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09/02/2025

Vous avez une grande réputation dans l’Europe, et je prédis que vous ne vous en tiendrez pas à la place que vous occupez à présent

... Je ne saurais à qui dire cela, aussi faisons un petit tour dans le passé :

https://www.touteleurope.eu/societe/douze-petits-portraits-de-grands-europeens-et-europeennes/

 

 

« Au cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis

3è auguste 1769 à Ferney 1

Par pitié pour l’âge caduque
D’un de mes sacrés estafiers,
Vous abritez sa vieille nuque :
Quand on est couvert de lauriers,
On peut donner une perruque.
Prêtez-moi quelque rime en uque
Pour orner mes vers familiers.
Nous n’avons que celle d’eunuque.
Ce mot me conviendrait assez ;
Mais ce mot est une sottise,
Et les beaux princes de l’Église
Pourraient s’en tenir offensés.

Je remercie très tendrement Votre Éminence de la perruque de mon pauvre aumônier  2 qui ne verra pas ma lettre. Mais souffrez qu’il vous rende de très humbles actions de grâces : il ne les dit jamais à table, et j’en suis fâché.

On dit que vous faites des merveilles à Rome, et que vos pieds, tout potelés qu’ils sont, marchent sur des épines sans se blesser. Je suis très fâché que votre Saint-Père soit peu versé dans l’Histoire 3, il se croira encore au treizième siècle ; mais vous le remettrez au courant, et vous viendrez plus aisément à bout d’un homme d’esprit que d’un sot. Vous avez une grande réputation dans l’Europe, et je prédis que vous ne vous en tiendrez pas à la place que vous occupez à présent. Vivez seulement, et laissez faire au temps. Je fais actuellement de la soie, tout comme si j’avais l’honneur d’être de votre diocèse 4.

Je jouis d’une retraite qui serait agréable, même dans le voisinage de Rome ; mais, quand le temps viendra où

De l’urne céleste
Le signe funeste
Domine sur nous,
Et pour nous commence
L’humide influence
De l’Ourse en courroux 5,

alors je deviendrai un des plus malheureux agriculteurs qui respirent ; alors, si j’étais seul, si ma nièce ne venait pas dans ma Sibérie, je volerais en tapinois dans votre climat, je vous ferais ma cour par un escalier dérobé, et je verrais Saint-Pierre. Mais à moi n’appartient tant d’honneur. Je suis comme Mahomet second, qui fit graver sur son tombeau : « Il eut un grand désir de voir l’Italie. 6»

J’en ai un plus grand, c’est que le plus aimable, le plus instruit, le plus brillant et le plus véritablement sage des Septante 7 agrée toujours mon tendre respect et me conserve ses bontés.

P. S. Vraiment, en relisant le chiffon de M. de Philippopolis 8, je trouve qu’il renvoie mon aumônier à son évêque 9, malgré la formule du non obstantibus contrariis 10. Cet évêque est l’ennemi mortel des perruques ; il refusera net. Cela ferait un procès, ce procès ferait du bruit et produirait du ridicule. Un ex-jésuite et moi, voilà des sujets d’épigrammes, et de quoi égayer les gazetiers. On n’a déjà que trop tympanisé ma dévotion. Je ne ferai donc rien sans un ordre de Votre Éminence . Je jetterais dans le feu les perruques du Père Adam et les miennes, plutôt que de compromettre Votre Éminence.

Autre post-scriptum.

Comme en qualité de cardinal et d’archevêque vous êtes à la tête des bienséances, je crois qu'il n'est pas mal que j'aie l'honneur de vous envoyer le petit certificat ci-joint 11 . J'aurais fait plus de bien, mais pour en faire soit en grand soit en petit, il faut être absolument le maître. »

1 Original ; éd. Bourboing. Le second post-scriptum manque dans les éditions .

2 Le Père Adam ; voyez lettres du 12 juin 1769 à Bernis : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/12/11/si-je-n-obtiens-pas-ce-que-je-demande-je-m-en-prendrai-a-vous.html

et du 19 juillet de Bernis .

4 Alby, dont le cardinal de Bernis était archevêque.

5 Voltaire, en citant ces vers, les croyait de Bernis, sous le nom duquel ils ont été imprimés. On les trouve même dans quelques éditions de ses Œuvres ; mais l’Épître sur l’hiver, dont ils font partie, est de Gentil-Bernard.

Voir aussi : https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1989_num_41_1_1711

6 Pièce de Marivaux . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mahomet_second

7 C’est le nombre des cardinaux, dont six cardinaux-évêques, cinquante cardinaux prêtres, et quatorze cardinaux-diacres. (Beuchot.)

8 C’était le secrétaire des brefs. Il avait succédé à l’archevêque de Calcédoine.

9 C’était Biord, évêque d’Annecy, qui, fils d’un maçon, n’avait pas le mortier liant, comme dit Voltaire, et avec qui Voltaire avait eu, en 1768, une petite correspondance. (Beuchot.)

10 Nonobstant toutes oppositions .

11 Ce certificat est connu sous différentes formes peu différentes . Une copie fut envoyée à Mme Denis ; une autre, trouvée à Ferney en 1780 passa à la vente Dubrunfaut en 1884 et se trouve actuellement conservée à Ferney, etc. Les différents documents passés à des dates diverses furent réunis en une seule pièce notariée dont voici la teneur :

« Nous soussignés certifions que M. de Voltaire, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, l'un des quarante de l'Académie française, seigneur de Ferney, Tournay, Prégny et Chambésy au pays de Gex, près de Genève, a non seulement rempli les devoirs de la religion catholique dans la paroisse de Ferney où il réside, mais qu'il a fait rebâtir et orner l'église à ses dépens, qu'il a entretenu longtemps un maître d’école, qu'il a défriché à ses frais les terres incultes de plusieurs habitants, a mis ceux qui n'avaient point de charrue en état d'en avoir, leur a bâti des maisons, leur a concédé des terrains, et que Ferney est aujourd'hui plus peuplé du double, qu'il ne l'était avant qu'il en prit possession, qu'il n'a refusé ses secours à aucun des habitants du voisinage .

« Requis d'en rendre le témoignage, nous le donnons comme la plus exacte vérité : signés Gros, curé, Sauvage de Verny, syndic de la noblesse, Fabry, premier syndic général et subdélégué de l'intendance, Christin avocat, David prieur des Carmes de Gex, Adam prêtre et Fournier curé . Contrôlé à Gex le 28 avril 1768 . reçu treize sols . Signé de La Chaux .

« Je soussigné Claude Raffox notaire royal au bailliage de Gex résidant à Ferney, déclare avoir extrait et collationné mot à mot sur son original le certificat ci-devant à moi exhibé par M. de Voltaire et en même temps retiré : le tout fait à sa réquisition à Ferney le 28 avril 1768 . Signés Voltaire et Raffox

« Contrôlé à Gex le 28 avril 1769, reçu six sols, six deniers. Signé de La Chaux.

« Et depuis au dit château de Ferney le trente-et-un mars 1769 par-devant le même notaire et en présence des témoins ci-après nommés est comparu ledit messire François-Marie de Voltaire, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, l'un des quarante de l'Académie française, seigneur de Ferney, Tournay, Prégny et Chambésy, demeurant à sondit château, lequel a déclaré que ledit Nonnotte ci-devant soi-disant jésuite et le nommé Guyot soi-disant abbé, ayant fait contre lui des libelles aussi insipides que calomnieux, dans lesquels ils accusent ledit M. de Voltaire d'avoir manqué de respect pour la religion catholique, il doit à la vérité, à son honneur et à sa piété, de déclarer que jamais il n'a cessé de respecter et de pratiquer la religion professée dans le royaume, qu'il pardonne à ses calomniateurs, que si jamais il lui était échappé quelques indiscrétion préjudiciables à la religion de l’État, il en demandait pardon à Dieu et à l’État qu'il a vécu et veut mourir dans l’observance de toutes les lois du royaume, et dans la religion catholique, étroitement unie à [la loi] . Fait et prononcé [...]

« Contrôlé à Gex le 6è avril 1769.

« Et depuis au château même de Ferney, à neuf heures du matin du 1er avril 1769, par-devant ledit notaire et en présence des témoins ci-après nommés, ledit M. de Voltaire, immédiatement après avoir reçu dans son lit, où il est détenu malade , la sainte communion de M. le curé de Ferney, a prononcé ces propres paroles : « Ayant mon Dieu dans ma bouche, je déclare que je pardonne sincèrement à ceux qui ont écrit au Roi des calomnies contre moi, et qui n'ont pas réussi dans leur mauvais dessein » de laquelle déclaration ledit M. de Voltaire a requis acte, que je lui ai octroyé en présence de R[évéren]d sieur Pierre Gros, curé dudit Ferney, d'Antoine Adam, prêtre, ci-devant soi-disant jésuite, Simon Bigex, Claude Joseph capucin du couvent de Gex, Claude-Étienne Mausier orfèvre et bijoutier, et Pierre Larchevêque syndic dudit Ferney, y demeurant, témoins soussignés, avec ledit M. de Voltaire, et moidit notaire audit château de Ferney, lesdits heure, jour, mois et an. »

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