02/11/2010
On nous exagère de petits succès et on nous accable de grands impôts
« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg
Ile Jard à Strasbourg.
Aux Délices 1er novembre [1758]
Il me parait, Madame, qu'on passe sa vie à voir des révolutions. L'année passée au mois d'octobre le roi de Prusse voulait se tuer [i]. Il nous tua au mois de novembre [ii]. Il est détruit cette année en octobre [iii], nous verrons si nous serons battus le mois prochain. On appelle victoires complètes des actions qui sont des avantages bien médiocres [iv], on chante des Te Deum quand à peine il y a de quoi chanter un De profundis. On nous exagère de petits succès et on nous accable de grands impôts. On dit le monarque portugais blessé à l'épaule [v], le monarque espagnol blessé au cerveau [vi], le roi ou soi-disant tel, de Suède, gardé à vue [vii], et celui de Pologne buvant et mangeant à nos dépens tandis que les Prussiens boivent et mangent encore aux dépens des Saxons [viii]. Des autres rois, je n'en parle pas. Portez-vous bien, madame, et voyez d'un œil toujours tranquille la sanglante tragédie et la ridicule comédie de ce monde.
Je tremble toujours que quelque balle de fusil ne vienne balafrer le beau visage de monsieur votre fils à qui je présente mes respects.
Avez-vous le bonheur de posséder Mme de Broumath ?[ix]
Voulez-vous bien permettre, madame, que je mette dans ce paquet un petit billet pour Collini [x] qui vous est attaché ? Pardonnez cette liberté grande. En voici encore une autre. Je vous demande en grâce quand vous enverrez à Strasbourg de vouloir bien dire au coureur qu'il aille chemin faisant laver la tête au banquier Turkeim [xi] et lui signifier que je meurs de faim s'il ne songe pas à moi.
Pardon , Madame, mais dans l'occasion on a recours à ce qu'on aime.
Mille tendres respects.
V. »
i Cf. lettre de consolation de V* à Frédéric le 15 octobre 1757.
ii Le 5 novembre à Rossbach.
iii Le 14 octobre, victoire des Autrichiens à Hochkirchen.
iv On retrouve ici les termes du joueur d'échecs .
v Attentat du 4 septembre.
vi Thiriot écrivit : « l'esprit attaqué d'affaiblissement » et ajouta qu'on lui conseillait d'abdiquer ; Ferdinand VI dit le Sage mourut fou en août 1759.
vii Il était surveillé de près par les États.
viii Auguste III, roi de Pologne, Électeur de Saxe, pays envahi en août 1756 par les Prussiens.
ix Mme Zuckmantel de Brumath, dame de Bouxières.
x V* qui s'était séparé de Collini, son secrétaire, essayait d'obtenir pour lui une place chez l'Électeur palatin et de l'aider à se faire rembourser l'argent qu'on lui avait pris à Francfort lors de leur arrestation en 1753. Dans le billet joint, il lui demandait aussi de « passer chez Turkeim ».
xi Banquier de Strasbourg chargé de verser à V* les intérêts de l'argent prêté au duc de Wurtemberg.
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