26/11/2010
Il faut vouloir ce qu'on ne peut empêcher.
Moustapha du XXIè siècle, peu glorieux : http://www.deezer.com/listen-5500238
« A Catherine II, impératrice de Russie
A Ferney 26 novembre 1770
Madame,
Il faut vouloir ce qu'on ne peut empêcher. Je vois qu'on obligera ce gros Moustapha à vous demander la paix. Mais au nom de Jésus-Christ notre Sauveur faites-la lui payer bien cher. Quand Votre Majesté Impériale sera devenue son amie, je l'appellerai Sa Hautesse. On a débité qu'il voyait familièrement l'ambassadeur d'Angleterre deux fois par semaine et qu’il lui parlait en italien i; j’ai bien de la peine à le croire : les Turcs apprennent l’arabe tout au plus. Je connais des souveraines fort supérieures en tout aux Moustapha, qui parlent plusieurs langues en perfection ; mais pour le padischa de Stamboul, je doute fort qu’il ait ce mérite, et qu’il ait chez lui une académie.
On dit aussi qu’il va confier ses armées invincibles à son frère, ce qui contredit un peu les desseins pacifiques qu’on lui attribue . Mais son frère en sait-il plus que lui ? et puisqu’il est padischa, pourquoi ne commande-t-il pas ses armées lui-même ?
Je m’imagine qu’il tremblerait de peur devant l’un des quatre Orlof, qui valent mieux que les quatre fils Aymon, et qui sont des héros plus réels.
Je plains beaucoup plus l’anarchie polonaise que l’insolence ottomane : toutes les deux sont dans la détresse qu’elles méritent. Vive le roi de la Chine, qui fait des vers ii, et qui est en paix avec tout le monde !
J’avoue à Votre Majesté que je déteste le gouvernement papal iii. Je le trouve ridicule et abominable ; il a abruti et ensanglanté la moitié de l’Europe pendant trop de siècles. Mais le Ganganelli qui règne aujourd’hui est un homme d’esprit, qui sent apparemment combien il est honteux de laisser la ville de Constantin à des barbares, ennemis de tous les arts, et qu’il faut préférer des Grecs, quoique schismatiques, à des mahométans. Le roi de Sardaigne , qui a des droits à l’île de Cipre iv, n’aime point ces barbares. Mais, encore une fois, je ne comprends pas l’indifférence des Vénitiens, qui pourraient reprendre Candie en trois mois ; encore moins l’impératrice-reine v, à qui Belgrade, la Bosnie, et la Servie, étaient ouvertes. On est devenu bien modéré avec les Turcs, et bien honnête.
Pardon, Madame, de mes réflexions ; mais vous avez daigné m’accoutumer à dire ce que je pense, et on pardonne tout aux grandes passions.
Que Votre majesté Impériale daigne agréer toujours le profond respect et l'attachement inviolable du vieil ermite de Ferney. »
i Réponse de Catherine le 12/23 décembre disant « qu'aucun ministre étranger ne voit le sultan que dans les audiences publiques » et que « Moustapha ne sait que le turc. » Cf. lettre 68 de : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-...
ii Cf lettre à Thiriot du 26 novembre ; cf. : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/24/s...
iii Le 9/20 octobre Catherine écrivit : « Je trouve qu'il n'y a que le pape et le roi de Sardaigne qui aient du mérite en Italie. » ; cf. lettre 59 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-...
v Marie-Thérèse d'Autriche.
05:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.