13/09/2023
Il n'importe pas qu'on accuse les morts, mais il importe beaucoup que l'on n'accuse pas les vivants
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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
Mon cher ange, mon gendre 1 m'apporte votre lettre ; il est enchanté de vos bontés, et moi je suis désespéré. M. le duc de Choiseul s'est déclaré violemment contre les Sirven, après m'avoir promis qu'il serait leur protecteur 2. Mais le repas dont vous me parlez me fait encore plus de peine . Saint-Hyacinthe était, à la vérité, un sot dans la conversation, mais il écrivait bien . Il a fait de bons journaux, et il y a de lui un Militaire philosophe, imprimé depuis peu en Hollande, lequel est ce qu'on a fait peut-être de plus fort contre le fanatisme 3. Le dîner a été imprimé sous son nom pourquoi donc l'attribuer à une autre personne? Cela est injuste et barbare . Il y a plus, cela est très dangereux et d'une conséquence affreuse. On est déchaîné de tous les côtés ; on cherche l'ouvrage de Saint-Hyacinthe pour le faire brûler. M. Suard est l'homme du monde le plus capable de détourner des soupçons odieux qui perdraient un vieillard aimé de vous, et rempli pour vous de la tendresse la plus inaltérable.
Vous ai-je prié de persuader M. Suard ? Non ; je vous ai supplié de l'engager à rendre un service digne d'un honnête homme. Il n'importe pas qu'on accuse les morts, mais il importe beaucoup que l'on n'accuse pas les vivants. Que vous coûterait-il de prier M. Suard de passer chez vous, et de l'engager à rendre ce service ? Je vous le demande au nom de l'amitié. Les personnes avec lesquelles vous vivez en intimité croiront ce qu'elles voudront . Je suis bien sûr qu'elles ne me feront pas de mal mais les autres peuvent en faire beaucoup.
La poste va partir, je n'ai que le temps de vous dire combien il est nécessaire qu'on ne me calomnie point auprès du roi, et que M. Suard et M. l'abbé Arnaud, que je vous crois attachés, empêchent qu'on ne me calomnie dans la ville.
Je vous embrasse avec la plus vive tendresse.
V.
6è février 1768.»
1 Dupuits .
2 La requête des Sirven fut admise le 23 janvier 1768 au Conseil du roi , mais rejetée . Les ministres, dont Choiseul ont craint de soulever toute la magistrature en ayant l'air de mettre en cause les prérogatives des parlements régionaux . Il faudra donc utiliser une autre tactique .Voir : https://www.site-magister.com/afsirv.htm
3 Bien entendu Le Dîner du comte de Boulainvilliers .
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il y aura un peu de peine
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« A Anne-Madeleine-Louise-Charlotte-Auguste de La Tour du Pin de Saint-Julien
5è février 1768 à Ferney
Votre lettre, madame, vos bontés, pour mon fils adoptif, votre souvenir de mon respectueux attachement pour vous, le désir que vous me témoignez d'honorer encore ma chaumière de votre présence ; tout cela ranime mon cœur et tourne ma vielle tête . Je suis pénétré de la bienveillance que M. le duc de Choiseul daigne me conserver . Il veut faire quelque chose de mon petit pays barbare ; il y aura un peu de peine .
Vous me faites, madame, beaucoup d'honneur et un mortel chagrin en m'attribuant l'ouvrage de Saint-Hyacinthe , imprimé il y a quarante ans . Les soupçons dans une matière aussi grave seraient capables de me perdre, et de m'arracher au seul asile qui me reste sur la terre, dans une vieillesse accablée de maladies qui ne me permet pas de me transplanter . Mes derniers jours seraient empoisonnés de la manière la plus funeste .
Je vous conjure, madame, par toute la bonté de votre cœur, de bien dire surtout à M. le duc de Choiseul que je n'ai, ni ne puis avoir aucune part à la foule de ces ouvrages hardis qu'on imprime et qu'on réimprime depuis plusieurs années, et qui ont fait une prodigieuses révolution dans les esprits d'un bout de l'Europe à l'autre .
Puisque vous avez envoyé à M. le duc de Choiseul une partie de l'imprimé de Saint-Hyacinthe en manuscrit 1 vous êtes en droit plus que personne de certifier que le nom de Saint-Hyacinthe est imprimé à la tête de la brochure avec la date de 1728 .
De plus, il y a cent traits dans cet ouvrage qui indique évidemment le temps auquel il fut composé 2. Vous n'étiez pas née alors, madame, il s'en faut de beaucoup, mais toute jeune que vous êtes, vous avez un cœur toujours occupé de faire du bien . Empêchez donc qu'on ne me fasse du mal . Repoussez la calomnie . Mon fils Dupuits vous doit tout, et je vous devrai autant que lui .
Votre très humble et très obéissant serviteur V. avec bien du respect . »
1 Effectivement Le Dîner du comte de Boulainvilliers circula en manuscrit quelque temps avant d'être imprimé, ainsi que l'atteste la Correspondance littéraire en date du 1er janvier 1768 , mais l’argumentation qui suit n'en doit pas moins être considérée des plus faibles .
2 Effectivement, mais l'ouvrage contient aussi, vers la fin , une référence à l'Histoire critique de la philosophie, de Bourreau Deslandes qui ne fut publiée qu'en 1737 ,
voir lettre du 6 décembre 1757 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/02/13/nous-autres-droles-de-francais-nous-sommes-plus-expeditifs-n.html
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