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01/01/2013

Mon intention n'est pas de dire combien il y avait de vessies de cochon à la fête des cardinaux

... Princes de l'Eglise, que n'êtes vous seulement 4 , ce qui serait suffisant pour nous orienter, si tant est que vous fussiez remarquables ; mais bon, vous n'êtes pas au(x) point(s) : dixit GPS 1er .

Perdons le nord un instant

 vessie de porc.jpg

 

 

« A M. Claude-Etienne DARGET. 1

Aux Délices, 5 octobre 1757.

Bénis soient les Russes, qui m'ont procuré une de vos lettres, mon cher monsieur ! Vous êtes un homme charmant; on voit bien que vous n'abandonnez pas vos amis au besoin. Mais comment l'écrit, que vous avez la bonté de m'envoyer, vous est-il parvenu? Savez-vous bien que c'est pour moi que le roi de Prusse avait bien voulu faire rédiger ce mémoire ?2 Il est parmi mes paperasses depuis 1738, et j'en ai même fait usage dans les dernières éditions de la Vie de Charles XII. Je l'ai négligé depuis comme un échafaudage dont on n'a plus besoin. J'en avais même égaré une partie, et vous avez la bonté de m'en faire parvenir une copie entière dans le temps qu'il peut m'être plus utile que jamais. Il est vrai que l'impératrice de Russie a paru souhaiter que je travaillasse à l'histoire du règne de son père, et que je donnasse au public un détail de cette création nouvelle. La plupart des choses que M. de Vokenrodt a dites étaient vraies autrefois, et ne le sont plus. Pétersbourg n'était autrefois qu'un amas irrégulier de maisons de bois; c'est à présent une ville plus belle que Berlin, peuplée de trois cent mille hommes; tout s'est perfectionné à peu près dans cette proportion. Le czar a créé, et ses successeurs ont achevé. On m'envoie toutes les archives de Pierre le Grand. Mon intention n'est pas de dire combien il y avait de vessies de cochon à la fête des cardinaux qu'il célébrait tous les ans, ni combien de verres d'eau-de-vie il faisait boire aux filles d'honneur à leur déjeuner, mais tout ce qu'il a fait pour le bien du genre humain dans l'étendue de deux mille lieues de pays. Nous ne nous attendions pas, mon cher ami, quand nous étions à Potsdam, que les Russes viendraient à Kœnigsberg avec cent pièces de gros canon, et que M. de Richelieu serait dans le même temps aux portes de Magdebourg. Ce qui pourra peut-être encore vous étonner, c'est que le roi de Prusse m'écrive aujourd'hui, et que je sois occupé à le consoler. Nous voilà tous éparpillés. Vous souvenez-vous qu'entre vous et Algarotti c'était à qui décamperait le premier ? Mais que devient votre fils ? est-il toujours là ? ou bien avez-vous la consolation de le voir auprès de vous ? Je vous serais très-obligé de m'en instruire. J'aime encore mieux des mémoires sur ce qui vous regarde que sur l'empire de Russie; cependant, puisque vous avez encore quelques anecdotes sur ce pays-là, je vous serai aussi fort obligé de vouloir bien m'en faire part. J'ai reçu votre paquet contre-signé Bouret cette voie est prompte et sûre. Je m'amuserai dans ma douce retraite avec l'empire de Russie, et je verrai en philosophe les révolutions de l'Allemagne, tandis que vous formerez de bons officiers dans l'École militaire . M. Duverney doit être déjà bien satisfait des succès de cet établissement, par lequel il s'immortalise. Il faut qu'il travaille et qu'il soit utile jusqu'au dernier moment de sa vie. Je me flatte que la vôtre est heureuse, que votre emploi vous laisse du loisir, et que vous ne vous repentez pas d'avoir quitté les bords de la Sprée. Il ne reste plus là que ce pauvre d'Argens; je le plains, mais je plains encore plus son maître. Mon jardin est beaucoup plus agréable que celui de Potsdam, et heureusement on n'y fait point de parade. Je me laisse aller, comme je peux, au plaisir de m'entretenir avec vous sans beaucoup de suite, mais avec le plaisir qu'on sent à causer avec son compatriote et son ami. Il me semble que nous nous retrouvons; je crois vous voir et vous entendre. Conservez votre amitié au Suisse

 

VOLTAIRE. »

 

 

1    Ancien lecteur et secrétaire de Frédéric II de 1749 à 1756 ; voir : http://ub-dok.uni-trier.de/argens/pic/pers/Darget.php

 

2  Frédéric II avait peut-être envoyé les originaux ou une copie .

 

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