29/08/2023
il importe beaucoup que les juges ne s'accoutument pas à se jouer de la vie des hommes
... Qu'en dites-vous Me Dupont-Moretti ?
« A Etienne-Noël Damilaville
27 janvier 1768 1
Mon cher ami, il y a deux points importants dans votre lettre du 18, celui de M. le duc de Choiseul et celui de M. d'Ormesson. Je pris liberté d'écrire [à] M. le duc de Choiseul, il y a plus de deux mois, à la fin d'une lettre de six pages , ces propres paroles « J'aurais encore la témérité de supplier de recommander un mémoire d'un de mes amis intimes à monsieur le contrôleur général, si je ne craignais que la dernière aventure de monsieur le chancelier ne vous eût dégoûté. Mais, si vous m'en donnez la permission, j'aurai l'honneur de vous envoyer le mémoire ; c'est pour une chose très juste, et il ne s'agit que de lui faire tenir sa promesse. » M. le duc de Choiseul ne m'a point fait de réponse à cet article.
Quant à M. d'Ormesson, puisque vous m'apprenez qu'il est le fils de celui que j'avais connu autrefois, je lui écris une lettre qui ne peut faire aucun mal, et qui peut faire quelque bien. En voici la copie 2.
A l'égard des nouveautés de Hollande, que M. Brossier 3 peut vous faire tenir pour votre petite bibliothèque, il m'a dit qu'il ne pouvait vous les envoyer dans les circonstances présentes qu'autant qu'il serait sûr que vous les recevriez : il craint qu'il n'y en ait quelques-unes de suspectes, et qu'elles ne vous causent quelques chagrins. Comme j'ignore absolument de quoi il s'agit, je ne puis vous en dire davantage.
Notre peine, mon cher ami, ne sera pas perdue, si M. Chardon rapporte enfin l'affaire de Sirven. Que ce soit en janvier ou en février, il n'importe ; mais il importe beaucoup que les juges ne s'accoutument pas à se jouer de la vie des hommes.
On dit qu'il y a en Hollande une relation du procès et de la mort du chevalier de La Barre, avec le précis de toutes les pièces adressées au marquis Beccaria 4. On prétend qu'elle est faite par un avocat au Conseil ; mais on attribue souvent de pareilles pièces à des gens qui n'y ont pas la moindre part. Cela est horrible. Les gens de lettres se trahissent tous les uns les autres par légèreté. Dès qu'il paraît un ouvrage, ils crient tous :C'est de lui! c'est de lui! Ils devraient crier au contraire Ce n'est pas de lui, ce n'est pas de lui! Les gens de lettres, mon cher ami, se font plus de mal que ne leur en font les fanatiques. Je passe ma vie à pleurer sur eux.
Adieu! Consolons-nous l'un l'autre de loin, puisque nous ne pouvons nous consoler de près.
M. Brossier enverra incessamment ce que vous demandez 5.
Voici une lettre d'une fille de Sirven pour son père »
1Une copie du XIXè siècle a été faite d'après édition C. L. suivie ici .
2 Cette lettre manque et sa copie aussi .
3 Sans doute Boursier .
4 Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/511
et lettre de janvier 1768 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/08/17/je-veux-ramener-les-hommes-a-l-amour-de-l-humanite-par-l-hor-6457104.html
5A propos de cette phrase, Beuchot qui reproduit la première édition, prétend qu'il avait en main une copie contemporaine avec la signature « Ecrlinf », accompagnée d'une note : « Comme le patriarche s'était accoutumé à signer toutes ses lettres par abréviature Ecrlinf, les commis de la poste, occupés à lire les lettres des honnêtes gens pour leur instruction et pour celle du gouvernement, s’étaient imaginé pendant longtemps que ces lettres étaient d'un M. Ecrlinf demeurant en Suisse ». Tout ceci serait peut-être plausible si toutes les lettres de V* étaient signées « Ecrlinf », ce qui est loin d'être le cas . En outre les commis en question n'étaient nullement aussi stupides que le prétend la note . Ils n'avaient , depuis longtemps, aucun mal à identifier et à déchiffrer les lettres de V*.
19:34 | Lien permanent | Commentaires (0)
c'est une tyrannie contre laquelle je ne peux avoir qu'une indignation stérile
... C'est en gros ce que diront les chefs.fes des partis d'opposition s'ils ont un tantinet de réflexion, car stériles ils/elles sont et ont une fâcheuse tendance à jouer les Calimero bornés . Advienne que pourra après la rencontre avec le président : https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/inv...
« A Charles Manoël de Végobre
Avocat à Genève
27è janvier 1768 à Ferney 1
Monsieur,
La règle est, si je ne me trompe, en Angleterre, qu'on est payé sans difficulté des fonds mis en banque par un testateur, sur l'exhibition légale du testament . Ainsi supposé que l’héritier ait en main le testament dont il s'agit, il n'a nul besoin de s'adresser à Brandebourg .
Si au contraire on a refusé de délivrer le testament à Berlin, et si le testateur a des héritiers dans cette ville, il n'est pas douteux qu'ils n'aient la préférence.
S'il n'y a point d'héritier à Berlin c'est le roi qui hérite ; le procès alors est entre l'héritier français et le roi prussien ; or ce roi est accoutumé à gagner ses procès contre tous les Français . Tout ce que je pourrais tenter c'est d'obtenir qu'il partageât avec l'homme pour lequel vous vous intéressez . En ce cas, il faudrait que vous eussiez la bonté de m'envoyer un mémoire bien détaillé, que je prendrais la liberté de lui recommander .
Quant à Mlle Lucadou 2, c'est une tyrannie contre laquelle je ne peux avoir qu'une indignation stérile . M. le duc de Choiseul paraît très las de ne pouvoir rien obtenir de M. de Saint-Florentin .
Vous connaissez, monsieur, mes sincères et respectueux sentiments pour vous.
V. »
1 Végobre a noté sur la manuscrit : « Reç[u] le d[it] jour / Rép[ondu] le 29 d[udit]. »
2 De quoi est-il question ?
Trouvé Lucadou dans : https://archives.bge-geneve.ch/archives/archives/fonds/tronchin_141_397/n:89/view:all/page:22
Lucadou Jean-Daniel : https://rousseau.slatkine.com/namesIdx.php?id=7387
Voir dans https://rousseau.slatkine.com/viewer.php?mag=JROC_L22&s[]=lucadou&s[]=jean&s[]=daniel#2699 ?
19:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
nous ne demandons point d'éclat, nous ne voulons que justice
... Ainsi aurait pu s'exprimer Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères à propos de l'aide à apporter à l'Ukraine :
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
23è janvier 1768
Mon cher ange, c'est une grande consolation pour moi que vous ayez été content de M. Dupuits. Il me paraît qu'il vaut mieux que le Dupuis de Des Ronais 1. Je souhaite à M. le duc de Choiseul que tous les officiers qu'il emploie soient aussi sages et aussi attachés à leur devoir. Je l'attends avec impatience, dans l'espérance qu'il nous parlera longtemps de vous.
Que je vous remercie de vos bontés pour Sirven ! Il faut être aussi opiniâtre que je le suis, pour avoir poursuivi cette affaire pendant cinq ans entiers, sans jamais me décourager. Vous venez bien à propos à mon secours. Je sais bien que cette petite pièce n'aura pas l'éclat de la tragédie des Calas mais nous ne demandons point d'éclat, nous ne voulons que justice.
Votre citation du chien qui mange comme un autre du dîner qu'il voulait défendre est bien bonne; mais je vous supplie de croire par amitié, et faire croire aux autres par raison et par l'intérêt de la cause commune, que je n'ai point été le cuisinier qui a fait ce dîner 2. On ne peut servir dans l'Europe un plat de cette espèce qu'on ne dise qu'il est de ma façon. Les uns prétendent que cette nouvelle cuisine est excellente, qu'elle peut donner la santé, et surtout guérir des vapeurs. Ceux qui tiennent pour l'ancienne cuisine disent que les nouveaux Martialo 3 sont des empoisonneurs. Quoi qu'il en soit, je voudrais bien ne point passer pour un traiteur public. Il doit être constant que ce petit morceau de haut goût est de feu Saint-Hyacinthe. La description du repas est de 1728. Le nom de Saint-Hyacinthe y est; comment peut-on, après cela, me l'attribuer? quelle fureur de mettre mon nom à la place d'un autre! Les gens qui aiment ces ragoûts-là devraient bien épargner ma modestie.
Sérieusement, vous me feriez le plus sensible plaisir d'engager M. Suard à ne point mettre cette misère sur mon compte. C'est une action d'honnêteté et de charité de ne point accuser son prochain quand il est encore en vie, et de charger les morts à qui on ne fait nul mal. En un mot, mon cher ange, je n'ai point fait et je n'aurai jamais fait les choses dont la calomnie m'accuse.
Les envieux mourront, mais non jamais l'envie 4. Ayez la bonté , je vous prie , de parler à M. Suard s'il vient chez vous 5.
Puis-je espérer que mon cher Damilaville aura le poste qui lui est si bien dû ? Il est juste qu'il soit curé après avoir été vingt ans vicaire.
J'ai une autre grâce à vous demander; c'est pour ma Catherine. Il faut rétablir sa réputation à Paris chez les honnêtes gens. J'ai de fortes raisons de croire que MM. les ducs de Praslin et de Choiseul ne la regardent pas comme la dame du monde la plus scrupuleuse ; cependant je sais, autant qu'on peut savoir, qu'elle n'a nulle part à la mort de son ivrogne de mari : un grand diable d'officier aux gardes Préobazinsky, en le prenant prisonnier, lui donna un horrible coup de poing qui lui fit vomir du sang; il crut se guérir en buvant continuellement du punch dans sa prison, et il mourut dans ce bel exercice 6. C'était d'ailleurs le plus grand fou qui ait jamais occupé un trône. L'empereur Venceslas n'approchait pas de lui.
A l'égard du meurtre du prince Yvan, il est clair que ma Catherine Catherine n'y a nulle part. On lui a bien de l'obligation d'avoir eu le courage de détrôner son mari, car elle règne avec sagesse et avec gloire; et nous devons bénir une tête couronnée qui fait régner la tolérance universelle dans cent trente-cinq degrés de longitude. Vous n'en avez, vous autres, qu'environ huit ou neuf, et vous êtes encore intolérants. Dites donc beaucoup de bien de Catherine, je vous en prie, et faites-lui une bonne réputation dans Paris.
Je voudrais bien savoir comment Mme d'Argental s'est trouvée de ces grands froids . Je suis étonné d'y avoir résisté. Conservez votre santé, mon divin ange je vous adore de plus en plus.
V. »
1 Allusion au Dupuis de la pièce Dupuis et Des Ronais, de Charles Collé, 1759 : https://books.google.fr/books?id=lks6AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q=dupuis&f=false
Ce Dupuis n'est qu’une pâle copie du véritable Dupuis de Robert Challe ; le « vieux Dupuis » et surtout du neveu de celui-ci, « Dupuis le libertin », auquel on se demande si V* ne songe pas aussi ; voir les Illustres françaises, respectivement Histoire de M. des Ronais et de Mlle Dupuis, et Histoire de Dupuis et de Mme de Londé.Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Illustres_Fran%C3%A7aises
2 Le Dîner du comte de Boulainvilliers .
3 François Massialot , auteur d'un célèbre raté de cuisine, Le Cuisinier royal et bourgeois, 1691,cuisinier que Voltaire a nommé dans le vers 37 du Mondain : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Mondain
Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k108571q/f10.item
4 Molière, Tartufe, acte V, scène 3 , vers 1666 : https://fr.wikisource.org/wiki/Tartuffe_ou_l%E2%80%99Imposteur/%C3%89dition_Louandre,_1910/Acte_V
5 Cette phrase biffée sur la copie Beaumarchais manque dans toutes les éditions.
6 V* remarque dans les Notebooks (II, 335), à la date du 19 janvier 1766 : « Le comte Rewusky m'a assuré que Pierre III n'est mort que pour avoir bu continuellement du punch dans sa prison. » Au reste tout ce paragraphe est un des meilleurs exemples de l'admiration portée par V* à Catherine et par-delà à la Russie .
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