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03/03/2010

Je sais que ce spectacle est aujourd’hui le favori de la nation ; mais je sais aussi à quel point la nation s’est dégradée

 

Mon cher Volti, que dirais-tu en voyant les "spectacles" télévisés du XXième siècle !

Très élégamment, tu parles "d'excréments du grand siècle", Jean-pierre Coffe, dans un autre registre sait très bien dire "c'est de la merde", ce qui malheureusement ne fait plus seulement allusion à la mauvaise bouffe ! Opéra-bouffe ? Ô père rat ! bouffe !

 

 

« A Anne-Madeleine-Louise-Charlotte-Auguste de La Tour du Pin de Saint Julien

 

A Ferney ce 3 mars 1769

 

             Minerve papillon, le hibou à qui vous avez fait l’honneur d’écrire a été enchanté de votre souvenir. Il en a secoué ses vieilles ailes de joie, il est tout fier de vous avoir si bien devinée : car dès le premier jour qu’il vous vît, il vous jugea solide plus que légère, et aussi bonne que vous êtes aimable.

 

             Soyez bien sûre, Madame, que mon cœur est pénétré de tout ce que vous me dites ; mais il faut laisser les aigles, les rossignols et les fauvettes dans Paris, et que les hiboux restent dans leurs masures. J’ai soixante et quinze ans ; ma faible machine s’en va en détail ; le peu de jours que j’ai à respirer sur ce tas de  boue doit être consacré à la plus profonde retraite. Les enfants [les Dupuits] qui sont revenus sont chez eux, et je reste chez moi ; ma maison n’est plus faite pour les amuser. Je l’ai fermée à tout le monde, bien heureux de pouvoir vivre avec moi-même dans le triste état où je suis. Regardez-moi, Madame, comme un homme enterré, et ma lettre comme un De profundis.

 

             Il est vrai que mes De profundis sont quelquefois fort gais, et que je les change souvent en Alléluia. J’aime à danser autour de mon tombeau, mais je danse seul comme l’amant de Ma mie Babichon qui dansait tout seul dans sa grange [à Thiriot, il avait déjà écrit le 29 août 1760 : « Il est comme l’amant de ma mie Babichon qui aimait tant à rire, que souvent tout seul il riait dans sa grange. ».

 

             J’estime trop l’homme principal [Choiseul qui défendait La Bletterie face aux grief puis épigrammes de Voltaire contre La Bletterie et son Tibère ou les six prmiers livres des Annales de Tacite traduits… ] dont vous me faites l’honneur de me parler, pour penser qu’il ait pris sérieusement l’ordre que m’a donné l’abbé de La Bletterie de me faire enterrer au plus vite, et les petites gaietés avec lesquelles je lui ai répondu. Il faudrait que la tête lui ait tourné pour voir gravement des bagatelles. S’il veut faire quelque attention sérieuse à moi, il ne doit considérer que ma passion pour son bonheur et pour sa gloire. Il serait très ingrat s’il faisait la moindre fêlure à la trompette qui s’est embouchée pour lui.

 

             Si quelque autre personne, fort en-dessous, en tout sens, du caractère de grandeur et du génie de votre ami, veut déplumer le hibou, il ira tout doucement mourir ailleurs. Je suis un être assez singulier, Madame ; né presque sans bien, j’ai trouvé le moyen d’être utile à ma famille et de mettre cinq cent mille francs à peupler un désert[Ferney]. Si la moindre persécution y venait effrayer mon indépendance, il y a partout des sépulcres, rien ne se trouve plus aisément.

 

             J’ai lu la petite esquisse que vous avez eu la bonté de m’envoyer [sans doute de la musique de Grétry pour Le Baron d’Otrante]. Je pense donc qu’on en pourrait faire quelque chose de fort noble et de fort gai pour les noces de monseigneur le Dauphin. Ce serait même une très bonne leçon pour un jeune prince, et les personnes de votre espèce pourraient voir avec plaisir qu’elles sont faites pour rendre quelquefois de plus grands services que les hommes d’Etat. Ce ne serait point aux bateleurs de l’opéra-comique qu’il faudrait abandonner cet ouvrage. L’opéra-comique n’est  autre chose que la foire renforcée. Je sais que ce spectacle est aujourd’hui le favori de la nation ; mais je sais aussi à quel point la nation s’est dégradée. Le siècle présent n’est presque composé que des excréments du grand siècle de Louis XIV. Cette turpitude est notre lot presque dans tous les genres ; et si le grand homme dont vous me parlez a des lubies, je donne le siècle à tous les diables sans exception, en vous exceptant pourtant vous, Madame Minerve papillon, pour qui j’ai un vrai respect, et que je prends même la liberté d’aimer.

 

             V. »

 

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