15/10/2022
felix qui potuit rerum cognoscere causas ! Heureux qui a pu pénétrer la cause des choses
... Par exemple, je ne comprends pas encore les causes de l'explosion du tarif de l'électricité ; dois-je me faire soigner ? Est-ce un racket institutionnel ?
« Au cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis
16è avril 1767
Albi nostrorum sermonum candide judex.1
Vous êtes sûrement du nombre des élus, monseigneur, puisque vous n’êtes pas du nombre des ingrats. Vous chérissez toujours les lettres, à qui vous avez dû les principaux événements de votre vie. Je leur dois un peu moins que Votre Éminence ; mais je leur serai fidèle jusqu’au tombeau. Je suis encore moins ingrat envers vous, qui avez bien voulu m’honorer de très bons conseils sur la Scythie. J’attends de Paris mon ouvrage tartare 2, pour vous l’envoyer dans le pays des Wisigoths, quoique assurément il n’y ait dans le monde rien de moins wisigoth que vous. Le blocus de Genève retarde un peu les envois de Paris. Cette campagne-ci sera sans doute bien glorieuse ; mais elle me gêne beaucoup. Dès que j’aurai ma rapsodie imprimée, j’y ferai coudre proprement une soixantaine de vers que vous m’avez fait faire, et je dirai : Si placeo, tuum est.3
Si Votre Éminence souhaite que je lui envoie le factum des Sirven, il partira à vos ordres . Il est signé de dix-neuf avocats ; c’est un ouvrage très bien fait. On y venge votre province de l’affront qu’on lui fait de la croire féconde en parricides. C’était à un Languedochien, et non à moi, de faire rendre justice aux Sirven et aux Calas. Mais ces deux familles infortunées s’étant réfugiées dans mes déserts, j’ai cru que la fortune me les envoyait pour les secourir.
Plus vous réfléchissez sur tout ce qui se passe, plus vous devez aimer votre retraite. La grosse besogne archiépiscopale me paraît fort ennuyeuse ; mais vous faites du bien, vous êtes aimé, et il vous appartient de vous réjouir dans vos œuvres 4, comme dit le livre de l’Ecclésiaste, attribué fort mal à propos à Salomon.
Oserai-je vous demander si vous avez lu le Bélisaire de mon ami Marmontel, qu’on appelle son petit-carême ? La Sorbonne le censure pour n’avoir pas damné Titus, Trajan, et les Antonins 5. Messieurs de Sorbonne seront sauvés probablement dans l’autre monde, mais ils sont furieusement sifflés dans celui-ci.
Riez, monseigneur : il faut souvent rire sous cape ; mais il est fort agréable de rire sous la barrette, felix qui potuit rerum cognoscere causas ! 6 etc.
Que Votre Éminence agrée le très tendre respect du vieux Suisse. »
1 Albus, juge sincère de nos propos ; Horace, Épîtres, I, iv, 1, avec une interversion .
2 Les Scythes .
3 Si je plais en quelque chose, cela t'appartient ; Horace, Odes, IV, iii, 24 .
4 Ecclésiaste, III, 22 .
5 La condamnation de la Sorbonne, Indiculus propositionum exerptarum ex libro cui titulus Bélisaire, ne parut qu'un peu plus tard . D'Alembert signale dans une lettre à V* du 4 mai 1767 qu'elle « vient de paraître » . Le point que V* signale ici consiste dans la huitième des trente-sept propositions condamnées par la Sorbonne .
6 Heureux qui a pu pénétrer la cause des choses ; Virgile, Georgiques, II, 90.
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