09/12/2008
à têtes chaudes, marrons chauds
« A Jean Le Rond d’Alembert, secrétaire perpétuel de l’Académie française, au Louvre à Paris
C’est à votre lettre du 30 novembre, mon très cher philosophe, que je réponds aujourd’hui, et nous ne nous croiserons plus. Je vous remercie pour votre bonne volonté pour l’apprenti prêtre et apprenti évêque d’Espagnac. J’ai quelque lieu d’espérer un jour qu’il sera un prélat assez philosophe. Vous pouvez lui confier Saint Louis pour l’année 1778. Je crois qu’il a trop d’esprit pour justifier les croisades devant l’Académie. Il me semble qu’il avait parlé de la philosophie de Catinat avec effusion de cœur.
Luc [Frédéric II et aussi le singe que possède Voltaire !!] est un singulier corps. Profitez de l’extrême envie qu’il a de vous plaire. Il serait homme à faire comme Hume, si on avait le malheur de le perdre. [Hume avait fait un legs à d’Alembert]
Le secrétaire juif nommé Guénée n’est pas sans esprit et sans connaissances, mais il est malin comme un singe, il mord jusqu’au sang en faisant semblant de baiser la main. Il sera mordu de même. Heureusement un prêtre de la rue Saint Jacques, desservant d’une chapelle à Versailles, qui se fait secrétaire des juifs, ressemble assez à l’aumônier Pousssatin du « Comte de Grammont ». Tout cela fait rire le petit nombre de lecteurs qui peut s’amuser de ces sottises.
Savez-vous bien que nos ennemis sont déchainés contre nous d’un bout de l’univers à l’autre ? Connaissez-vous le jésuite Ko, résidant actuellement à Pékin ? C’est un petit Chinois, enfant trouvé, que les jésuites amenèrent il y a environ vingt-cinq ans à Paris. Il a de l’esprit, il parle français mieux que chinois, et il est plus fanatique que tous les missionnaires ensemble. Il prétend qu’il a vu beaucoup de philosophes à Paris, et dit qu’il ne les aime , ni ne les estime, ni ne les craint . Et où dit-il cela ? Dans un gros livre dédié à Monseigneur Bertin . Il parait persuadé que Noé est le fondateur de la Chine. Tout cela est plus dangereux qu’on ne pense. Son livre imprimé à Paris, chez Nyon, ne peut être connu de mon grand poète Kien-Long empereur de la Chine ; et il est difficile de l’en instruire. Les jésuites qu’il a eu la bonté de conserver à Pékin sont plus convertisseurs que mathématiciens. Ils aiment à travailler de leur métier. Il ne faut que deux à trois têtes chaudes pour troubler tout un empire. Il serait assez plaisant d’empêcher ces marauds-là de faire du mal à la Chine. On pourrait y parvenir par le moyen de la cour de Petersbourg, mais commençons par songer à Paris.
Raton se jette en mourant entre les bras de Bertrand.
V.
8 décembre 1776. »
Pour les curieux , voir :
Memoires du Comte de Grammont de Antoine Hamilton : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k29220q et http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k292212
« Il ne faut que deux à trois têtes chaudes pour troubler tout un empire » : c’est vrai au 18ème siècle, c’est vrai encore et toujours et les têtes chaudes ne manquent pas ; difficile de garder son sang-froid avec tous les bouillants qui nous entourent ; j’en viendrais à des extrémités fâcheuses qui seraient de couper les dites extrémités en surchauffe comme on coupa jadis les têtes de l’Hydre ou celles de Cerbère ! Pas étonnant que la planète se réchauffe à grande allure ! Euh, là , je mélange peut-être un peu les sujets, quoi que !?
Un petit coucou amical (sic) à nos amis chinois à qui j’apporte le soutien désintéressé de Voltaire (et de la Russie ) qui n’est pas encore au courant de la situation au Tibet et qui ne voit dans son timonier qu’un amical poète à la bonté proverbiale ! Comme les temps changent, ou plutôt, comme j’aimerais qu’ils changent . Comme disent mes voisins suisses : « j’aimerais être déçu en bien ! »
13:41 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, chine, tibet, tête, singe, bien, louvre