06/10/2010
on irait s'imaginer que les dames qui se tuent à six mille lieues d'ici font la satire de celles qui vivent à Paris
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« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine
A Colmar, 6 octobre 1754.
Ma chère nièce,je pense que c'est bien assez que mes trois magots [i] vous aient plu. Mais ils pourraient déplaire à d'autres personnes ; et quoique ni vous ni elles ne soyez pas absolument disposées à vous tuer avec vos maris, cependant il pourrait se trouver des gens qui feraient croire que toutes les fois qu'on ne se tue pas en pareil cas, on a grand tort ; et on irait s'imaginer que les dames qui se tuent à six mille lieues d'ici font la satire de celles qui vivent à Paris [ii]. Cela serait très injuste ; mais on fait des tracasseries mortelles tous les jours sur des prétextes encore plus déraisonnables.
J'ai prié instamment M. d'Argental de ne me point exposer à de nouvelles peines . Ce qui pourrait résulter d'agrément d'un petit succès serait bien peu de chose, et les dégoûts qui en naîtraient seraient violents. Je vous remercie de vous être jointe à moi pour modérer l'ardeur de M. d'Argental, qui ne connait point le danger quand il s'agit de théâtre. C'en serait trop d'être vilipendé à la fois à l'Opéra et à la Comédie. C'est bien assez que M. Royer m'immole à ses doubles croches.
Ne pourriez-vous point, quand vous irez à l'Opéra, parler à ce sublime Royer [iii], et lui demander au moins une copie des paroles telles qu'il les a embellies par sa divine musique ?[iv] Vous auriez au moins le premier avant-goût des sifflets . C'est un droit de famille qu'il ne peut vous refuser.
Vous ne me dites rien de M. l'abbé [v]. Je le croyais déjà sur la liste des bénéfices . Votre sœur est religieuse dans mon couvent ; cependant si ma santé le permet, nous irons passer une partie de l'hiver à la cour de l'Électeur palatin, qui veut bien m'en donner la permission . Après quoi nous irions habiter une terre assez belle du côté de Lyon qu'on me propose actuellement [vi]. Mais la mauvaise santé est un grand obstacle au voyage de Manheim. J'aimerais mieux sans doute faire celui de Plombières ; si votre estomac vous y ramène jamais, mon cœur m'y ramènera. Votre sœur aura un autre régime que vous : elle n'est pas faite pour prendre les eaux avec régularité.
Adieu, ma chère amie ; il faut espérer que je vous reverrai encore. »
i La tragédie L'Orphelin de la Chine qu'il a réduite à trois actes en août. A d'Argental, le 3 août, il dit, après avoir fait cinq actes : « les cinq pavillons réguliers » étaient « trop froids » ; alors, « il) n'a eu de ressource que d'embellir trois corps de logis ». Finalement la pièce aura cinq actes. Cf. Lettre du 6 février 1755.
http://books.google.be/books?id=izUHAAAAQAAJ&printsec...
ii A d'Argental, le 6 octobre , V* dit craindre qu'on ne fasse « entendre (à Mme de Pompadour) que c'est non seulemement une bravade (car on va jouer Le Triumvirat de Crébillon , protégé de la marquise), mais une offense et une espèce de satire. »
http://fr.wikipedia.org/wiki/Prosper_Jolyot_de_Cr%C3%A9billon
iii Royer a fait remanier par un nommé Sireuil, sans consulter V* qui en est ulcéré, le texte de son ancien opéra Pandore. La représentation ne peut en être empêchée, V* doit se contenter d'écrire à Royer, à Sireuil, à « l'examinateur » de l'ouvrage Moncrif, pour demander que le titre en soit : Prométhée ou Pandore, ouvrage dramatique tiré des fragments de la pièce qui porte ce nom, à laquelle on a fait ajouter les ariettes et les vers convenables au musicien dans l'absence de l'auteur. Dans le même temps il demande à Lambert de réimprimer sa version.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Nicolas_Pancrace_Roye...
iv Après avoir demandé une copie à Royer le septembre, il la recevra le octobre, envoyée par Moncrif. V* sera ulcéré par cette « rapsodie de paroles du Pont-Neuf. »
v Abbé Mignot, frère de Mme de Fontaine et de Mme Denis.
vi On lui a proposé le château d'Allaman au nord du Léman.
http://www.swisscastles.ch/Vaud/chateau/rochefort.html...
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