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12/01/2023

Je suis fâché d’affliger cette dame, mais elle ne doit s'affliger que des fautes de son mari et ne songer qu'à en hâter la réparation

... J'ai beau aimer ce sacré Voltaire, je ne peux l'aimer , ni le suivre dans ses rancunes , c'est alors un détestable valétudinaire , il donne sottement du grain à moudre à ses adversaires . Bravo à Mme La Beaumelle .

Mam'zelle Wagnière, vous auriez été de mon avis, en toute bonne foi, j'en suis sûr .

 

 

« A Rose-Victoire de La Beaumelle 1

La dame qui m'écrit est fille d'un homme que j'estime, et femme d'un homme qui m'a outragé . J'ignore si son mari a été à la Bastille ou à Bicêtre, mais je sais qu'il méritait un châtiment plus terrible pour avoir insulté Louis XIV, le duc d'Orléans régent et tous les ministres. Ce ne sont point ici des sottises littéraires, mais des crimes . Ils sont à la vérité les crimes d'un fou, mais ils n'en sont pas moins punissables .

La lettre anonyme que j'ai reçue est en original dans le bureau des ministres, et j'en ai gardé une copie authentique . Tout ce que j'ai écrit à ce sujet est vrai, est prouvé et sera soutenu par moi . Quand on a été coupable de telles atrocités, il n'y a d'autre parti à prendre que celui du repentir . L'insolence dans l’opprobre n'est jamais qu'une mauvaise ressource . On paie cher longtemps les emportements d'une jeunesse effrénée . Si la fille d'un homme de bien qui a eu le malheur d'épouser un homme si coupable veut lui épargner les horreurs attachées à une si mauvaise conduite, elle doit commencer par le faire rougir, et finir par le rendre honnête homme . Ce n'est qu'à ce prix que je puis oublier les actions infâmes . Je suis fâché d’affliger cette dame, mais elle ne doit s'affliger que des fautes de son mari et ne songer qu'à en hâter la réparation.

Voltaire

gentilhomme ordinaire du roi

Au château de Ferney , 25 juin [1767]. »

1 Original signé (archives de la famille Angliviel auxquelles on n'a pas eu accès ) ; éd. Taphanel . Les éditeurs de Kehl quoique ayant pris copie de cette lettre ne l'ont pas publiée, pas plus que la lettre du 24 juin 1767 à La Beaumelle, pour des raisons assez évidentes. Voici l’essentiel de la lettre, très digne, de Mme de La Beaumelle à laquelle répond V* ici .

« 12 juin 1767

« Vous êtes, monsieur, un cruel homme . Depuis douze ans, mon mari n'a pas écrit une syllabe contre vous ; depuis quatre ans, je m'occupe de lui faire oublier toutes ces misères d'auteur . Et tandis que je me flatte d'avoir réussi, je reçois par la poste une lettre horrible que vous écrivez au public contre lui . J'ai été, je vous l'avoue, désolée de ces nouvelles hostilités . M. de La Beaumelle est dans un état à n'avoir pas besoin d'émotions violentes . Je crois donc devoir vous écrire, monsieur, avant de lui montrer cette pièce, afin que, si vous reconnaissez votre tort, comme je l'espère, cette affaire n'aille pas plus loin.

Je vous proteste d'abord, avec toute la vérité possible, que mon mari n'a aucune part aux lettres anonymes qui vous ont été écrites soit de Lyon soit d'ailleurs . Je vois tout ce qu'il écrit. Depuis plus de dix-huit mois il est en proie à des douleurs de tête qui ne lui laissent aucun repos […] Uniquement occupé de sa santé, renfermé dans sa solitude, il est bien éloigné de vous attaquer . J'avais obtenu de lui qu'il supprimerait l'éloge de M. de Maupertuis où vous ne jouez point un rôle avantageux. Votre Traité sur la Tolérance l’avait charmé ; il parlait de vos talents avec admiration, et jamais de ses démêlés avec vous . Et quoiqu’il n’eût pas médiocrement contribué au rétablissement des Calas, tant par des effets réels que par des mémoires d'après lesquels MM. de Beaumont, Loiseau, Mariette et vous-même agîtes et travaillâtes, cependant il vous voyait avec joie vous en attribuer toute la gloire et vous l'attribuait lui-même dans l'occasion .

Enfin je croyais que toutes ces vieilles animosités étaient assoupies pour jamais, lorsque je reçois cette circulaire où vous renchérissez sur tous vos excès passés .

[…] En écrivant que mon mari est un prédicant, qu'il a été à Bicêtre, qu'il a fui avec une servante après un vol fait à la maîtresse de cette servante, prétendez-vous faire croire ce que assurément vous ne croyez pas vous-même ? Vous savez très bien que c'est à la Bastille qu'il a été, où l'on met les auteurs imprudents, et non pas à Bicêtre, où l'on met les malfaiteurs . Vous savez très bien qu'il n'est, ni n'a jamais été prédicant . Tout Genève peut vous l'avoir dit . Il y avait fait une partie de ses études aux dépens de son père . Vous pouvez l'avoir trouvé inscrit dans la matricule des étudiants ; mais sûrement il n'eut jamais l'honneur d'être inscrit, comme vous l'avancez, dans le registre de la compagnie des ministres . Voilà pour ce qu'il a été . Quant à ce qu'il est aujourd'hui, il est seigneur direct, haut , moyen et bas justicier du Carla, ville du comté de Foix […] cette qualité paraît assez incompatible en France avec celle de prédicant .

Je ne parle point du reste . Une imposture semblable à celle de sa condamnation aux galères pour avoir pris l'habitude de fouiller dans les poches de son prochain [...] se réfute d'elle-même. Je vois bien que vous ne voulez que l’inquiéter parce que vous croyez qu'il est votre ennemi . Mais je vous assure qu'il ne l'est pas maintenant . [,,,] Que vous reviendra-t-il au bout ? […] S'il se défend, en serez-vous plus avancé ? Est-il possible qu'à votre âge vous ne puissiez vous résoudre à jouir de votre gloire et à laisser jouir les autres de leur obscurité ? Mon mari ne reprendra plus la plume contre vous ; du moins je l'espère de mes instances, je l'espère même de votre équité .[...] »

Et voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_Angliviel_de_La_Beaumelle