09/02/2025
s’ils ne se trouvent pas assez flattés, on les peindra tels qu’ils sont
... Tel est le juste lot de tous ceux et toutes celles qui se flattent d'être sujets de biographies de leur vivant , généralement autobiographies, sujettes à caution tant l'humain est avide de gloire . Pour les défunts on se plait à raconter ce qu'on veut, avec parfois l'opposition de leurs héritiers , sans plus .
« A Bernard-Joseph Saurin
3è auguste 1769 1
Je m’intéresse plus que personne, mon cher confrère, au triste état d’Abélard 2. Soixante et quinze ans font à peu près le même effet que le rasoir de monsieur le chanoine. Horace a bien raison de dire, et Boileau après lui 3, que les plus tristes sujets peuvent réussir en vers 4. Les vôtres sont bien agréables et bien attendrissants.
Vous savez qu’on a imprimé Les Guèbres du jeune Des Mahis 5. Cette pièce m’a paru fort sage : il serait à souhaiter qu’elle l’eût été moins ; elle aurait fait une plus grande impression. Je conseillerais aux prêtres de demander qu’on la joue telle qu’elle est, car, s’ils ont la sottise de s’y opposer, il arrivera que les héritiers de Des Mahis remettront la pièce dans toute son ancienne horreur. On m’a dit que l’auteur en avait adouci presque tous les traits, et qu’il avait passé quelques couleurs sur l’extrême laideur de ces messieurs ; mais, s’ils ne se trouvent pas assez flattés, on les peindra tels qu’ils sont. Je crois qu’il est de l’intérêt de tous les honnêtes gens qu’on joue quelquefois de pareilles pièces . Cela vaut pour le moins une grand-messe de votre archevêque, et beaucoup mieux sans doute que tous ses billets de confession.
J’ai essuyé plus d’une affaire et plus d’une maladie ; c’en est trop à mon âge. Plaignez-moi, si je vous écris si rarement et si laconiquement.
V. »
1 Original ; éd. Supplément au recueil, II, 145-146, sans destinataire ; voir note 2 .
2 Saurin venait de publier une imitation de l’Épître d’Héloïse à Abélard, de Pope [ https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109237z.image ] : Épître d'Héloïse à Abélard imitée de Pope, qui ne semble avoir été publiée seulement dans les Lettres et épîtres amoureuses d'Héloïse et d'Abélard ( au Paraclet, vers 1785 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64242457 ).
3 Ce n’est pas d’après Horace que Boileau a dit les vers cités ci-dessous .
4Allusion au début du chant III de l'Art poétique :
Il n’est pas de serpent ni de monstre odieux
Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux.
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