06/08/2019
Je dis la vérité avec hardiesse . Il me paraît honteux et puéril de la cacher
... Qui est capable d'en dire autant ?
« A Adrien-Michel-Hyacinthe Blin de Sainmore
22 juin 1764, aux Délices 1
J'avais déjà pris mes mesures, monsieur, pour que vous eussiez un Corneille 2; personne n'en mérite mieux que vous puisque personne n'en juge si bien . Je ne suis pas étonné que vous préfériez Racine ; quiconque a du goût ne fera jamais la moindre comparaison entre les deux hommes . Des diamants bruts, remplis de taches, n'approchent pas des brillants de la première eau . J'ai été épouvanté quand il m'a fallu commenter Corneille, du nombre prodigieux de fautes contre la langue, contre le goût, contre les bienséances de toute espèce, et qui pis est , contre l'intérêt . Je n'ai pas relevé le quart de ces défauts ; le texte aurait été étouffé sous les notes . Les vrais connaisseurs me reprochent de n'en avoir pas dit assez et les fanatiques de Corneille, dont la plupart ne l'ont pas lu, me font un crime d'en avoir trop dit . Je crois que personne ne serait plus capable que vous de suppléer aux remarques que j'ai omises . Vous feriez voir que Corneille est presque toujours hors de la nature . César se serait mis à rire si Cornélie était venue lui faire des menaces et le traiter comme un petit garçon . Je ne connais guère que Rodogune et Chimène qui soient des caractères vrais, et ce qui est étrange, c'est qu'il a fallu les prendre chez les Espagnols ; presque tout le reste est boursouflé, ou bourgeois, ou raisonneur, et j'avouerai hautement que je fais plus de cas du seul rôle d'Acomat 3 que de tous les héros de Corneille . Je dis la vérité avec hardiesse . Il me paraît honteux et puéril de la cacher .
Je suis enchanté que vous soyez attaché à M. le cardinal de Bernis ; c'est un homme de mérite et fait pour sentir le vôtre ; il serait à souhaiter qu'il se mit à la tête des lettres . C'est bien dommage qu'il soit cardinal et archevêque . Je ne saurais trop vous dire, monsieur, combien je vous estime . Ma mauvaise santé m'empêche de vous le dire aussi souvent que je le voudrais .
Voltaire. »
1 La lettre à laquelle répond V* n'est pas connue .
2 Note de Blin de Sainmore sur le manuscrit : « L'exemplaire de la nouvelle édition de Corneille était déjà parvenu à celui à qui on le destinait, lorsqu'il reçut cette lettre . »
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05/08/2019
Le temps n’est pas trop favorable pour une pièce nouvelle ; mais vous savez que vous êtes les maîtres de tout
... Ou plutôt vous pourriez l'être, si vous aviez un peu plus de coeur, messieurs et mesdames du gouvernement .
On n'est pas loin de la vérité : "ils sont du parti des péteurs alors qu'ils n'ont pas de cul "
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
22 juin [1764] 1
Je crois, mes divins anges, toutes réflexions faites, qu’il faut que le roi de Pologne se contente du paquet qui est chez M. de Laleu depuis plus d’un mois, et qu’il fasse comme le roi son gendre et moi chétif ; car s’il prend les 25 exemplaires, il n’en restera plus pour ceux à qui j’en destinais. C’est une négociation que vous pouvez très bien faire avec M. de Hulin, qui est sans doute un ministre conciliant.
Je vous conjure, mes divins anges, de recommander le plus profond secret 2 à messieurs de la Gazette littéraire. Je ne fais pas grand cas des vers de Pétrarque ; c’est le génie le plus fécond du monde dans l’art de dire toujours la même chose ; mais ce n’est pas à moi à renverser de sa niche le saint de l’abbé de Sade.
S’il fait d’aussi grandes chaleurs à Paris que dans ma grande vallée entre les Alpes, la glace de nos roués sera de saison. Le temps n’est pas trop favorable pour une pièce nouvelle ; mais vous savez que vous êtes les maîtres de tout. Je conseille toujours aux acteurs de s’habiller de gaze. L’ex-jésuite qui m’est venu voir, comme vous savez, m’a prié de vous engager à faire une correction importante ; c’est de mettre je me meurs au lieu de je succombe. Je lui ai dit que l’un était aussi plat que l’autre, et que tout cela était très indifférent. C’est au 2è acte, c’est Julie qui parle à Fulvie :
A peine devant vous je puis me reconnaître.
Je me meurs.3
Ce je me meurs est en effet plus supportable que je succombe, et sert mieux la déclamation. De plus, il y a un autre succombe dans la même scène, et il ne faut pas succomber deux fois. L’auteur pourra bien succomber lui-même, mais j’espère qu’on n’en saura rien.
Grandval grasseye-t-il dans la pièce ? À qui donnez-vous Octave ?4
Notez s'il vous plait qu'au troisième acte dans la scène entre Julie et Octave , il y a :
Disposez de la main d'un de maîtres du monde.
Je prie Octave de 5 dire :
Disposez de la foi d'un des maîtres du monde 6.
Voilà deux terribles corrections .
Il m'en vient d'autres encore dans la tête en vous écrivant ; voilà une plaisante lettre : je dicte, je corrige des vers, j'écris quatre lignes, et puis des vers encore . Les gens de mon métier sont drôles .
Tenez donc mes divins anges, voici d'amples changements qui me paraissent fort raisonnables . N'est-il pas vrai que Pompée en arrivant sur le théâtre au troisième acte ne parlait pas assez de Julie ? Il l'a perdue, il la cherche et il ne parle que de Caton et de Cicéron . Ce n'est pas là un véritable amant comme dit Pierre 7. Vous verrez donc comme j'ai rapiéceté ce petit morceau .
Vraiment, mes anges, il faut confier à beaucoup de bavards que je fais Pierre-le-Cruel, et qu’elle sera prête pour le commencement de l’hiver . Rien ne sera plus propre à dérouter les curieux qui parlent des Roués, et qui les attribuent déjà à Helvétius, à Saurin. Il faut les empêcher de venir jusqu’à nous.
Dites-moi un mot, je vous prie, de ces Roués, et recommandez bien au fidèle Lekain d’empêcher qu’on étrique l’étoffe, qu’on ne la coupe, qu’on ne la recouse avec des vers welches . Il en résulte des choses abominables, un Guy Duchesne achète le manuscrit mutilé, écrit à la diable , et on est déshonoré dans la postérité, si postérité y a . Cela dessèche le sang et abrège les jours d’un pauvre homme. Quoi qu’il en soit, je baise le bout de vos ailes avec respect et tendresse.
V. »
1 Date complétée par d'Argental ; le passage Grandval grasseye-t-il ….. j'ai rapièceté ce petit morceau, biffé sur la copie Beau marchais, manque dans les éditions : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/08/correspondance-annee-1764-partie-21.html
2 Il s’agit de l’article sur les Mémoires pour servir à la vie de Pétrarque. (Georges Avenel.)
3 Voir page 17 : https://books.google.fr/books?id=VyQHJb9qkhoC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q=A%20peine%20devant%20vous%20je%20puis%20me%20connaitre.%20Je%20me%20meurs.&f=false
4 Grandval ne joua pas dans cette pièce ; le rôle d'Octave fut créé par Lekain .
5 Par un lapsus, V* a oublié ce de dans le manuscrit original .
6 Cette correction fut faite, mais tout le passage fut transformé , Octave , III, 6 .
7 Allusion au rôle de Pauline dans Polyeucte, elle emploie cette expression à la scène 3 de l'acte I.
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04/08/2019
Mon cher disciple, puisque vous voulez bien prendre ce nom, vous serez mon maître en tout
...
Merci à Turk et De Groot et Zidrou, maîtres es rire
« A François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence
chez M. le comte de Gramont
à Besançon
22è juin 1764 aux Délices
Le philosophe indien attendra Pythagore à Ferney, où il sera le 25 ou le 26 du mois où nous sommes, et il tâchera de lui pas faire la chère des pythagoriciens . Mon cher disciple, puisque vous voulez bien prendre ce nom, vous serez mon maître en tout . Vous ne verrez qu'un pauvre diable bien languissant, j'espère que le plaisir de vous voir me ranimera . Vous devez être trop fatigué de votre voyage, pour que je vous accable encore d'une longue lettre ; et nous avons plus de choses à nous dire qu'à nous écrire . Permettez, monsieur, que je vous embrasse bien tendrement.
V. »
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03/08/2019
C’est Jeannot Lapin à qui on fait accroire qu’il est un foudre de guerre
... C'est ainsi que Donald Trump se croit maître du monde , lui, grande gueule de roquet qui croit faire plier la Chine et ses 1 390 000 000 habitants à coups de taxes, eux qui détiennent l'essentiel des terres rares dont à besoin l'industrie électronique et donc tout le monde moderne dit connecté, et sont à même de faire plier tout pays industrialisé . Les Américains seront-ils assez niais ( cons) pour garder encore quatre ans ce dangereux escogriffe ? Je le crains bien .
http://www.crilj.org/qui-sommes-nous-2/page/6/
« A Pierre-Louis d'Aquin de Château-Lyon 1
22 juin 1764 aux Délices
S’il vous était permis, monsieur, de rendre votre Avant-Coureur aussi agréable que vos lettres, il ferait une grande fortune. Je vous supplie de continuer. J’aurai le plaisir d’avoir de vous ce que vous faites de mieux. Vous me contez très plaisamment des anecdotes fort plaisantes. Ne vous lassez pas, je vous prie : songez que je suis malade. Vous êtes médecin, autant qu’il m’en souvient. Vos lettres sont pour moi une excellente recette.
Je n’ai point lu cette lettre de Jean-Jacques dont vous me parlez 2. Moi, persécuteur ! moi, violent persécuteur ! C’est Jeannot Lapin à qui on fait accroire qu’il est un foudre de guerre. Il y a deux ans que Jean-Jacques, auteur de quelques comédies, s’avisa d’écrire contre la comédie. Je ne sais pas trop bien quelle était sa raison , mais cela n’était guère raisonnable.
Jean-Jacques ajouta à cette saillie celle de m’écrire que je corrompais sa patrie en faisant jouer la comédie chez moi, en France, à deux lieues de Genève 3. Je ne lui fis point de réponse, il s’imagina que j’étais fort piqué contre lui, quoiqu’il dût savoir que les choses absurdes ne peuvent fâcher personne. Croyant donc m’avoir offensé, il s’est allé mettre dans la tête que je m’étais vengé, et que j’avais engagé les magistrats de Genève à condamner sa personne et son livre. Cette idée, comme vous le voyez, est encore plus absurde que sa lettre. Que voulez-vous ? Il faut avoir pitié des infortunés à qui la tête tourne . Il est trop à plaindre pour qu’on puisse se fâcher contre lui.
Permettez-moi de souscrire pour votre Avant-Coureur. Si jamais d’ailleurs j’obtiens quelque crédit dans le sanhédrin de la comédie, je vous ferai recevoir spectateur, et vous pourrez me siffler à votre aise. Sans cérémonie.
Voltaire.»
2 Le correspondant de V* n'en parle pas dans sa lettre du 5 juin 1764 qui est conservée ; cette mention devait figurer dans une lettre désormais disparue . En tout cas l'allusion vise une lettre de Rousseau à Duchesne, du 28 mai 1764 publiée sous le titre Lettre de M. Rousseau de Genève à M. X*** à Paris [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1040081q.image]; voir lettre du 28 mai 1764 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/06/28/vous-n-aurez-encore-aujourd-hui-qu-un-mot-du-malingre-6160977.html
3 Cette lettre fameuse , du 17 juin 1760, est citée partiellement à propos de la lettre du 17 juin 1760 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/06/28/je-voudrais-que-vous-ecrasassiez-l-infame-c-est-la-le-grand-5647116.html
Voir : page 422 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b.texte.r=rousseau.f436
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02/08/2019
Riez d'une caricature qui ressemble assez
...
J'en ai pêché un grand comme ça !
« A Charles-Jean-François Hénault
20 juin 1764, aux Délices
Vous m'avez envoyé, mon illustre et cher confrère, le portrait d'un des premiers hommes de France et mon cœur vous répète ce que l'exergue vous a dit 1. Riez d'une caricature qui 2 ressemble assez . C'est l'ouvrage d'un jeune homme de quinze ans, qui, en me voyant par la fenêtre m'a croqué en deux minutes et m'a gravé en quatre . Ce siècle est le siècle des graveurs, sans vous il ne serait pas celui des grands hommes . »
1 Voir lettre du 4 décembre 1763 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/11/27/qu-il-vive-autant-que-son-ouvrage.html
2 Suivi de me dans les éditions .
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01/08/2019
Je ne crois pas qu'il y ait un homme au monde moins capable que moi de donner du plaisir à une femme de vingt-cinq ans en quelque genre que ce puisse être
... No comment !
Quoique ...
« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
20è juin 1764 aux Délices 1
Il faut , madame , que je vous parle net 2. Je ne crois pas qu'il y ait un homme au monde moins capable que moi de donner du plaisir à une femme de vingt-cinq ans en quelque genre que ce puisse être . Je ne sors jamais, je commence ma journée par souffrir trois ou quatre heures, sans en rien dire à M . Tronchin . Quand j'ai bien souffert je travaille, et quand j’ai bien travaillé je n'en peux plus ; on vient dîner chez moi, et la plupart du temps je ne me mets point à table ; Mme Denis est chargée de toutes les cérémonies, et de faire les honneurs de ma cabane à des personnes qu'elle ne reverra plus . Elle est allée voir Mme de Jaucourt 3, et c'est pour elle un très grand effort, car elle est malade et paresseuse . Pour moi je n'ai pu en faire autant qu'elle , parce que j'ai été quinze jours au lit avec un mal de gorge horrible .
Il faut vous dire encore que je ne vais jamais à Genève ; ce n'est pas seulement parce que c'est une ville d'hérétiques, mais c'est parce qu'on y ferme les portes de très bonne heure, et que mon train de vie campagnard est à l'antipode des villes ; je reste chez moi, occupé de souffrances, de travaux et de charrues avec Mme Denis , la nièce à Pierre, son mari, un ex-jésuite qui dit la messe et qui joue aux échecs . Quand je peux tenir quelque pédant comme moi qui se moque de toutes les fables qu'on nous donne pour des histoires, et de toutes les bêtises qu'on nous donne pour des raisons, et de toutes les coutumes qu'on nous donne pour des lois admirables , je suis alors au comble de ma joie . Jugez de tout cela, madame, si je suis un homme fait pour Mme de Jaucourt . Il m'est impossible de parler à une jeune femme plus d'un demi-quart d’heure . Si elle était philosophe, et quelle méprisât, ou voulût mépriser également saint Augustin et Calvin, j'aurais alors de belles conférences avec elle .
Pour M. Humes, c'est tout autre chose, vous n'avez qu'à me l'envoyer 4, je lui parlerai, et surtout, je l'écouterai . Nos malheureux Welches n’écriront jamais l’histoire comme lui . Ils sont continuellement gênés, et garrottés par trois sortes de chaînes, celles de la cour, celles de l’Église, et celles des tribunaux appelés parlements . On écrit l'histoire en France comme on fait un compliment à l'Académie française , on cherche à arranger ses mots de façon qu'ils ne puissent choquer personne . Et puis je ne sais si notre histoire mérite d'être écrite .
J'aime bien autant encore la philosophie de M. Humes que ses ouvrages historiques . Le bon de l'affaire, c'est qu'Helvétius, qui dans son livre De l'Esprit, n'a pas dit la vingtième partie des choses sages, utiles et hardies dont on sait gré à M. Humes et à vingt autres auteurs anglais , a été brûlé et persécuté chez les Welches . Tout cela prouve que les Anglais sont des hommes , et les Français des enfants .
Je suis un vieil enfant plein d'un tendre et respectueux attachement pour vous madame . »
1 Cette lettre répond à une lettre de Mme Du Deffand qui manque dans la série des lettres conservées .
2 Molière, Le Misanthrope, II, 1 : http://www.toutmoliere.net/acte-2,405470.html
3 Élisabeth-Sophie, fille de Simon Gilly ; voir lettre du 19 octobre 1764 qui lui est adressée : « Mme la marquise de Jaucourt ayant acheté ce livre à Genève est très humblement suppliée de vouloir bien rendre justice à la vérité . »
4 En fait, Hume ne rendit jamais visite à V*. Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Hume
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