveux en costume sombre qui veut faire la leçon à d'autres gugusses dans la même tenue , tout ça pour qu'on vote à nouveau , -ce qu'à Dieu ne plaise-, pour le garder cinq ans de plus !

Ici, je suis particulièrement injuste, je l'avoue, car cette phrase est applicable à tant de nos hommes/femmes politiques dont je vous laisse le libre choix , et à ceux qui s'amusent au petit jeu des amendements juste pour prouver qu'ils existent (tant à droite qu'à gauche ),et à ceux qui lancent des grèves liberticides et crétines (scieurs de branches sur lesquelles ils sont assis ). Privilèges de nantis !


 

 

« A Marie-Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet

 

27è janvier 1776

 

Votre lettre du 16 janvier, mon cher et respectable philosophe, est arrivée saine et sauve, et vous pouvez écrire en toute assurance à ce vieux malade qui vous sera tendrement attaché jusqu'à sa mort.

 

Je me doutais bien que le prétendu refroidissement entre deux grands hommes i, faits pour s'aimer, était une de ces absurdes calomnies dont votre ville de Paris est continuellement inondée. Une nouvelle plus vraie me désole, c'est la goutte et la fièvre du meilleur ministre des Finances que jamais la France ait eu ii. Je suis tombé dans le malheureux contretemps de lui envoyer un long mémoire en qualité de commissionnaire de nos petits États iii. Je ne pouvais deviner qu'un accès de goutte le mit au lit, dans le même temps que je lui écrivais. Je l'avais prié de me faire réponse par M. Dupont iv en marge de mon mémoire, et si vous voyez M. Dupont je vous serai très obligé de vouloir bien lui en dire un mot.

 

Je ne crains point la compagnie du métier de saint Matthieu, que vous appelez la canaille du sel v, notre grand ministre nous en a délivrés pour nos étrennes vi, et probablement pour jamais. Sa déclaration est enfin enregistrée au parlement de Dijon. Ce parlement s'est réservé de faire des remontrances ; mais elles seront peu importantes et assez inutiles . Il faut bien lui laisser le plaisir de se faire valoir.

 

Les deux canailles vii dont vous me parlez, me font toujours trembler . J'ai été trop heureux de tirer d'Etallonde des griffes de l'une viii; mais je vois avec douleur qu'on ne pourra jamais ôter à l'autre le droit de faire du mal, surtout quand ces deux canailles sont jointes ensemble pour nuire au genre humain. Vous avez bien vu par l'aventure arrivée à La Harpe combien cette réunion est à craindre ix.

 

Je vous conjure encore une fois de ne pas souffrir qu'aucun de vos amis x se donne le funeste plaisir de m'imputer des ouvrages qui m'exposent à la fureur de ces persécuteurs éternels. Soyez très sur que le ministère n'oserait jamais soutenir un homme qui serait poursuivi par eux . Vous avez vu que M. Turgot lui-même n'a pu, ni voulu, défendre dans le Conseil un petit ouvrage qui était uniquement à sa gloire xi, et qu'il a laissé condamner M. de La Harpe pour avoir loué cet ouvrage dans le Mercure.

 

Il y a une autre canaille à laquelle on sacrifie tout ; et cette canaille est le peuple . C'est elle, il est vrai, que les trois autres réduisent à la mendicité, mais c'est pour elle qu'on va à la messe, à vêpres et au salut ; c'est pour elle qu'on rend le pain bénit ; c'est pour elle qu'on a condamné le chevalier de La Barre et d'Etallonde au supplice des parricides . On voudra toujours mener cette canaille par le licou qu'elle s'est donnée elle-même. C'est pour elle qu'on touchera toujours les écrouelles xii, c'est pour elle même qu'on laissera subsister les moines qui dévorent sa substance. Nous ne pourrons jamais détruire les abus qu'on a le malheur de croire nécessaires au maintien des États, et qui gouvernent presque toute l'Europe. Ces abus sont le patrimoine de tant d'hommes puissants qu'ils sont regardés comme des lois fondamentales . Presque tous les princes sont élevés dans un profond respect pour ces abus. Leurs nourrices et leurs précepteurs leur mettent à la bouche le même frein que le cordelier et le récollet mettent à la gueule du charbonnier et de la blanchisseuse. Tout ce qu'on pourra faire sera d'éclairer peu à peu la jeunesse qui peut avoir un jour quelque part dans le gouvernement, et de lui inspirer insensiblement des maximes plus saines et plus tolérantes. Ne nous refroidissons point, mais ne nous exposons pas . Songez que les premiers chrétiens mêmes laissaient mourir leurs martyrs . Soyez sûr qu'on soupait gaiement dans Carthage le jour qu'on avait pendu saint Cyprien.

 

Vous me parlez des esclaves de Franche-Comté xiii. Je vous assure que ces esclaves ne feraient pas la guerre de Spartacus pour sauver un philosophe. Cependant, il faut les secourir puisqu'ils sont hommes . J'attends le moment favorable pour faire présenter une requête à M. Turgot, et à M. de Malesherbes xiv. Nous avons retrouvé un édit minuté sous Louis XIV par le premier président Lamoignon, bisaïeul de M. de Malesherbes : cet édit abolissait la mainmorte pour tout le royaume, selon les vues de saint Louis, de Louis Hutin, et de plusieurs de nos rois . L'accomplissement d'un tel ouvrage serait bien digne du gouvernement présent. Je ne doute pas que vous n'en parliez à ces deux dignes ministres , avec votre éloquence de la vertu, quand cette requête sera envoyée dans un temps favorable.

 

J'attends les nouveaux ouvrages de M. Turgot xv, contre lesquels on se déchaîne sans les connaître . Il ne faut courir ni deux lièvres, ni deux édits à la fois.

 

Je vous embrasse tendrement, vous et votre digne ami M. d'Alembert . Je vous demande en grâce de m'écrire ce que vous pensez tous deux de ma lettre . Conservez-moi l'un et l'autre une amitié qui fait la consolation de mes derniers jours.

 

V. »

 

i D'Alembert et Condorcet.

 

ii Turgot.

 

iii Prières et Questions adressées à M. Turgot, contrôleur général, envoyées le 13 janvier : page 441 : http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres...

V* demande pour le pays de Gex la permission pour des achats avantageux de sel, et permission de faire participer les commerçants au paiement des tente milles livres d'indemnités aux fermiers généraux, l'exemption d'impôt sur la marque des cuirs, l'application du décret de liberté de commerce des blés . Le 19 janvier, par Bouvard de Fourqueux, il a envoyé une Supplique à M. Turgot pour demander entre autres « la permission de faire venir toutes les marchandises de Marseille avec la même exemption de droits dont Genève jouit. » ; page 443 : http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres...

 

iv Dupont de Nemours.

 

v Les fermiers généraux.

 

vii Le parlement et les dévots.

 

viii Le parlement.

 

ix Le parlement avait condamné le censeur Louvel et le Mercure parce que La Harpe avait fait dans ce journal compte-rendu et citations de la Diatribe à l'auteur des Éphémérides, de V*.L'Assemblée du clergé avait fait condamner la Diatribe elle-même par le Conseil ; cf. lettre à La Harpe du 3 septembre 1775 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/03/e...

et Page 369 : http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres...

 

x Allusion à l'affaire de l'Épitre adressée à Tressan, dans laquelle V* a même soupçonné Condorcet ; Cf. lettre à Condorcet et d'Alembert du 8 avril 1775 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/04/08/l...

 

 

xi La Diatribe de V* concernant le commerce des blés.

 

xii Cf. lettre à Frédéric II du 7 juillet 1775 : voir deuxième lettre de la note http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/07/06/l...

 

xiii Paysans de Saint-Claude (Jura) soumis à la mainmorte par les moines.

 

xiv En première intention, Christin, avocat , a perdu leur procès au parlement de Besançon .

 

xv Nouveaux édits en préparation : 1° suppression des corvées, 2° suppression des droits établis à Paris sur les grains, 3° suppression des offices inutiles créés sur les ports, quais, halles et marchés de Paris, 4° suppression des jurandes, maîtrises et corporations, 5° suppression de la caisse de Poissy*, 6° diminution des droits sur les suifs.

Voir par exemple : *Caisse de Poissy : page 175 : http://books.google.be/books?id=MYYCAAAAMAAJ&pg=PA175...

 

 

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