21/08/2021
Les caractères imprimés parlent aux yeux bien plus fortement qu’un manuscrit. On voit le péril bien plus clairement ; on fait de nouveaux efforts, on corrige, et c’est ma méthode
... Bien que n'écrivant pas à la plume, j'ai , curieusement, une meilleure vision de mes fautes dactylographiques à la lecture du texte que je veux mettre en ligne avec Hautetfort que du même texte que j'ai tapé avec mon OpenOffice.org Writer habituel . Mise en page et police de caractères différentes sont alors bien parlantes . Lire et relire, corriger, l'effort est moindre quand on suit Voltaire .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'ArgentaI
30è mai 1766 1
Il y a plusieurs points dans la lettre du 21è mai dont mes anges m'ont gratifié . Je vais d'abord parler du pauvre ex-jésuite et du pauvre tripot . Mes anges doivent être convaincus de l’excès de l'indifférence de tout le public pour une pièce de théâtre qui n'est point jouée . Cela est mis au rebut comme des factums d'avocats dans des affaires jugées depuis longtemps, et ce n'est que par un hasard très singulier, ou par des peines infinies qu'on peut parvenir à reproduire sur la scène les enfants morts-nés . Quant à moi je trouve la pièce très bonne 2; mais aussi je la trouve d'un goût qui n'est pas celui du public . J'ai pensé, et je pense encore que lorsqu’on sert une viande dont personne ne veut, il faut la relever d'un ragoût piquant . Les remarques historiques sont ce ragoût . Elles me paraissent, encore une fois, curieuses et instructives, et tout à fait dans le goût du siècle . La pièce se fait certainement lire à la faveur de ces remarques, qui d'ailleurs justifient tous les sentiments que l'auteur a donnés aux personnages .
Je pense encore que si on doit reconnaître le style de quelqu'un, ce sera bien plutôt dans les vers que dans les notes . Ces vers, entre nous, me semblent écrits avec une correction et je ne sais quelle énergie à laquelle aucun homme du métier ne peut se méprendre, et je tiens qu'il faut avoir l'esprit bouché pour ne pas deviner l'auteur dès la première scène . Je tiens enfin que le tout ensemble compose un morceau de littérature singulier, et qu'une partie sans l'autre pourrait être fort insipide . La pièce fut-elle mieux écrite, elle révoltera par l'atrocité, si cette atrocité n'est pas justifiée par les mœurs du temps dont on voit dans les notes un portrait fidèle .
L’idée de faire imprimer le tout par Cramer m’était venue par deux raisons : la première, que j’évitais le honteux désagrément de passer par les mains de la police, qui peut-être se serait rendue difficile sur l’histoire des proscriptions, depuis les vingt-trois mille Juifs égorgés pour un veau, jusqu’aux massacres commis par les camisards des Cévennes. La seconde raison est que sur l’inspection d’une feuille imprimée, je corrige toujours vers et prose. Les caractères imprimés parlent aux yeux bien plus fortement qu’un manuscrit. On voit le péril bien plus clairement ; on fait de nouveaux efforts, on corrige, et c’est ma méthode. Je renonce cependant à ma méthode favorite pour satisfaire un libraire de Paris 3, qui est un véritable homme de lettres, fort au-dessus de sa profession, et dont je veux me faire un ami.
M. le duc de Praslin vous aura sans doute envoyé tout le manuscrit avant que vous receviez ma lettre, et vous serez en état de juger en dernier ressort. Je vous supplie très instamment de passer au petit ex-jésuite ces vers de Fulvie :
Après m’avoir offert un criminel amour,
Ce Protée à ma chaîne échappa sans retour. 4
J’ai eu dessein d’exprimer les débauches qui régnaient à Rome dans ces temps illustres et détestables . C’est le fondement des principales remarques. Je veux couler à fond la réputation d’Auguste ; j’ai une dent contre lui depuis longtemps pour avoir eu l’insolence d’exiler Ovide, qui valait mieux que lui.
Pour me consoler de ce triste sujet, je reçois dans ce moment une nouvelle esquisse en prose de la tragédie de M. de Chabanon . Il y aura certainement plus d'intérêt dans sa pièce que dans celle de l'ex-jésuite . Je crois qu'enfin il retournera à Paris dès que je lui aurai renvoyé son passeport […]. »
1 Voir note de la lettre de mars 1765 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/06/03/v... . A la fin du manuscrit original, cinq lignes ont été fortement biffées et la fin de la lettre a été enlevée .
Voir la version donnée dans http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/01/correspondance-annee-1766-partie-20.html
et : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1766/Lettre_6362
2 Octave
3 Lacombe .
4 Octave , Ac. I, sc. 1
08:44 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.