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21/03/2020

Il n'y a pas un moment à perdre si on veut lui sauver la vie

... Tristement d'actualité .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

12 janvier 1765 à Ferney 1

Mes divins anges, j'ai oublié dans la requête à M. le duc de Praslin, de spécifier que ce vieux de Moultou qui veut promener sa veille vessie à Montpellier, a un fils qu'on appelle prêtre, ministre du saint Évangile, pasteur d'ouailles calvinistes, et qui n'est rien de tout cela ; c'est un philosophe des plus décidés, et des plus aimables . J'ignore si sa qualité de ministre évangélique s'oppose aux bontés d'un ministre d’État . J’ignore s'il est nécessaire que M. le duc de Praslin ait la bonté de faire mettre dans le passeport, le sieur de Moultou et son fils prêtre . Je m'en rapporte uniquement à la protection et à la complaisance de M. le duc de Praslin ; les maux que souffre Moultou le père sont dignes de sa pitié . Il n'y a pas un moment à perdre si on veut lui sauver la vie . Tronchin inocule, mais il ne taille point de la pierre .

N.B. – Je suis fâché pour la philosophie que Jean-Jacques Rousseau ait commencé par être fou, et finisse par être un très malhonnête homme . Il veut mettre le trouble dans Genève par un assez mauvais livre contre le gouvernement de cette ville, et contre la médiation 2. Il a envoyé cet insolent ouvrage au président qui en aura sans doute instruit M. le duc de Praslin . Il a déchaîné la populace contre le magistrat, mais j'espère que ce petit désordre n’aura pas de suites, et que vous n’enverrez pas les troupes à Genève comme en Corse 3.

Mes anges, je baise toujours le bout de vos ailes .

V.

Puisque j'ai acquis un œil je vais donc me remettre à la conspiration des Roués, mais encore une fois trouvez-moi des acteurs, ou faites jouer les Roués à l'Opéra-Comique . 

Je recommande à vos bontés la petite affaire de M. Moultou et je supplie M. le duc de Praslin de vouloir bien m’adresser le passeport . Pour moi je crois que j'en aurai un bientôt pour l'autre monde . Vivez heureux dans celui-ci, mes très adorables anges .

V.»

1 L'édition de Kehl est réduite au premier paragraphe, le reste ayant été biffé sur la copie Beaumarchais . Il n'est pas sûr, d'autre part, que le post-scriptum, qui semble avoir été ajouté après coup sur la copie, n'ait pas fait partie d'une autre lettre .

2 Sur cette médiation, voir lettre du 10 janvier 1765 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/03/18/j-emploie-mon-bon-oeil-mon-divin-ange.html

3 Une expédition française a été envoyée pour occuper la forteresse de Gênes ; la suite de cette affaire est la cession à la France , en mai 1768, de la Corse, qui dépendait alors de Gênes et s'était révoltée . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Corse

Ne doutez pas que je ne fasse ce que vous m'ordonnez

... A regret, certes, mais je le fais, et je compte les jours comme avant la quille . Je vous assure que j'arroserai ça avec des copains/copines et non avec cette sempiternelle et tristounette modération rabat-joie .

 

 

« A Paul-Claude Moultou

à Genève

[11 ou 12 janvier 1765] 1

Les lettres du vendredi, mon cher ami, arrivent je crois le même jour que celles du samedi . Ne doutez pas que je ne fasse ce que vous m'ordonnez . Vous connaissez le voyageur Dampier 2, il dit qu'il a traversé l'Amérique d'un bout à l'autre sans jamais rencontrer un seul sauvage qui trouvât mauvais qu'il fut de la religion anglicane . J'écrirai donc une seconde lettre, quoique je pense fermement que vous n'en avez pas besoin . J'avouerai votre turpitude, puisque vous le voulez ; mais pour vous rassurer je vous dirai que lorsque M. Carbon s'en retourna avec sa famille, je demandai un passeport à M. le maréchal de Richelieu qui m'envoya faire faire 3 avec mon passeport , et qui me dit que pourvu que ce M. Carbon n'ameutât point le peuple et ne priât point Dieu la baïonnette au bout du fusil, il serait le très bien venu . Il est aujourd'hui très tranquille et très heureux dans sa patrie ; et cependant il était violemment soupçonné d’être apôtre . Enfin, puisque vous le voulez je vais avouer votre apostolat . Allez, vous étiez fait pour être ministre d’État et non ministre d’Église .

Je vous embrasse bien tendrement . »

1 Cette lettre est postérieure à celle que V* dut écrire à Choiseul-Praslin le 11 janvier afin de solliciter un passeport pour Moultou et pour son père obligé d'aller à Montpellier pour se soigner , antérieure à celle du 12 janvier 1765 à d'Argental ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/09/correspondance-annee-1765-partie-2.html

3 Euphémisme encore en usage pour faire foutre .