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14/03/2011

l’amour : c’est une passion pour laquelle j’ai le plus profond respect ; mais je pense, comme Votre Majesté, qu’il ne faut pas qu’elle se développe de très bonne heure

Avec les Demoiselles de Saint-Cyr :

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Et indirectement, pour St François (de Volti ?! ):

http://www.deezer.com/listen-2743009

Gloire (à Catau ?! ) :

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« A Catherine II, impératrice de Russie

 

 

A Ferney, 12è mars 1772

 

         Madame,

 

La lettre de votre majesté impériale, du 30 Janvier/10 février, bien ou mal datée i, semble m’avoir ranimé, comme vos lettres à vos généraux d’armée semblent devoir faire tomber Moustapha en faiblesse.

 

L’article de vos cinq cents demoiselles ii m’intéresse infiniment. Notre Saint-Cyr n’en a pas deux cent cinquante. Je ne sais si vous leur faites jouer des tragédies ; tout ce que je sais, c’est que la déclamation, soit tragique, soit comique, me paraît une éducation excellente, qui donne de la grâce à l’esprit et au corps, qui forme la voix, le maintien, et le goût ; on retient cent passages qu’on cite ensuite à propos ; cela répand des agréments dans la société, cela fait tous les biens du monde.

 

Il est vrai que toutes nos pièces roulent sur l’amour : c’est une passion pour laquelle j’ai le plus profond respect ; mais je pense, comme Votre Majesté, qu’il ne faut pas qu’elle se développe de très bonne heure. On pourrait, ce me semble iii, retrancher de quelques comédies choisies les morceaux les plus dangereux pour de jeunes cœurs, en laissant subsister l’intérêt de la pièce ; il n’y aurait peut-être pas vingt vers à changer dans le Misanthrope, et pas quarante lignes dans l’Avare.

 

Si ces demoiselles jouent des tragédies, un jeune homme de mes amis iv en a fait une depuis peu, dans laquelle on ne peut pas dire que l’amour joue un rôle : ce sont deux espèces de Tartares qui se regardent plutôt comme époux que comme amants ; je l’enverrai à Votre Majesté Impériale dès qu’elle sera imprimée. Si elle juge qu’on puisse former un théâtre de nos meilleurs auteurs pour l’éducation de votre Saint-Cyr, je ferai venir de Paris des tragédies et des comédies en feuilles ; je les ferai brocher avec des pages blanches, sur lesquelles je ferai écrire les changements nécessaires pour ménager la vertu de vos belles demoiselles. Ce petit travail sera pour moi un amusement v, et ne nuira pas à ma santé, toute faible qu’elle est. Je serai d’ailleurs soutenu par le plaisir de faire quelque chose qui puisse vous plaire.

 

Je suppose que votre bataillon de cinq cents filles est un bataillon d’amazones, mais je ne suppose pas qu’elles bannissent les hommes ; il faut bien qu’en jouant des pièces de théâtre, la moitié pour le moins de ces jeunes héroïnes fasse des personnages de héros ; mais comment feront-elles celui de vieillard dans les comédies ? En un mot, j’attends les instructions et les ordres de Votre Majesté sur tout cela.

 

Je doute que Moustapha donne une si bonne éducation aux filles de son sérail. Je le crois d’ailleurs, en comique, un fort mauvais plaisant, et, en tragique, je ne le crois pas un Achille.

 

Ce que j’admire, Madame, c’est que vous satisfaites à tout ; vous rendez votre cour la plus aimable de l’Europe, dans le temps que vos troupes sont les plus formidables. Ce mélange de grandeur et de grâces, de victoires et de fêtes, me paraît charmant. Tout mon chagrin est d’être dans un âge à ne pouvoir être témoin de tous vos triomphes en tant de genres, et d’être obligé de m’en rapporter à la voix de l’Europe.

 

J’ai bien un autre chagrin, c’est que mes compatriotes soient dans Cracovie , au lieu d’être à Paris vi. Je ne peux pas dire que je souhaite qu’ils vous soient présentés avec le grand-vizir par quelques-uns de vos officiers : cela ne serait pas honnête, et on dit qu’il faut être bon citoyen ; j’attends le dénouement de cette affaire, et celui de la pièce que l’on joue actuellement en Dannemark vii.

 

Le vieux malade se met aux pieds de Votre Majesté impériale avec le profond respect et l’attachement qu’il conservera jusqu’au dernier moment de sa vie.

 

V. »

 

 

 

 

 

 

i Rappel des deux dates mises sur les lettres de Catherine « ancien style » et « nouveau style », selon l'ancien ,-julien-, et le nouveau, -grégorien-, calendrier .

http://fr.wikipedia.org/wiki/Calendrier_gr%C3%A9gorien

 

ii Qu'elle fait éduquer dans un ancien couvent .

 

iii L'impératrice l'avait « prié de donner conseils » .

 

iv V*, sous le couvert du prétendu auteur des Lois de Minos .

 

v Catherine répondra : « Ah! Monsieur, vous m'obligerez infiniment si vous entreprenez en faveur de ces aimables enfants le travail que vous nommez un amusement , et qui coûterait tant de peine à tout autre ... »

Voir lettre 111 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-...

 

vi « Ils faisaient la plus glorieuse résistance dans le château de la ville », selon Georges Avenel qui annotera les Œuvres de Voltaire au XIXè siècle .

Ces officiers français étaient partis soutenir les Confédérés polonais . Entrés dans Cracovie dans la nuit du 1er au 2 février . Catherine répondra à V* le 30 mars /10 avril (ou 23 mars/3 avril) : « N'ayez pas peur ... vos Parisiens ... » ;

voir lettre 111 ci-dessus

et lettre du 30 mai à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/06/13/q...

 

vii Struensee, réformateur philosophe et ministre autoritaire, amant de la reine, est accusé de complot contre le roi, arrêté le 17 janvier 1772 et sera décapité le 28 avril 1772 . Frédéric décrit ce complot le 1er mars à V*.

 

http://www.deezer.com/listen-2743020
Ite missa est !...

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