16/03/2024
gonflé d’un amour-propre féroce, persécuteur et calomniateur ...un barbare avide du sang humain, digne d’expirer sous la main des bourreaux qu’il emploie...il a osé employer la plus lâche et la plus noire calomnie
... Poutine, tu es ridicule au-delà de toute expression, élu comme un véritable chef de république bananière, quelle gloire ! Voltaire te décrit et te vomit, et nous aussi .
« A Philippe-Charles-François-Joseph de Pavée, marquis de Villevielle
A Ferney, 26 Auguste 1768 1
Je vous attends au mois de septembre, mon cher marquis . Vous êtes assez philosophe pour venir partager ma solitude. Ferney est tout juste dans le chemin de Nancy. En attendant, il faut que je vous fasse mon compliment de ce que vous n’êtes point athée. Votre devancier, le marquis de Vauvenargues, ne l’était pas ; et quoi qu’en disent quelques savants de nos jours, on peut être très bon philosophe, et croire en Dieu. Les athées n’ont jamais répondu à cette difficulté, qu’un[e] horloge prouve un horloger ; et Spinosa lui-même admet une intelligence qui préside à l’univers. Il est du sentiment de Virgile :
Mens agitat molem, et magno se corpore miscet.2
Quand on a les poètes pour soi, on est bien fort. Voyez La Fontaine, quand il parle de l’enfant que fit une religieuse ; il dit :
Si ne s’est après tout fait lui-même. 3
Je viens de lire un nouveau livre de l’Existence de Dieu, par un Bullet 4, doyen de l’université de Besançon. Ce doyen est savant, et marche sur les traces des Swamerdam 5, des Nieuventit 6 et des Derham 7; mais c’est un vieux soldat à qui il prend des terreurs paniques. Il est tout épouvanté du grand argument des athées, qu’en jetant d’un cornet les lettres de l’alphabet, le hasard peut amener l’Enéide dans un certain nombre de coups donné . Pour amener le premier mot arma, il ne faut que vingt-quatre jets ; et, pour amener arma virumque, il n’en faut que cent vingt millions 8: c’est une bagatelle ; et, dans un nombre innombrable de milliards de siècles, on pourrait à la fin trouver son compte dans un nombre innombrable de hasards ; donc dans un nombre innombrable de siècles, il y a l’unité contre un nombre innombrable de chiffres que le monde a pu se former tout seul.
Je ne vois pas dans cet argument ce qui a pu accabler M. Bullet ; il n’avait qu’à répondre sans s’effrayer . Il y a un nombre innombrable de probabilités qu’il existe un Dieu formateur, et vous n’avez, messieurs, tout au plus que l’unité pour vous : jugez donc si la chance n’est pas pour moi.
De plus, la machine du monde est quelque chose de beaucoup plus compliqué que l’Enéide. Deux Enéides ensemble n’en feront pas une troisième, au lieu que deux créatures animées font une troisième créature, laquelle en fait à son tour : ce qui augmente prodigieusement l’avantage du pari.
Croiriez-vous bien qu’un jésuite irlandais a fourni en dernier lieu des armes à la philosophie athéistique, en prétendant que les animaux se formaient tout seuls ? C’est ce jésuite Needham 9, déguisé en séculier, qui, se croyant chimiste et observateur, s’imagina avoir produit des anguilles 10 avec de la farine et du jus de mouton. Il poussa même l’illusion jusqu’à croire que ces anguilles en avaient sur-le-champ produit d’autres, comme les enfants de Polichinelle et de madame Gigogne 11. Voilà aussitôt un autre fou, nommé Maupertuis, qui adopte ce système, et qui le joint à ses autres méthodes de faire un trou jusqu’au centre de la terre pour connaître la pesanteur, de disséquer des têtes de géants pour connaître l’âme, d’enduire les malades de poix-résine pour les guérir, et d’exalter son âme pour voir l’avenir comme le présent 12. Dieu nous préserve de tels athées ! celui-là était gonflé d’un amour-propre féroce, persécuteur et calomniateur ; il m’a fait bien du mal ; je prie Dieu de lui pardonner, supposé que Dieu entre dans les querelles de Maupertuis et de moi.
Ce qu’il y a de pis, c’est que je viens de voir une très bonne traduction de Lucrèce avec des remarques fort savantes, dans lesquelles l’auteur allège les prétendues expériences du jésuite Needahm pour prouver que les animaux peuvent naître de pourriture 13. Si ces messieurs avaient su que Needham était un jésuite, ils se seraient défiés de ses anguilles et ils auraient dit :
Latet anguis in herba. 14
Enfin il a fallu que M Spalanzani, le meilleur observateur de l’Europe, ait démontré aux yeux le faux des expériences de cet imbécile Needham 15. Je l’ai comparé 16 à ce Malcrais de La Vigne , gros vilain commis de la douane au Croisic en Bretagne, qui fit accroire aux beaux esprits de Paris qu’il était une jolie fille faisant joliment des vers 17.
Mon cher marquis, il n’y a rien de bon dans l’athéisme. Ce système est fort mauvais dans le physique et dans le moral. Un honnête homme peut fort bien s’élever contre la superstition et contre le fanatisme : il peut détester la persécution ; il rend service au genre humain s’il répand les principes humains de la tolérance ; mais quel service peut-il rendre s’il répand l’athéisme ? les hommes en seront-ils plus vertueux, pour ne pas reconnaître un Dieu qui ordonne la vertu ? non sans doute. Je veux que les princes et leurs ministres en reconnaissent un, et même un Dieu qui punisse et qui pardonne. Sans ce frein, je les regarderai comme des animaux féroces qui, à la vérité, ne me mangeront pas lorsqu’ils sortiront d’un long repas, et qu’ils digéreront doucement sur un canapé avec leurs maîtresses, mais qui certainement me mangeront, s’ils me rencontrent sous leurs griffes, quand ils auront faim, et qui, après m’avoir mangé, ne croiront pas seulement avoir fait une mauvaise action . Ils ne se souviendront même point du tout de m’avoir mis sous leurs dents quand ils auront d’autres victimes.
L’athéisme était très commun en Italie, aux XVè et XVIè siècles . Aussi, que d’horribles crimes à la cour des Alexandre VI , des Jules II, des Léon X ! Le trône pontifical et l’Église n’étaient remplis que de rapines, d’assassinats, et d’empoisonnements. Il n’y a que le fanatisme qui ait produit plus de crimes.
Les sources les plus fécondes de l’athéisme sont, à mon sens, les disputes théologiques. La plupart des hommes ne raisonnent qu’à demi, et les esprits faux sont innombrables. Un théologien dit : « Je n’ai jamais entendu et je n’ai jamais dit que des sottises sur les bancs ; donc ma religion est ridicule. Or ma religion est sans contredit la meilleure de toutes ; cette meilleure ne vaut rien ; donc il n’y a point de Dieu. » C’est horriblement raisonner. Je dirais plutôt : Donc il y a un Dieu qui punira les théologiens, et surtout les théologiens persécuteurs.
Je sais très bien que je n’aurais pas démontré au Normand de Vire, Le Tellier 18, qu’il existe un Dieu qui punit les tyrans, les calomniateurs, et les faussaires, confesseurs des rois. Le coquin, pour réponse à mes arguments, m’aurait fait mettre dans un cul de basse-fosse. Je ne persuaderai pas l’existence d’un Dieu rémunérateur et vengeur à un juge scélérat, à un barbare avide du sang humain, digne d’expirer sous la main des bourreaux qu’il emploie ; mais je la persuaderai à des âmes honnêtes, et, si c’est une erreur, c’est la plus belle des erreurs.
Venez dans mon couvent, venez reprendre votre ancienne cellule. Je vous conterai l’aventure d’un prêtre constitué en dignité 19, que je regarde comme un athée de pratique, puisque, faisant tout le contraire de ce qu’il enseigne, il a osé employer contre moi, auprès du roi, la plus lâche et la plus noire calomnie. Le roi s’est moqué de lui, et le monstre en est pour son infamie. Je vous conterai d’autres anecdotes : nous raisonnerons, et surtout je vous dirai combien je vous aime.
V. »
1 Original, initiale et la dernière phrase autographes ; minute complétée, corrigée et datée par V* (les quatre premières pages faisaient partie de la collection Besterman ; les deux dernières sont à la Bibliothèque nationale ) ; édition de Kehl, faite à partir de la minute pour les quatre premières pages .
2 Virgile, L'Enéïde, VI, 727 . L’esprit agite la matière, et se mêle à ce corps immense .
3 La Fontaine, Contes, IV, v. 37 « Les Lunettes » : http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/clunettes.htm
4 Jean-Baptiste Bullet : L'Existence de Dieu démontrée par les merveilles de la nature, 1768 . Cet ouvrage semble marquer à certains égards un tournant dans la pensée de V* . Dès lors, son déisme s'affirmera et s'exprimera notamment dans Jenni, ou le sage et l'Athée .
Voir : https://archive.org/details/lexistencededieu00nieu/page/n9/mode/2up
et : https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Histoire_de_Jenni_ou_le_Sage_et_l%E2%80%99Ath%C3%A9e
5 Jan Swammerdam, auteur posthume de Bybel der nature, 1757-1758 ( https://archive.org/details/bybeldernatuure2swam/page/n5/mode/2up ) et d'autres ouvrages , notamment une fameuse Histoire générale des insectes , 1669 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1511558w.image
6 V* possède un ouvrage de Bernard Nieuwentijdtt : Le Véritable Usage de la contemplation de l'univers pour la conviction des athées et des incrédules, 1717 , traduit en français par Noguès, 1725-1740 , et qui inspirera à Châteaubriand des réflexions du génie du christianisme, Ière partie, liv. V.
7 Sur William Derham et son œuvre, voir Micromégas : https://fr.wikisource.org/wiki/Microm%C3%A9gas/Texte_entier#cite_note-9
8 V* n'est pas le meilleur calculateur qui soit . Sur la base d'un alphabet de vingt-quatre lettres, la probabilité d’obtenir les mots arma virulque cano, qui font , comme on le sait le début de L'Enéïde : « Je chante les armes et l'homme [...] » est de 1 sur 2412, ce qui est bien plus qu’annoncé par V*.
9 Sur Needham et son œuvre , qui perturbent le « fixisme » de V*, voir https://fr.wikisource.org/wiki/Questions_sur_les_miracles/%C3%89dition_Garnier
10 Voyez les Lettres sur les miracles. (G.Avenel .)
11 Polichinelle et la mère Gigogne, dont parle V*, sont des personnages traditionnels du théâtre de marionnettes .
12 Retour à Maupertuis que V* a laissé de côté pendant quelque temps ; V* énonce les thèmes qu'il reprend inlassablement contre Maupertuis ; voir : https://obvil.huma-num.fr/agon/querelles/querelle-de-voltaire-versus-maupertuis
13 Lucrèce, traduction nouvelle, 1768, par La Grange, précepteur chez d’Holbach. (G.A.)
Voir : https://archive.org/details/lucrcetraducti02lucr/page/n3/mode/2up
14 Virgile, Bucoliques, III, 93 ; Un anguille se cache dans l'herbe .
15 Sur les ouvrages de Spallanzani que connaît V*, voir la lettre d'octobre-novembre 1765 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/02/22/mes-paperasses-que-je-ne-sais-plus-ou-mettre-6299126.html
16 Dans Les Singularités de la nature, 1768, chap. XX : https://archive.org/details/lessingularitsde00volt/page/n7/mode/2up
17 Ou plutôt à Desforges-Maillard, qui se donnait pour mademoiselle Malcrais de La Vigne. (G.A.)
Sur cette fameuse supercherie littéraire, œuvre de Desforges-Maillard, voir : https://voltairefoundation.wordpress.com/tag/paul-desforges-maillard/
18 Michel Le Tellier, jésuite, fils d'un paysan de Vire, qui fut confesseur de Louis XIV en 1709. Voir : https://data.bnf.fr/12045853/michel_le_tellier/fr.pdf
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Le_Tellier_(j%C3%A9s...)
19 Biord, évêque de Belley-Annecy .
09:25 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.