24/08/2022
Dans l'incertitude où je suis
... je renouvelle mon appel à nouvelles de Mam'zelle Wagnière-LoveVoltaire disparue d'Overblog depuis le 13 juin, elle qui est un modèle de fidélité exemplaire pour la mise en ligne de l'oeuvre de Voltaire . SVP , je suis plus qu'inquiet ;
« A Jacques Lacombe
Libraire
Quai de Conti
à Paris
Dans l'incertitude où je suis, monsieur, si on jouera Les Scythes, et dans la confiance que j'ai en vous, je vous envoie cette tragédie . Elle réussira plus auprès des Français que les héros romains . Il y a de l'amour comme dans l’opéra-comique, et c'est ce qu'il faut à vos belles dames . M. le duc de Choiseul et M. le duc Praslin ont déjà vu cet ouvrage, que l'auteur leur a dédié du pied du mont Caucase , ainsi les censeurs ne peuvent vous faire aucune difficulté . Je suis même si persuadé de l’amitié de M. Marin que c'est à lui que j'adresse la pièce pour vous être remise . Je vous prie de vouloir bien me mander par quelle voie et à quelle adresse vous me faites parvenir l'Histoire d'Italie 1 .
Voudriez-vous bien me marquer tout ce que vous savez de particulier touchant Bélisaire 2. Vous me ferez plaisir de donner 3 un honoraire de vingt-cinq louis d'or sur votre édition, si la pièce a quelque succès .
Je vous embrasse à mon ordinaire sans cérémonie, aimant beaucoup mieux votre amitié que les compliments .
V.
14è mars 1767 .
1 Voir lettre du 7 février 1767 à Lacombe : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/06/15/je-n-ai-pu-vous-remercier-de-votre-almanach-ni-le-lire-6387084.html
2 L'affaire Bélisaire de Marmontel : https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A9lisaire_(Marmontel)
3 A Lekain .
08:43 | Lien permanent | Commentaires (0)
23/08/2022
vale et ride
... Sans plus, sans moins !
« A Pierre-Michel Hennin
en son hôtel
à Genève 1
La représentation des Scythes ne sera que pour samedi . Monsieur le Résident est supplié de vouloir bien donner au porteur toutes les guirlandes de fleurs qu'il pourra .
M. de Bournonville n'en a pas semé sur nos pas, mais nous pourrons bien en avoir sans lui .
Tâchez aussi , je vous en prie, de nous envoyer le volume que vous avez fait relier dans lequel se trouve l'épître de ce fanatique abbé de Rancé 2 à ses sots moines .
N. B. – Il se pourrait bien faire que la pièce ne fût jouée que de demain en huit, au lieu d'aujourd'hui en huit . Cela sera, je crois, plus commode pour vous . Je vous prie de le dire à mon cher corsaire .
Adieu, monsieur, vale et ride 3.
Samedi [14 mars 1767] au matin à Ferney . »
1 L'édition Correspondance inédite, 1825, date, comme les autres éditions, du 15 mars 1769 ; en fait la date se déduit, en général des diverses allusions, et plus précisément de la réponse de Hennin à V* du 16 mars 1767 qui fait totalement allusion à la Lettre de l'abbé de Rancé .
2 Sur cette Lettre de l'abbé de Rancé à un ami, écrite de son abbaye de la Trappe, 1765 ; de Nicolas-Thomas Barthe, voir lettre du 16 mars 1767 à Chabanon : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/04/correspondance-annee-1767-partie-22.html
3Porte-toi bien et ris .
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Puisse la France imiter bientôt la Russie et la Pologne
... Un peu de provoc' par ce titre !
Ce voeu idéaliste du XVIIIè siècle n'est plus d'actualité, désormais un pur voeu pieux .
Il est bien évident qu'on ne doit absolument pas imiter un Poutine et ses sbires, dans le même temps qu'on est en droit d'accueillir, ou au moins aider, des Ukrainiens comme le fait la Pologne : https://www.lesechos.fr/monde/europe/guerre-en-ukraine-la...
« A Charles-Frédéric-Gabriel Christin
14è mars 1767
Le diable est déchaîné, mon cher ami ; et quand on n’est pas aussi fort que l’archange Michel, qui le battit si bien, il faut faire une honnête retraite. Il est très-prudent à vous de ne point envoyer à Dijon des armes offensives qui pourraient tomber entre les mains des ennemis . Il faut attendre qu’il y ait une trêve, pour avoir des correspondances sûres.
Je trouve qu’on fait beaucoup d’honneur au parlement de Besançon, en avouant qu’il n’est pas persécuteur ; mais je crois qu’on se trompe en regardant comme tel le parlement de Dijon. J’espère que Fantet 1 y sera traité aussi favorablement qu’il l’aurait été dans votre province.
J’écrirai à des amis qui prendront sa défense . Avertissez-moi quand Fantet sera à Dijon, et quand il faudra agir . J’y mettrai tout mon savoir-faire. J’ai la main heureuse . L’affaire des Sirven prend le train le plus favorable ; et, quoi qu’on en dise et quoi qu’on fasse, la raison et l’humanité l’emportent sur le fanatisme. Puisse la France imiter bientôt la Russie et la Pologne. L’impératrice de Russie et le roi de Pologne me font l’honneur de m’écrire de leur main qu’ils font tous leurs efforts pour établir la plus grande tolérance dans leurs États . Ils poussent l’un et l’autre la bonté jusqu’à me dire que mes faibles écrits n’ont pas peu contribué à leur inspirer ces sentiments. Ma patrie ne va pas encore jusque-là ; mais la dernière aventure du bureau de Collonges 2 prouve assez les progrès de la raison.
On aura soin, mon cher ami,de vous payer pour vos déboursés . Tâchez de faire parvenir des Honnêtetés 3 à M. Leriche, et quelques Questions 4. Mille tendres amitiés. »
1 Libraire de Besançon, poursuivi juridiquement pour avoir vendu quelques ouvrages philosophiques.
2 L’affaire Le Jeune.
3 Les Honnêtetés littéraires ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/125
4 Les Questions de Zapata , dont la publication est attestée à partir du 4 mars 1767 ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/183
08:54 | Lien permanent | Commentaires (0)
22/08/2022
Quoi ! nous t’avons en paix reçu dans ma patrie
... A combien de chefs d'Etats et de gouvernements peut-on dire cela en France ? Combien de fieffés sal..ards a-t-on dû ménager pour ne pas en venir à la guerre ? Trop, beaucoup trop et ce ne sont pas nos présidents de la République, grands avaleurs de couleuvres, qui diront le contraire . Et ce n'est pas demain la veille que ça changera . Au fait, bon voyage en Algérie !
« A Charles-Augustin Ferriol , comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
13è mars 1767 1
Mes anges et M. de Thibouville sauront donc que M. d’Hermenches vient de jouer Athamare à Lausanne avec un très grand succès . Et qui est M. d’Hermenches ? Un major suisse 2, qui a beaucoup d’esprit et qui a une femme très aimable, laquelle a joué très bien Obéide. Nous jouons sur le théâtre de Ferney dans quatre jours . On donne les Scythes à Genève, on les donne à Lyon . Messieurs de Paris, faites comme il vous plaira.
Je me suis aperçu qu’il y avait deux fois dangereux en trois vers, page 13, dans le rôle d’Hermodan :
D’aucun soins dangereux sa paix n’est altérée.
Corrigez :
Jamais de tristes soins sa paix n’est altérée.
La franchise, qui règne en nos déserts heureux,
Fait mépriser ta cour et ses fers dangereux.3
Acte quatrième, scène de l’embaucheur 4 .
Il faut absolument ôter ce vers :
Nous te traitons en frère, et ta férocité, 5
etc.
On dit beaucoup, au cinquième acte, que les Scythes sont féroces ; il ne faut pas qu’on dise, au quatrième acte, que les Persans sont féroces aussi;voici comme nous avons corrigé :
Quoi ! nous t’avons en paix reçu dans ma patrie,
Ton accueil nous flattait, notre simplicité
N’écoutait que les droits de l’hospitalité,
Et tu veux me forcer dans la même journée, etc. 6
M. de Thibouville est prié d’ajouter à toutes ses bontés celle de faire porter sur les rôles ces petites corrections.
J’ai envoyé à Lekain un résumé de tous les changements, afin qu’il les confronte.
N. B. Il se pourrait qu’on crût que ce vers, dans le premier acte :
Dans le secret du cœur ne puisse entretenir 7 »
1 La seconde feuille manque, d'où l'absence de la fin de lettre .
2 Constant d’Hermenches ; voir lettre du 10 mars 1767 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/08/20/puisse-je-vous-revoir-encore-une-fois-6397043.html
3 Ces vers seront encore modifiés dans l'acte I, scène 3 .
4 V* voit son héros Athamare sous les traits d'un sergent recruteur suisse ; on est à la scène 2 de l'acte IV.
5 Vers effectivement supprimé .
6 Acte IV, scène 2 des Scythes .
7 Le reste de cette lettre manque.
17:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
J'espère que mon boiteux de procureur, grâce à vos soins, me fera rendre justice .
... Souhait de Dupond Moretti face aux membres du gouvernement , plus ministre qu'homme de bien, d'un seul coup plus procureur qu'avocat : https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/karting-a...
« A Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre d'Hornoy, Conseiller au Parlement
rue d'Anjou au Marais
à Paris
12è mars [1767] à Ferney 1
Si vous n’êtes pas turc, mon cher magistrat, je vous ai autant d'obligation qu'au bon Turc, votre oncle . Il me paraît que vous entendez tous deux fort bien les affaires, surtout quand il s'agit de tirer les gens d'embarras . J'espère que mon boiteux de procureur, grâce à vos soins, me fera rendre justice .
Criez bien tous en faveur des Sirven, mes chers parents et amis . Le rapporteur est aussi bien disposé que vous-même. Les Calas et les Sirven seront deux bonnes époques .
Criez aussi en faveur de Bélisaire, c'est un bon homme, un brave soldat, l'aveugle le plus clairvoyant qu'il y ait au monde .
M. d'Hermenches, très bien connu de M. et Mme de Florian, dit qu'il vient de jouer Les Scythes à Lausanne avec un très grand succès . Nous les jouerons dans quatre jours sur notre petit théâtre . On va les donner à Genève et à Lyon . A l'égard de Paris, je ne m'en mêle point.
Pardon de ma courte lettre, mais je vais à la répétition, et ce n'est pas sans vous embrasser tous avec la plus grande tendresse .
V. »
1 On peut juger du ton des échanges entre Paris et Genève à cette époque par une copie de la main de Wagnière intitulée : « Extrait de la lettre de M. le duc de Choiseul à M. Hennin du 12è février 1767 » :
« Vous pouvez, monsieur, faire savoir aux représentants que la cour a trouvé très mauvais que vous vous soyez chargé de recevoir par la main des commissaires une pièce dont le défaut essentiel est de n'exprimer rien, et d’oser se prévaloir d'un témoignage aussi faux que celui de leur conscience pour attester leur innocence, ce qui équivaut à nous taxer d'injustice ; qu'elle vous a défendu absolument de rien recevoir dorénavant de la part des représentants, qu'au surplus, ce n'est point par les mots ni par des démarches vaines et sans effets qu'ils peuvent espérer de fléchir Sa Majesté, justement indignée de toutes les manœuvres de quelques uns d'entre eux dont ils ont eu la faiblesse de suivre les pernicieux conseils . Que tant que leur aveuglement subsistera et qu'ils continueront de donner leur confiance à des gens pleins de passions et de vues particulières, qui dans plusieurs écrits séditieux ont eu la témérité de calomnier devant eux les intentions généreuses et bienfaisantes des médiateurs, Sa Majesté les regardera tous comme coupables des mêmes complots, qu'ils doivent savoir ce qu'ils ont à faire pour mériter qu'elle leur rende ses bonnes grâces, et que ce n'est pas à vous à leur donner des conseils là-dessus . »
Voir : https://archives.bge-geneve.ch/ark:/17786/vta5bab611e4646...
et : https://data.bnf.fr/fr/see_all_activities/10126091/page1
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21/08/2022
il y a près de vingt ans que les indignes persécutions que j’ai essuyées pour tout fruit de mes travaux m’ont fait renoncer à ma patrie
... Il serait bon que cela ne se produise plus de nos jours, qu'on endigue la redoutable fuite des cerveaux français , nous n'en aurons jamais trop .
« A Henri-Louis Lekain
11 mars 1767 à Ferney 1
Mon cher ami, je sors d’une grande répétition des Scythes. Le cinquième acte est sans contredit celui de tous qui a fait le plus d’effet théâtral ; mais il demande de terribles nuances. Le couplet d’Athamare quand il encourage Obéide à le frapper, prononcé de la manière dont vous le direz, avec courage, avec noblesse, avec un air de maître, contribue beaucoup au succès. La scène du père et de la fille, l’air morne, recueilli, douloureux et terrible, qu’Obéide y conserve toujours avec son père, fait de cette scène même une des plus attachantes . La curiosité et l’effroi saisissent toute l’assemblée. Ce cinquième acte vient de faire le même effet à Lausanne . C’est celui de tous qui a le plus réussi. On répète la pièce à Genève, on la répète à Lyon dans quatre jours. Vous voyez qu’il est de toute impossibilité d’attendre après Pâques . Le libraire de Paris serait prévenu par les libraires de province et par ceux de Suisse. Si j’étais à Paris, vous ne seriez pas exposé à ces inconvénients ; mais il y a près de vingt ans que les indignes persécutions que j’ai essuyées pour tout fruit de mes travaux m’ont fait renoncer à ma patrie. C’est à Fréron et Coqueley, son approbateur, à triompher dans Paris.
Voici un petit résumé de tous les changements faits à la pièce, afin que, s’il en est échappé quelqu’un dans votre copie, vous puissiez aisément le remplacer. Au reste, vous sentez bien que tout dépend de votre santé : il ne faut pas vous tuer pour des Scythes. Tout dépend surtout de la santé de madame la dauphine, et on n’a pas besoin d’un tel motif pour souhaiter son rétablissement. Je vous embrasse bien tendrement.
N. B. -- Mlle Dubois s’est plainte à moi ; elle a cru que vous m’aviez engagé à la priver du rôle d’Obéide ; je l’ai détrompée comme je le devais.
Acte premier
des Scythes
Sozame ne dit point :
Mais je crains que ma fille au désert, etc.
Il dit :
Mais je sens que ma fille, au désert enterrée,
Du faste des grandeurs autrefois entourée,
Dans le secret du cœur pourrait entretenir
De ses honneurs passés l'importun souvenir 2.
Acte second
Obéide ne dit point dans sa première scène avec Sulma :
…............................... Mon père veut un gendre,
C'est dans ses derniers ans un parti qu'il faut prendre.
Elle dit
…........... Mon père veut un gendre,
Il ne commande point ; mais je sais trop l'entendre :
Le fils de son ami doit être préféré,3 etc.
N. B. – Elle ne doit pas en dire davantage .
Acte troisième
Athamare ne finira point la scène avec Obéide par ce vers :
J'obéis : allons voir quel sang je dois répandre .
Il dira :
J'obéis : malheureux, quel sang vas-tu répandre 4?
N. B. – Il faut absolument qu'Athamare sorte avec fureur, sans quoi il n'y aurait plus ni chaleur, ni variété, et il démentirait son caractère violent et emporté .
Acte quatrième
Si on ne veut pas de ce vers :
Il m'entend, il me voit, il revient, il soupire .
qui fait un très grand effet sur tous les théâtres où il a été récité, il n'y a qu'à mettre :
Mon malheur te poursuit ; il revient, il soupire 5.
mais cela est infiniment moins pathétique .
Acte cinquième
La pièce ne finit point par ces deux vers :
Scythes, contentez-vous de ce grand sacrifice,
Et sans être inhumains, cultivons la justice .
Il y a :
Nous sommes trop vengés par un tel sacrifice ;
Scythes, que la pitié succède à la justice ;
(ou bien : )
Scythes, que la pitié remplace la justice 6.
La première scène fait un si grand effet sur tous les théâtres, qu'on ne fera pas l'outrage à celui de Paris de changer un seul mot dans cette scène .
Voilà ce que l'on répond à M. de Thibouville, et ce qu'on prie très instamment monsieur Lekain de vouloir bien faire exécuter ; il serait absurde de retrancher les derniers vers du quatrième acte : Ah ! Laissez-moi mourir, seigneur, sans vous entendre . C'est la seule chose qui puisse faire comprendre aux spectateurs que le père n'a rien expliqué à sa fille entre le quatrième et le cinquième acte .
N. B. – La pièce fait partout un très grand effet, et il est à croire qu'entre les mains de monsieur Lekain , elle en fera un beaucoup plus sensible . Je l'accepte, après un morne silence et trois pas en avant, a été reçu avec frémissement, et des battements de mains qui ne finissaient pas . »
1 L'édition de Kehl s'arrête à la fin du premier Nota bene ; on a ici la version de l’édition Lekain .
2 Les Scythes, acte I, scène 3.
3Les Scythes, acte II, scène 1 .
4Ibid. acte III, sc. 2 , avec de nombreuses modifications .
5Ibid., acte IV, sc. 6.
6 Les Scythes, acte V, scène 5 .
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On voit le doigt de Dieu partout
... Ouaff ! ouaff !!
« A Antoine-Henri de Bérault-Bercastel 1
11è mars 1767
Non-seulement, monsieur, celui que vous aviez chargé de me faire parvenir votre poème de La Conquête de la terre promise 2 ne m'a point envoyé votre bel ouvrage, mais il ne m'en a point parlé. Une longue maladie à laquelle j'ai été sur le point de succomber a été sans doute la cause de sa négligence .Mon ami ne m'a pas cru capable de juger des vers dans le triste état où j'étais .Je sens tout le prix de ce que j'ai perdu. Rien n'est plus poétique sans doute que les conquêtes de Josué, tout y est prodige, et les miracles font un effet d'autant plus admirable qu'on ne peut pas dire que l'auteur y amène la divinité, comme les poètes grecs qui faisaient descendre un dieu sur la scène, quand ils ne savaient comment dénouer leur intrigue. On voit le doigt de Dieu partout dans le sujet de votre ouvrage, sans que l'intervention divine soit une ressource nécessaire.
Josué pouvait aisément passera à gué le Jourdain, qui n'a pas quarante-cinq pieds de large, et qui est guéable en cent endroits; mais Dieu fait remonter le fleuve vers sa source, pour manifester sa puissance.
Il n'était pas nécessaire que Jéricho tombât au son des cornemuses, puisque Josué avait des intelligences dans la ville par le moyen de Raab la prostituée. Dieu fait tomber les murs, pour faire voir qu'il est le maître de tous les événements. Les Amorrhéens étaient déjà écrasés par une pluie de pierres tombées du ciel ; il n'était pas nécessaire que Dieu arrêtât le soleil et la lune à midi, pour que Josué triomphât de ce peu de gens qui venaient d'être lapidés d'en haut. Si Dieu arrête le soleil et la lune, c'est pour faire voir aux Juifs que le soleil et la lune dépendent de lui.
Ce qui me paraît encore de plus favorable à la poésie, c'est que le sujet est petit, et les moyens grands. Josué ne conquit, à la vérité, que dix-huit lieues de pays mais la nature entière est en convulsion pour le pays d'Éphraïm. C'est ainsi qu'Énée, dans Virgile, s'établit dans un village d'Italie avec le secours des dieux. Le grand avantage que vous avez sur Virgile, c'est que vous chantez la vérité, et qu'il n'a chanté que le mensonge. Vous avez l'un et l'autre des héros pieux, ce qui est encore un avantage. Il est vrai qu'on pourrait reprocher quelques cruautés à Josué, mais elles sont sacrées, ce qui est un grand avantage encore. Jugez, monsieur, quel est mon regret de n'avoir pu lire, dans ma terre non promise, votre poème sur la terre promise, qui me fait concevoir de si grandes espérances.
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. »
1 Antoine-Henri Bérault de Bercastel, né près de Metz vers 1720, mort vers 1800, est auteur de la Conquête de la Terre promise, poème, 1766, deux volumes in-8°, et d'autres ouvrages.
Voir : https://data.bnf.fr/fr/see_all_activities/13011353/page1
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine-Henri_de_B%C3%A9rault-Bercastel
L'édition Commentaire historique, très inexacte intitule la lettre : « Lettre à un ecclésiastique, auteur d'un poème épique sur la conquête de la terre promise, en douze chants, imprimés à Paris, chez Delain libraire rue Saint-Jacques en 1766, avec un privilège du roi ». L'édition de Kehl ajoute le nom de Béraud et la date , mais n'améliore pas le texte
Voir : lettre 6788 à l'abbé Bérault : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411361p/texteBrut
2 A. -H. de Bérault-Bercastel : La Conquête de la terre promise, 1766 : https://books.google.fr/books?id=VktaAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
Quoi qu'en dise V* cet ouvrage a dû lui être remis car il figure dans sa bibliothèque : https://c18.net/vll/vll_fiche.php?id_vo_vll=351
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