Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/11/2010

je tâche de me corriger, moi et mes ouvrages, dans un âge où l'on prétend qu'on est incapable de tout

 

Note écrite le 31 juillet 2011 pour parution le 26 novembre 2010 .

 

 

 

« A Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville

rue de Beaune à Paris

 

26è novembre 1777

 

Je dois autant de reconnaissance que d'estime au vrai Baron 1, plus connaisseur que Baron . Nous sommes encore bien loin de livrer Irène aux bêtes féroces du parterre de Paris . Mais j'ai eu le temps de remédier aux très grands défauts que vous aviez trouvés au second acte, quand on vient annoncer au prince Alexis Comnène en présence d'Irène qu'il est mandé par l'empereur 2. C'est assurément un coup de théâtre qui méritait qu'Alexis en parlât avec plus d'étendue . Je n'ai pas manqué d'envoyer cette addition à l'ange exterminateur, redevenu l'ange sauveur 3.

 

Permettez-moi de résister obstinément aux autres critiques qui sont trop contraires à l'esprit dans lequel j'ai fait Irène . J'avais tenté d’abord de rendre son mari tout à fait odieux, afin de la justifier . Je m'aperçus bien vite qu'alors elle devenait ridicule de s'obstiner à être fidèle, et de se tuer très sottement pour ne pas manquer à la mémoire d'un méchant homme . J'ai vu évidemment qu’il faut avoir quelque reproches à se faire pour qu'on soit bien reçue à se tuer entre son père et son amant .

 

A l'égard de la catastrophe, il faut bien se donner de garde de l'allonger . Le parterre s'en va dès que l'héroïne est morte . Il ne faut que le spectacle attendrissant de l'amant et du père qui disent chacun deux mots aux genoux de la mourante ; Omne supervacuum pleno de pectore manat 4.

 

L'ascendant d'un vieillard fanatique sur une enfant, c'est à dire sur une fille, et non pas sur un garçon, ne peut fournir aucune allusion . Vous savez bien qu'il n'y a dans votre pays aucun fanatique qui gouverne sa fille enfant .

 

Mon imagination décrépite est d'ailleurs aux ordres de votre critique judicieuse, et mon cœur est encore plus aux ordres de votre cœur . Vous vous êtes heureusement corrigé de l'habitude affreuse de m'écrire deux fois par an quatre mots indéchiffrables qui ne signifiaient rien . Cela est bon pour la petite poste de Paris pour avertir un homme oisif qu'il est prié à souper chez une femme oisive, avec des gens qui n'ont rien à faire , ni à dire . Je n'ai pas un moment à moi dans la journée ; je suis accablé de travaux incroyables, de maladies et d'années, et cependant je trouve encore des moments pour raisonner avec vous , pour vous dire que je vous aime tendrement, surtout quand vous secouez avec moi votre paresse, et je viendrai vous voir si je puis jamais supporter le voyage, et si je ne meurs point en chemin . Mais la destinée m'a toujours contredit . Nous formons des projets avec Mme Denis, avec M. et Mme de Villette, nous arrangeons ces projets à midi et nous en découvrons toutes les impossibilités à deux heures . Cette Mme Denis vous écrit à la fin . Vous voyez bien qu'on n'est pas incorrigible . Pour moi je tâche de me corriger, moi et mes ouvrages, dans un âge où l'on prétend qu'on est incapable de tout . Je n'en crois rien . Si j'avais fait une faute à cent ans, je voudrais la réparer à cent un . Adieu ; si j'avais tort de vous aimer, je ne m'en corrigerais pas .

 

V. »

3 D'Argental .

4 Tout ce qui est surabondant est un trop-plein pour l'esprit et s'en échappe .

Les commentaires sont fermés.