07/03/2016
j'ai été obligé d'avertir que je ne recevais point de lettres d'inconnus
... Ce qui n'empêche pas ma BAL de déborder de ces fichus courriels à classement vertical identique à celui des pubs débordant des boites et que les malheureux facteurs sont obligés de se coltiner .
Gaspi ! ô Grand Gaspi ! tu règnes en maître ! (et, je l'espère, pour le moins de temps possible )
http://www.wallyandosborne.com/comic/the-internet-spam/
« A Pierre-Joseph Thoulier d'Olivet
A Ferney 19 mars 1761 pays de Gex
Vos lettres sont venues à bon port mon très cher maître . Les veredarii 1 sont exacts parce qu'ils leur en revient quelque chose . Il est vrai que j'ai été obligé d'avertir que je ne recevais point de lettres d'inconnus ; et vous trouverez que j'ai eu raison quand vous saurez que très souvent la poste m'apportait pour cent francs de paquets de gens discrets qui m'envoyaient leurs manuscrits à corriger ou à admirer . Le nombre des fous mes confrères quos scribendi cacoetes tenet,2 est immense . Celui des autres fous à lettres anonymes n'est pas moins considérable ; mais pour vous mon cher abbé qui êtes très sage, et qui m'aimez, sachez qu'une de vos lettres est un de mes plus grands plaisirs, et serait ma plus chère consolation si j'avais besoin d'être consolé . Vous parlez de brochures ; il y a autant de feuilles dans Paris qu'à mes arbres , mais aussi la chute des feuilles est fréquente . On en a imprimé une de moi où il est question de vous et de la langue française 3 à laquelle vous avez rendu tant de services . C'est une réponse que j'avais faite à un Deodati Tovasi, qui disait un peu trop de mal de notre langue .
Je savais que l'archidiacre de Fontenelle et de La Motte était admis, pour compiler, compiler des phrases à notre tripot, et qu'on vous accusait d'avoir molli en cette occasion . Je crois mon cher maître qu'on vous calomnie .
L'abbé Trublet m'avait pétrifié .4
Mais pourquoi ne serait-il pas de l'Académie ? L'abbé Cotin en était bien . J'attends l'abbé Le Blanc avec une impatience extrême . J'ai une querelle avec vous sur les vers croisés 5. Je trouve qu'ils sauvent l'uniformité de la rime, qu'on peut se passer avec eux de frères lais et qu'ils sont harmonieux . Licentia sumpta pudenter,6 n'est pas mal, mais je vous dirai à l'oreille que c'est un écueil . Il y a dans ce genre de vers un rythme caché fort difficile à attraper . Si quelqu'un m'imite, il courra des risques . J'aimerais passionnément à m'entretenir avec vous de littérature, et à pleurer sur la nôtre . Mais vous vous moquez de moi avec votre banlieue . Il faudrait que je fusse devenu imbécile de quitter les deux lieues de pays que je possède, et où je suis indépendant pour Arcueil ou pour Gentilly 7. Tenez, tenez, voici ma réponse dans ce paquet, ad urbem non descendet vates tuus 8; omittet mirari beatae fumum et opes strepitumque Paris 9. Je n'ai eu d'idée du bonheur que depuis que je suis chez moi dans la retraite ; mais quelle retraite ! J’ai quelquefois cinquante personnes à table ; je les laisse avec Mme Denis qui fait les honneurs et je m'enferme . J'ai bâti ce qu'en Italie on appellerait un palazzo, mais je n'en aime que mon cabinet de livres , senectutem alunt 10. Vivez mon cher abbé, on n'est point vieux avec de la santé . Je veux avant de mourir vous adresser une épître sur le peu d'usage que font nos littérateurs de vos préceptes et de vos exemples . Quel style que celui d'aujourd'hui ! Ni nombre, ni harmonie, ni grâces, ni décence . Chacun cherche à faire des sauts périlleux . Je laisse les gilles sur leur corde lâche, et je cultive comme je peux mes champs et ma raison .
M. de Chimènes vous remercie . Il a du goût, il étudie beaucoup, il a lu vos ouvrages . Il aime mieux votre préface sur natura deorum 11 et votre histoire de la philosophie 12 que les tours de force de Jean-Jacques , lequel Jean-Jacques mérite la petite correction qu'il a reçue .
Adieu encore une fois .
V. »
1 Courriers .
2 Que tient la maladie incurable d'écrire ; Juvénal, Satires, VII, 51-52 : http://www.roma-quadrata.com/juvenal.html#sa7
3 Lettre du 24 janvier 1761 à Deodati Tovazzi : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/01/22/s...
4 Vers 234 du Pauvre Diable : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/07/satire-le-pauvr...
5 Tancrède est écrit tantôt en vers croisés et tantôt suivis ; ces derniers vers sont les « frères lais » dont il est question plus loin .
6 Une licence prise avec retenue ; Horace, Art poétique, 51 . Page 8 : http://dico.ea.free.fr/juxta_lal/ARSPOET.PDF
7 Arcueil et Gentilly, au sud de paris ne sont pas éloignés de Chateany-Malabry où est né V* .
8 Le prêtre de ton culte ne descend pas en ville ; d'après Horace, Épîtres, I, 7, 11 : « Ad mare descendet vates tuus, et sibi parcet. »
9 Il se gardera d'admirer les fumées, les richesses et le bruit de l'opulent Paris ; Horace, Odes, III, 29, 11-12 : http://www.roma-quadrata.com/horaceodes.html#o329
10 Ils sont l'aliment de la vieillesse ; Cicéron, Pro Archia, VII : pages 28-29 : http://remacle.org/bloodwolf/orateurs/archias.htm
11 Entretiens de Cicéron sur la nature des dieux, traduit par l'abbé d'Olivet, publié par le président J. Bouhier 1721, et dont la préface est de l'abbé d'Olivet .
12 D'Olivet n'a publié aucune histoire de la philosophie , V* pense sasn doute à l'introduction de l'ouvrage précédent .Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Joseph_Thoulier_d'Olivet
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