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20/08/2010

Nous sommes traités en médecins de village qu'on envoie chercher en carrosse et qu'on laisse retourner à pied

 

 

 

 

 

« A Madame de Champbonin


De Cambrai [vers le 20 août 1739]


Mon cher gros chat est dans sa gouttière et nous courons les champs. Nous voici à Cambrai, marchant à petites journées. Nous n'avons pas trouvé la moindre petite fête sur la route. Nous sommes traités en médecins de village qu'on envoie chercher en carrosse et qu'on laisse retourner à pied. Si vous me demandez pourquoi nous allons à Paris, je ne peux vous répondre que de moi. J'y vais parce que je suis Émilie. Mais pourquoi Émilie y va-t-elle ? Je ne sais pas trop. Elle prétend que cela est nécessaire, et je suis destiné à la croire comme à la suivre. Vous jugez bien que la première chose que je ferai sera de voir monsieur votre fils . Mais pourquoi la mère n'y serait-elle pas ? Pourquoi n'aurions nous pas le plaisir de nous voir rassemblés ? Voici une belle occasion pour quitter sa gouttière. On ne vous soupçonnera point d'être venue à Paris pour le feu d'artifice [i]. On sait assez que vous ne faites de ces voyages là que pour vos amis. Où êtes-vous à présent, cher gros chat? Êtes-vous à La Neuville ? Y renouez-vous les nœuds d'une ancienne amitié ? Et Mme de La Neuville jouit-elle un peu de l'interrègne ? Elle sera trop heureuse de vous avoir retrouvée ; mais nous aurons notre tour, et nous espérons toujours revoir Cirey, avant d'habiter le palais de la pointe de l'Île [ii]. Nous les verrons bien tard, ce Cirey et ce Champbonin, hélas ! Nous avons acheté des meubles à Bruxelles, c'est la transmigration de Babylone. Je ne suis pas trop content de mon séjour dans ce pays-là. Je m'y suis ruiné ; et pour dernier trait, les commis de la douane ont saisi des tableaux qui m'appartiennent. Il y a , comme vous savez, beaucoup de princes à Bruxelles, et peu d'hommes. On entend à tout moment Votre Altesse, Votre Excellence . Mme du Châtelet ne sera princessse que quand sa généalogie sera imprimée [iii]: mais fût-elle bergère, elle vaut mieux que tout Bruxelles. Elle est plus savante que jamais, et si sa supériorité lui permet encore de baisser les yeux sur moi, ce sera une belle action à elle, car elle est bien haute. Il faut qu'elle cligne les yeux en regardant en bas pour me voir. On va souper. Adieu , cher gros chat. J'embrasse vos pattes de velours. »

iA Cideville, le 25, de Paris, V* parle de tous ces grands imbéciles » qui « ne parlent que de feux d'artifice et de fusées volantes » offerts en l'honneur « d'une Madame et d'un Infant qu'ils ne verront jamais », à savoir les fiançailles de Louise-Elisabeth de France avec le fils de Philippe V d'Espagne et futur duc de Parme.

ii L'hôtel Lambert que les du Châtelet auraient acheté ; cf. lettre à Helvétius du 21 mars 1739.

iii Quand elle aura gagné son procès, quand les du Châtelet seront reconnus héritiers du marquis de Trichâteau, une petite principauté près de Clèves faisant partie de la succession ; cf. lettre à Champbonin de juin 1739, et à Frédéric le 25 avril.

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