25/11/2023
Si la nature ne m’avait pas donné deux antidotes excellents, l’amour du travail et la gaieté, il y a longtemps que je serais mort de désespoir
... Est-ce le cas pour les Enarques de la promotion Voltaire de 1980 à celle de Charlie Hebdo de 2015 :
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
1er avril [1768], et ce n’est pas un poisson d’avril.
Je reçois, mon cher ange, votre lettre du 26 mars. Vous n’avez donc pas reçu mes dernières , vous n’avez donc pas touché les quarante écus que je vous ai envoyés par M. le duc de Praslin 1, ou bien vous n’avez pas été content de cette somme ? Il est pourtant très vrai que nous n’avons pas davantage à dépenser, l’un portant l’autre. Voilà à quoi se réduit tout le fracas de Paris et de Londres. Serait-il possible que ma dernière lettre adressée à Lyon 2 ne vous fût pas parvenue ? Je vous y rendais compte de mes arrangements avec Mme Denis, et ce compte était conforme à ce que j’écris à M. de Thibouville . Ma lettre est pour vous et pour lui. Mandez-moi, je vous en conjure, si vous avez reçu cette lettre, qui doit être timbrée de Lyon 3. Cela est de la plus grande importance, car, si elle ne vous a pas été rendue, c’est une preuve que mon correspondant est au moins très négligent. Je vous disais que j’étais dans les bonnes grâces de M. Jeannel 4, et je vous le prouve, puisque c’est lui qui vous envoie ma lettre et La Princesse de Babylone 5.
Vous me demandez pourquoi j’ai chez moi un jésuite ? Je voudrais en avoir deux ; et, si on me fâche, je me ferai communier par eux deux fois par jour. Je ne veux point être martyr à mon âge. J’ai beau travailler sans relâche au Siècle de Louis XIV, j’ai beau voyager avec une Princesse de Babylone, m’amuser à des tragédies et des comédies, être agriculteur et maçon, on s’obstine à m’imputer toutes les nouveautés dangereuses qui paraissent. Il y a un baron d’Holbach à Paris qui fait venir toutes les brochures imprimées à Amsterdam chez Marc-Michel Rey. Ce libraire, qui est celui de Jean-Jacques, les met probablement sous mon nom. Il est physiquement impossible que j’aie pu suffire à composer toutes ces rapsodies . N’importe, on me les attribue pour les vendre.
J’ai lu la relation 6 dont vous me parlez . Elle n’est point du tout sage et modérée, comme on vous l’a dit . Elle me paraît très outrageante pour les juges. Jugez donc, mon cher ange, quel doit être mon état . Calomnié continuellement, pouvant être condamné sans être entendu, je passe mes derniers jours dans une crainte trop fondée. Cinquante ans de travaux ne m’ont fait que cinquante ennemis de plus, et je suis toujours prêt à aller chercher ailleurs, non pas le repos, mais la sécurité. Si la nature ne m’avait pas donné deux antidotes excellents, l’amour du travail et la gaieté, il y a longtemps que je serais mort de désespoir.
Dieu soit béni, puisque Mme d’Argental se porte mieux : Je me recommande a ses bontés.
Mes compliments je vous prie à Mme Gillet 7 .»
1 Un exemplaire de L’Homme aux quarante écus. Voir lettre du 2 novembre 1767 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/06/02/ces-bagatelles-amusent-un-moment-deux-ou-trois-cents-oisifs-6445853.html
2 Cette lettre manque.
3 L'adresse de cette lettre ne nous est pas parvenue .
4 Sur Jeannel, intendant général des postes, voir lettre du 9 août 1756 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/08/05/je-m-unis-a-tout-hasard-aux-sentiments-des-saints-sans-savoi.html
5 Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-conte-la-princesse-de-babylone-chapitre-i-103028927.html
6 La relation du chevalier de La Barre : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvre... ; voir lettre de janvier 1768 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/08/17/je-veux-ramener-les-hommes-a-l-amour-de-l-humanite-par-l-hor-6457104.html
7 Mme Gillet était non pas une bas-bleu comme on l'a dit, mais une femme d'esprit qui collaborait à la feuille de Fréron.
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