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19/08/2019

il n'y a point de bagatelle en amitié

...

 

« A François Tronchin

Conseiller d’État

rue des Chaudronniers

à Genève

A Ferney 30 juin [1764] 1

Je demande votre protection mon cher ami . Voici ce qui se trouve dans votre chancellerie concernant vos cadastres de Fernex .

« Une pose de bois, au bois Favel ou Tavel jouxte le bois de Gabriel Saunes du levant, le bois du seigneur de Fernex du couchant, le bois de Sarasin de bise et celui de Guichard Fontaine du vent . »

Je vous aurais une extrême obligation de vouloir bien me procurer une copie vidimée 2 authentique non seulement de cet article mais de tous les articles concernant les bois de Fernex.

M. Cathala paiera ce qu'il faudra pour cette besogne . Je vous demande pardon de vous importuner pour cette bagatelle, mais il n'y a point de bagatelle en amitié, et c'est un des meilleurs offices que maman et moi nous attendons de vos bontés.

V. »

1 Jean Sarasin a écrit le 28 juin 1764 à Wagnière pour essayer de « donner des éclaircissements sur les confins de [son ] bois du côté de l'occident. »

2 C'est-à-dire certifiée conforme après collation .

18/08/2019

il devrait savoir que je ne me venge jamais des infortunés

...Illustration «L'air des infortunés»

https://www.estrepublicain.fr/pour-sortir/loisirs/Exposit...

 

 

« A Jean-François de La Harpe

30è juin 1764 à Ferney 1

Un vieux serviteur de Melpomène doit aimer son jeune favori ; aussi, monsieur, pouvez-vous compter que je fais mon devoir envers vous 2. Vous m’aviez flatté d’un petit voyage avec M. de Chimène . On dit que vous allez donner votre Timoléon ; vos nouveaux lauriers vous retiennent à Paris, et il faudra que je sacrifie mes plaisirs à votre gloire .

Je suis bien aise d’apprendre que l’abbé Asselin 3 est encore en vie. Il y a environ soixante ans que je fis connaissance avec lui, et je crois qu’il était majeur. Je lui souhaite les années de Fontenelle.

Vous m’avez dit aussi un mot de Jean-Jacques Rousseau . C’est un étrange fou que cet étrange philosophe. J’avais encore de la voix et des yeux il y a trois ans, et je jouais les vieillards assez passablement sur le théâtre de mon petit château de Ferney . Mme Denis (par parenthèse) jouait les rôles de mademoiselle Clairon avec attendrissement . Quelques citoyens genevois venaient quelquefois à nos comédies et à nos soupers . Il plut à Jean-Jacques de m’écrire ces douces paroles ,  vous donnez chez vous des spectacles ; vous corrompez les mœurs de ma république, pour prix de l’asile qu’elle vous a donné. »

J’eus assez de sagesse pour ne pas répondre à Jean-Jacques ; et la république de J-Jacques ayant jugé à propos depuis de brûler son livre et de décréter de prise de corps sa personne, J.-J. [a]4 imaginé que je m’étais vengé de lui parce qu’il m’avait offensé, et que c’était moi qui avait engagé le Conseil de Genève à lui donner cette petite marque d’amitié. Le pauvre homme m’a bien mal connu, il ne sait pas que je vis chez moi, et que je ne vais jamais à Genève ; il devrait savoir que je ne me venge jamais des infortunés. Un de ses grands malheurs, c’est que la tête lui ait tourné.

Adieu, monsieur ; vous avez le mérite des véritables gens de lettres, et vous n’en avez pas les injustices. Comptez que je m’intéresse à vous aussi vivement que je plains Jean-Jacques. »

1 L'édition de Kehl est incomplète de la fin du 1er paragraphe ( à partir de on dit …), biffée sur la copie Beaumarchais, suivie par les éditions : voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/08/correspondance-annee-1764-partie-22.html

2 En lui envoyant le Corneille commenté .

4 Mot arraché par le cachet de la lettre .

17/08/2019

Il me restera la partie du caprice

... Sera-ce suffisant ? ou exagéré ?

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

30è juin 1764

Anges que je fatigue, et qui ne vous lassez pas de faire du bien, voici un petit billet pour le conjuré Lekain, mais ces extrêmes chaleurs, ce terrible mois de juillet, font frémir l’ex-jésuite.

N’est-ce pas en Éthiopie qu’on va au conseil dans des cruches pleines d’eau ? Je crois qu’il n’y a plus que ce moyen d’aller à la comédie cet été.

Je crois que la Gazette littéraire m’a brouillé avec l’abbé de Sade. Ce n’est pas que je me reconnaisse à la main d’un grand maître dont l’abbé Arnaud a désigné l’auteur des remarques sur Pétrarque ; mais enfin vous savez que j’avais demandé le plus profond secret. Je vous supplie de gronder l’abbé Arnaud de tout votre cœur ; encore une fois, je n’aime point Pétrarque, mais j’aime l’abbé de Sade. Je vois que j’ai été prévenu sur l’article d’Algarotti 1, et que la Gazette littéraire est servie beaucoup plus promptement que je ne pourrais l’être. Il me restera la partie du caprice. Dès que je trouverai un livre nouveau, je le prendrai pour prétexte pour débiter mes rêveries, comme j’ai fait sur l’article des songes 2 ; cela m’égaiera quelquefois, et pourra égayer la Gazette. Mais à présent je n’ai pas trop envie de rire, mes yeux ne vont pas trop bien, ma santé fort mal. Que mes deux anges se portent bien, et je suis consolé. »

1 Une brève notice nécrologique sur Algarotti a effectivement paru dans le numéro du 20 juin 1764. mais celle de V* n'en sera pas moins publiée une semaine plus tard .

2 Voir dans le Dictionnaire philosophique l'article Somnambules : https://fr.wikisource.org/wiki/Dictionnaire_philosophique/Garnier_(1878)/Somnambules_et_songes

16/08/2019

celui qui fait honneur à l’Italie doit avoir les ouvrages de l’auteur qui fait honneur à la France

... Ne me demandez pas les noms des intéressés, je suis bien en peine d'en connaître ne serait-ce qu'un . A votre choix ... J'attends vos suggestions .

 

 

« A Carlo Goldoni

30è juin 1764 à Ferney

Mon cher favori de la nature, je suis toujours réduit à dicter. Je suis bien vieux ; je perds la santé et la vue, ne soyez point étonné d’avoir si rarement de mes nouvelles. Je vous ai présenté un Corneille, parce que celui qui fait honneur à l’Italie doit avoir les ouvrages de l’auteur qui fait honneur à la France. C’est précisément par cette raison-là que je ne vous ai pas envoyé mes ouvrages. Une autre raison encore, c’est qu’il n’y en a à Paris que de détestables éditions. Si jamais vous venez à Ferney ou aux Délices, j’espère vous en présenter une moins incorrecte. J’attends les ouvrages dont vous voulez bien me flatter ; ils me consoleront des miens.

Vivez gaiement à Paris, mon cher ami ; ayez autant de plaisir que vous en donnez, et aimez toujours un peu un vieux solitaire qui vous est tendrement attaché jusqu’au dernier moment de sa vie.

V. »

il faut pardonner à un jeune homme qui cherche à tirer tout le parti possible de sa médiocrité

... Toute ressemblance  avec un personnage existant ou ayant existé n'est due qu'à la malice éhontée du rédacteur .

 

 

« A Henri-Louis Lekain

30è juin 1764 au château de Ferney

Mon cher ami, j'ai peur de n'avoir pas répondu à votre lettre du 9 juin, j'ai la vue si mauvaise que j'avais oublié votre petite écriture dans mes paperasses . Vous me parliez d'un jeune peintre qui est votre ami, je ne mérite assurément pas l'honneur qu'il veut me faire, mais j'y suis très sensible . Au reste, vous saurez qu'on ne veut point de portrait en pastel à l'Académie ; nous pensons tout différemment à Ferney . Je vous prie de lui dire que je suis plein de reconnaissance pour lui, et que je m'intéresse à ses talents et à ses succès .

J'apprends que le jeune ex-jésuite vous a assommé de corrections, il faut pardonner à un jeune homme qui cherche à tirer tout le parti possible de sa médiocrité . Il avait oublié,

A mon cœur désolé que votre pitié s'ouvre 1.

Mon ex- jésuite dit qu'il faudrait mettre :

Julie

Il vit .

Fulvie

S'il est connu la mort est sur ses traces .

Julie

Fuir devant les César est le sort de sa race ?

Fulvie

Il y va de ses jours.

Julie

Et c'est ce que je crains ,2

etc.

Bonsoir mon cher grand acteur, mon petit loyoliste vous fait mille compliments . »

2 Tout le passage fut supprimé .

15/08/2019

vous faites bien de vous adresser aux belles plutôt qu’aux moines

...

 

« A George Keate, Esq

Nandos Coffee-house

London

Je vous remercie, monsieur, de ce que vos vers sont aussi bien imprimés 1 que bien faits ; cela soulage mes pauvres yeux, qui ne lisent que très difficilement . Il est vrai que mon âme a eu beaucoup plus de plaisir que mes yeux en vous lisant ; tout ce que vous faites est plein d'imagination et de grâce ; on ne peut tirer un meilleur parti d'une vielle abbaye et vous faites bien de vous adresser aux belles plutôt qu’aux moines . Je suis toujours extrêmement flatté de votre souvenir, il me console dans mon infirme vieillesse . Je serai toute ma vie, monsieur, avec un attachement inviolable votre très humble et très obéissant serviteur.

V.

29è juin 1764 à Ferney. »

1 The Ruins of Netley abbey , 1764 ; V* se procurera aussi la seconde édition de 1769 : Netley abbey . Voir : http://spenserians.cath.vt.edu/TextRecord.php?textsid=37639

et : https://archive.org/details/netleyabbeyelegy00keat/page/n6

 

14/08/2019

L'histoire dit ce qu'on a fait ; Un bon roman, ce qu'il faut faire

... Nos textes de lois sont-ils de bons romans ? Hélas non ! leurs auteurs manquent souvent de talent et ne font que compliquer la vie, ordres et contrordres , désordre .

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Des maux, des mots .

 

 

« A Anne-Louise Dumesnil-Morin Élie de Beaumont

A Ferney 29 juin 1764

Je vous dois, madame, de nouveaux remerciements et de nouveaux éloges 1. Votre joli roman m'a fait vite quitter des fatras d'histoires qui m'occupaient .

L'histoire dit ce qu'on a fait ;

Un bon roman, ce qu'il faut faire .

Vous avez peint , trait pour trait,

Les vertus avec l'art de plaire ;

Et l'on peut dire en cette affaire

Que le peintre a fait son portrait .

Je ne suis pas moins touché du mémoire pour Potin 2 ou plutôt pour deux millions d'hommes . Monsieur de Beaumont et vous madame êtes sûrs de l’estime publique . Souffrez que ma lettre soit pour vous deux, que je vous félicite d'appartenir l'un à l'autre , et que je joigne ma sensible reconnaissance madame au respect que j'ai pour vous .

V. »

1 Mme Élie de Beaumont a adressé le 16 juin 1764 à V* les Lettres du marquis de Roselle accompagnées d’une lettre essentiellement en vers . Voir : https://data.bnf.fr/fr/12007101/anne-louise_elie_de_beaumont/

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne-Louise_%C3%89lie_de_Beaumont

et : https://archive.org/details/lettresdumarquis00elieuoft/page/n4