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30/03/2016

J’ai souffert quarante ans les outrages des bigots et des polissons. J’ai vu qu’il n’y avait rien à gagner à être modéré, et que c’est une duperie

... Coffe Jean-Pierre , tu l'as compris toi aussi ! on regrette ton départ et on ne t'oubliera pas de sitôt .

http://www.jeanpierrecoffe.com/

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Allez, on se téléphone et on se fait une bonne bouffe !

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

20 avril [1761] à Ferney

Je me hâte de vous répondre ( mon grand calculateur de petite-vérole )1, plein d’esprit et de génie, et antipode des calculateurs, que diligo adhuc Ciceronianum-Olivetum quia optimus grammaticus, quia 2 il fut mon maître, et qu’il me donnait des claques sur le cul quand j’avais quatorze ans. Je ne dirai pas qu’il en a menti, mais il a dit la chose qui n’est pas. Qu’il vous montre ma lettre, s’il l’ose 3. Certainement votre nom n’y est pas. Il peut avoir quelque finesse, ayant été jésuite. Il a voulu se jouer de votre vivacité parisienne, et vous arracher votre secret. Vous avez peut-être donné dans le panneau. Soyez très sûr que je ne vous compromettrai jamais, et que vous pouvez donner l’essor avec moi à votre très plaisante imagination en toute sûreté.

Vous me paraissez bien honnête de dire qu’un homme de trente ans peut en espérer trente autres. La vie commune ne s’étend qu’à vingt-deux ans sur la masse totale 4. Je n’ai pas encore bien examiné votre compte ; je vais vous relire . À Paris on ne relit point. Vive la campagne, où le temps est à nous ! En général, je vois que vous en savez plus que notre sourdaud 5.

Je vous remercie de votre bon mari 6. Il faut avouer que la reine est bien bonne, et que si elle était la maîtresse, nous aurions un siècle bien éclairé.

Je vous donne mon blanc-seing pour ma place à l’Académie, à la première fantaisie que vous aurez de résigner ; cela sera assez plaisant, et c’est une facétie qu’il ne faut pas manquer. Faites la lettre de remerciement, et je vous réponds de la signer.

A l’égard de Jean-Jacques, s’il n’était qu’un inconséquent, un petit bout d’homme pétri de vanité, il n’y aurait pas grand mal ; mais qu’il ait ajouté à l’impertinence de sa lettre l’infamie de cabaler, du fond de son village, avec des pédants sociniens, pour m’empêcher d’avoir un théâtre à Tournay, ou du moins pour empêcher ses concitoyens, qu’il ne connaît pas, de jouer avec moi ; qu’il ait voulu, par cette indigne manœuvre, se préparer un retour triomphant dans ses rues basses  ; c’est l’action d’un coquin, et je ne lui pardonnerai jamais. J’aurais tâché de me venger de Platon s’il m’avait joué un pareil tour ; à plus forte raison du laquais de Diogène. Je n’aime ni ses ouvrages ni sa personne, et son procédé est haïssable. L’auteur de la Nouvelle Aloïsia n’est qu’un polisson malfaisant. Que les philosophes véritables fassent une confrérie, et alors je me fais brûler pour eux. Cette académie secrète vaudrait mieux que l’académie d’Athènes et toutes celles de Paris ; mais chacun ne songe qu’à soi, et on oublie le premier des devoirs, qui est d’anéantir l’infâme . 

Je vous prie, mon grand philosophe, de dire à madame du Deffand combien je lui suis attaché ; je lui écrirai quelque jour une énorme lettre. J’aime à penser avec elle ; je voudrais y souper : je l’aime d’autant plus que j’ai les sots en horreur. Mes compliments à l’abbé Trublet ; j’attends sa harangue avec l’impatience du parterre qui a des sifflets en poche, et qui ne voit pas lever la toile.

A propos, haïssez-vous toujours M. de Chimène, ou Ximenès ? Il vient d’acheter une maison, des prés, des vignes et des champs dans le pays de Gex. Voilà le fruit apparemment de l’Épître sur l’Agriculture.

Je suis devenu un malin vieillard. Il y a longtemps que j’ai fait la Capilotade . C’est un chant qui entre dans la Pucelle 7. Il y aura toujours place pour les personnes que vous me recommanderez. J’ai souffert quarante ans les outrages des bigots et des polissons. J’ai vu qu’il n’y avait rien à gagner à être modéré, et que c’est une duperie. Il faut faire la guerre et mourir noblement

  sur un tas de bigots immolés à mes pieds. 

riez et aimez-moi ; confondez l’infâme le plus que vous pourrez.

 

N.B. -  J’ai lu le mémoire contre les jésuites banqueroutiers 8. L’avocat a raison : aucun jésuite ne peut traiter sans engager ses supérieurs. Quand je les ai chassés d’un domaine qu’ils avaient usurpé, il a fallu que le provincial signât le désistement ; mais je les ai chassés sans bruit, je n’ai eu que la moitié du plaisir.

V.»

1D'Alembert écrivait le 9 avril 1761 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-...

Le 2 septembre 1760, il annonçait à V* qu'un « grand diable d'ouvrage de géométrie » était sous presse ; il s'agissait des Opuscules mathématiques ou Mémoires sur différents sujets de géométrie, de mécanique, d'optique, d'astronomie [etc], 1761 ; d'Alembert y discutait notamment les avantages de l'inoculation sur la base du calcul des probabilités . Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-...

2 J'aime encore d'Olivet cicéronien, parce qu'il est le meilleur grammairien, parce que [...]

3 D'Alembert avait conté comment, dans une séance à l'Académie, d'Olivet l'avait accusé d'être un « fripon » et d'avoir « écrit à Genève [qu'il avait] molli dans l'affaire de Trublet » . Comme d'Alembert avait nié le fait, « à la vérité assez faiblement », d'Olivet avait répondu qu'il « en avait la preuve dans sa poche » . D'Alembert de peur d'être confondu , n'avait pas osé demandé à la voir .

4 C'est un chiffre sur lequel V* reviendra dans L'Homme aux quarante écus . mais si l'on tient compte de la forte mortalité infantile, le calcul de d'Alembert peut n'avoir pas été éloigné de la vérité .

5 Sur ce sourdaud, il doit s'agir de La Condamine comme il appert de la lettre du 6 août 1760 à Mme du Deffand : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-...

Mais aussi V* se dit lui-même sourdaud vers cette époque .

6 Toujours dans la même lettre du 9 avril 1761, d'Alembert rend compte d'une lecture de l’Épître sur l'agriculture faite devant la reine, dans laquelle pour ne pas « off en[ser] les oreilles pieuses » il a remplacé le sot mari par le bon mari d'Eve et manger la moitié de sa pomme par goûter de la fatale pomme .

7 Chant XVIII : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-la-pucelle-d-or...

8 Voir lettre du 17 avril 1761 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/03/30/u...

Voir aussi le chapitre LXVIII de l’Histoire du Parlement de Paris. (Georges Avenel.)

 

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