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10/01/2016

je n'ai jamais trop été du goût de mettre des vers au bas d'un portrait

... Pas plus que des vers au pied d'un cercueil !

 

 

« A Ivan Ivanovitch Schouvalov

Au château de Ferney par Genève

10 janvier 1761 1

Monsieur, je n'ai jamais trop été du goût de mettre des vers au bas d'un portrait ; cependant puisque vous voulez en avoir pour l'estampe de Pierre le Grand, en voici quatre que vous me demandez :

Ses lois et ses travaux ont instruit les mortels ;

Il fit tout pour son peuple, et sa fille l'imite .

Zoroastre, Osiris, vous eûtes des autels :

Et c'est lui qui les mérite .2

Le seul nom de Pierre le Grand, monsieur, vaut assurément mieux que ces quatre vers ; mais puisqu'il y est question de son auguste fille, je demande grâce pour eux .

M. de Soltikoff m'a dit qu'il n'avait aucune nouvelle de M. Puskin, que personne n'en avait eu depuis son départ de Vienne , il est à craindre que dans un voyage il n'ait été pris par les Prussiens ; quoi qu'il en soit, je n'ai encore aucuns matériaux pour le second volume . J'ai déjà eu l'honneur de mander plusieurs fois à Votre Excellence qu'il est impossible de faire une histoire tolérable sans un précis des négociations et des guerres ; mon âge avance, ma santé est faible, j'ai bien peur de mourir sans avoir achevé votre édifice . Ce qui achèverait de me faire mourir avec amertume, ce serait d'ignorer si la digne fille de Pierre le Grand , a daigné agréer le monument que j'ai élevé à l'honneur de son père . L'amour qu'elle a pour sa mémoire me fait espérer qu'elle voudra bien descendre un moment du haut rang où le ciel l'a placée, pour me faire assurer par Votre Excellence qu'elle n'est pas mécontente de mon travail ; c'est ainsi que nos rois ont la bonté d'en user, même avec leurs propres sujets . Les lettres du roi Stanislas que vous avez eu la bonté de m'envoyer, monsieur, sont une preuve de l'état déplorable où il était alors ; je crois que les réponses de l'empereur Pierre le Grand seraient encore plus curieuses . C'est sur de pareilles pièces qu'il est agréable d'écrire l'histoire ; mais n'ayant presque rien depuis la paix de Pruth, il faut que je reste les bras croisés . Quand il plaira à Votre Excellence de me mettre la plume à ma main, je suis tout prêt .

Je présume, monsieur, que vous avez daigné écrire au secrétaire d'ambassade en Hollande, pour faire venir le ballot, que j'ai eu l'honneur d'adresser pour vous, à feu M. le comte de Gollofskin ; je me flatte aussi que vous avez reçu les petits paquets que j'ai adressés en droiture à Votre Excellence par M. le duc de Choiseul, ministre d’État en France, et par M. le comte de Choiseul, ambassadeur de France à Vienne .

Je finis par vous assurer de tous les vœux que je fais pour votre bonheur particulier, et pour la prospérité de vos armes . J'ai l'honneur d'être avec un attachement sincère et respectueux,

monsieur

de Votre Excellence

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire . »

 

1 Les éditions à la suite et comme celle de Kehl omettent toutes l'avant-dernier paragraphe : Je présumme … Vienne .

2 Ces vers reviennent, sous une forme légèrement améliorée, dans la lettre du 30 mars 1761 à Schouvalov : « Ses lois et ses travaux ont instruit les mortels ; / Il les rendit heureux ; et sa fille l'imite ./ Jupiter, Osiris, vous eûtes des auteles / Et c'est lui seul qui les mérite . »

 

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