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28/03/2010

On disait qu’étant libraire il ferait beaucoup d’impression à la cour

 

 

 

« A Sébastien Dupont

 

A Ferney, 30 mars 1770

 

             Mon cher ami, vous avez été bien étonné, peut-être que je n’aie point répondu à votre dernière lettre, et que je ne vous aie point envoyé ce que vous m’avez demandé. Mais figurez-vous que mon libraire [Gabriel Cramer] est sous les armes depuis environ six semaines [violences du 16 février contre les Natifs : cf. lettre du 18 février à Choiseul et du 11 mars à Hennin]; que toute la ville monte la garde ; qu’on a assassiné des vieillards de mon âge, des femmes grosses ; que presque toutes les boutiques sont fermées dans cette anarchie horrible ; que plusieurs habitants sont sortis de la ville, qu’on ne sait où les loger, et que tout est en combustion. Le Cramer que vous avez vu à Colmar [Philibert Cramer, « conseiller d’Etat » à Genève] chez moi est actuellement conseiller à grande perruque. Sa république l’a envoyé en qualité d’ambassadeur à la cour de France pour justifier les petits procédés de Genève. On disait qu’étant libraire il ferait beaucoup d’impression à la cour ; cependant il n’en a fait aucune ; il n’a pas même vu les ministres [à son retour à Genève, on le surnomma le « renvoyé » Cramer.].

 

             Je ne sais si je vous ai fait mon compliment sur la cure de monsieur votre fils ; je m’offre de l’aider dans ses fonctions quand il voudra, car il faut que vous appreniez que je suis capucin.

 

             J’avais rendu, je ne sais comment, de petits services à des capucins, mes voisins, auprès de M. le duc de Choiseul [par l’intermédiaire de la duchesse de Choiseul, V* avait fait parvenir un de leurs placets le 20 novembre 1769 et obtenu 600 livres pour eux]; notre révérend père général m’a sur-le-champ envoyé de Rome de belles lettres patentes de capucin [V* était ainsi père temporel des capucins de Gex]. Il ne me manque que la vertu du cordon de saint François. Le pape m’en a fait des compliments par le cardinal de Bernis [Bernis dit avoir rapporté au pape une plaisanterie de V* et écrit le 28 février : « S. S. écouta cette plaisanterie avec plaisir, elle me parla avec éloge de la supériorité de vos talents ; si vous finissez par être un bon capucin, le pape osera vous aimer autant qu’il vous estime. »]; mais M. le contrôleur général [l’abbé Terray, pour trouver de l’argent suspendit le paiement des rescriptions et rogna les pensions et rentes viagères.] n’a pas été si poli que le pape ; il m’a pris tout le bien que j’avais à Paris, dès qu’il a su que j’avais renoncé à ceux de ce monde. Je me suis trouvé englobé dans la saisie des rescriptions, sur quoi je me suis récrié, en mettant cette déconvenue au pied de mon crucifix :

 

Dès que l’abbé Terré

A su ma capucinerie,

De mes biens il m’a délivré.

Que servent-ils dans l’autre vie ?

J’aime fort cet arrangement :

Il est leste et plein de prudence.

Plût à Dieu qu’il en fît autant

A tous les moines de la France !

 

             Je vous embrasse de tout mon cœur, vous et votre famille.

 

             Frère François V., capucin indigne. »

 

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