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03/12/2010

Plus vous serez gai, plus longtemps vous vivrez

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 « A Frédéric II, roi de Prusse

 

A Ferney, ce 6 décembre [1771]

 

Sire,

 

Je n'ai jamais si bien compris qu'on peut pleurer et rire dans le même jour. J'étais tout plein et tout attendri de l'horrible attentat commis contre le roi de Pologne i, qui m'honore de quelque bonté. Ces mots qui dureront à jamais : Vous êtes pourtant mon roi, mais j'ai fait serment de vous tuer ii m'arracheraient des larmes d'horreur, lorsque j'ai reçu votre lettre et votre très philosophique poème iii qui dit si plaisamment les choses du monde les plus vraies. Je me suis mis à rire malgré moi, malgré mon effroi et ma consternation. Que vous peignez bien le diable et les prêtres, et surtout cet évêque, premier auteur de tout le mal !iv


Je vois bien que quand vous fîtes ces deux premiers chants, le crime infâme des Confédérés n'avait point encore été commis. Vous serez forcé d'être aussi tragique dans le dernier chant que vous avez été gai dans les autres, que Votre Majesté a bien voulu m'envoyer v. Malheur est bon à quelque chose, puisque la goutte vous a fait composer un ouvrage si agréable vi: depuis Scarron, on ne faisait point de vers si plaisants au milieu des souffrances. Le roi de la Chine ne sera jamais si drôle que Votre Majesté vii, et je défie Moustapha d'en approcher.

 

N'ayez plus la goutte, mais faites souvent des vers à Sans-Souci dans ce goût-là. Plus vous serez gai, plus longtemps vous vivrez : c'est ce que je souhaite passionnément pour vous, pour mon héroïne viii, et pour moi chétif.

 

Je pense que l'assassinat du roi de Pologne lui fera beaucoup de bien. Il est impossible que les Confédérés, devenus en horreur au genre humain, persistent dans une faction si criminelle. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que la paix de la Pologne peut naitre de cette exécrable aventure.

 

Je suis fâché de vous dire que voilà cinq têtes couronnées assassinées en peu de temps ix dans notre siècle philosophique. Heureusement, parmi tous ces assassinats, il se trouve des Malagrida x, et pas un philosophe. On dit que nous sommes des séditieux ; que sera donc l'évêque de Kiovie xi? On dit que les conjurés avaient fait serment sur une image de la Sainte Vierge, après avoir communié. J'ose supplier instamment Votre Majesté, si ingénieuse et si diabolique xii, de daigner m'envoyer quelques détails bien vrais de cet étrange évènement xiii, qui devrait bien ouvrir les yeux à une partie de l'Europe. Je prends la liberté de recommander à vos bontés l'abbaye d'Oliva xiv. Je me mets à vos pieds (pourvu qu'ils n'aient plus la goutte) avec le plus profond respect et le plus grand ébahissement de tout ce que je viens de lire. »

 

 

 

i Stanislas-Auguste Poniatowski a été victime d'un attentat le 3 novembre 1771 ; il fut seulement blessé, et selon les historiens, par hasard .Il se serait agi seulement de le déposer et pour cela de l'enlever. V*, le 3 décembre lui envoya ses « vœux pour (sa) conservation et pour (son) bonheur. »

 

ii Serment fait à la Vierge ; cf. note xiii

 

iii   La Guerre des Confédérés, poème imité de La guerre civile de Genève de V* et destiné à « peindre les folies des Confédérés, ... les sottises d'un Krasinski, d'un Potocki, d'un Oginski ... » comme dit Frédéric le 18 novembre.

Les Confédérés sont des Polonais catholiques hostiles à l'égalité des Dissidents (non catholiques) hostiles à l'intervention politique et armée de Catherine II dans les affaires polonaises et au roi Stanislas qu'elle a contribué à mettre en place.

 

iv    Dans le Chant I de son poème, Frédéric écrit : « Tout vieux démon est l'intime des prêtres ;/ .../ Tel parut-il (le diable) jouant la comédie, / Mais qui devint fatale tragédie, / ... Voir : Page 196 et suivantes : http://books.google.be/books?id=6cxWAAAAMAAJ&pg=PA463...

Au Chant II : « ... les seigneurs s'assemblèrent, / Parmi ces chefs éclatait Krasinsky,/ Malakowski, le vaillant Potocki... » : Page 204, etc .

 

v    Le 12 janvier 1772, Frédéric répondra : « Il était vrai que mon poème était achevé lorsque cet attentat se commit ; je ne le jugeais pas propre à entrer dans un ouvrage où règne d'un bout à l'autre un ton de plaisanterie et de gaieté ; cependant je n'ai pas voulu, non plus , passer cette horreur sous silence, et j'en ai dit deux mots, en passant, au commencement du chant cinquième ... J'ai poussé la licence plus loin ; car , quoique la guerre dure encore, j'ai fait la paix d'imagination pour finir... Vous verrez par le troisième et quatrième chant que je vous envoie, qu'il n'était pas possible de mêler des faits graves avec tant de sottises... »

 

vi    Une crise de goutte de cinq semaines a « donné le temps de rimer et de corriger tout à son aise » à Frédéric.

 

vii     Allusion au poème de Kien Long, Éloge de la ville de Moukden ... et à l'épître-simulation que Frédéric a alors écrite à V* « de la part du roi de la Chine » ; cf. lettre à Frédéric du 20 décembre 1770.

 

viii  Catherine II.

 

 

ix    Louis XV : attentat de Damiens en janvier 1757 ; Joseph de Portugal : 1758 ; Pierre III de Russie : juillet 1762 ;Ivan de Russie : juillet 1764; Stanislas de Pologne : 1770.

 

x   Des jésuites, comme Malagrida, avaient été impliqués dans l'attentat contre le roi de Portugal, Malagrida fut relâché. Cf. lettre du 10 février 1759 aux Cramer.

 

xi   Sans doute Zaluski, un des instigateurs des Confédérés, dont parle Frédéric dans son poème , sans le nommer.

 

xii   Le 18 novembre, en envoyant son poème, Frédéric écrit :  « sur les folies des Confédérés » soutenus par le pape : « comme je suis un hérétique excommunié une fois pour toutes, j'ai bravé les foudres du Vatican. »

 

xiii    Frédéric répond le 12 janvier : « L'horrible attentat entrepris et manqué contre le roi de Pologne s'est passé 'à la communion près) de la manière dont il est détaillé dans les gazettes. Il est vrai que le misérable qui a voulu assassiner le roi de Pologne en avait prêté le serment à Pulawski maréchal de confédération, devant le maitre-autel de la Vierge, à Czenstochow. Je vous envoie les papiers publics, qui peut-être ne se répandront pas en Suisse... ». « Le corps de la Confédération n'agît pas par système. Ce Pulawski ... est proprement l'auteur de la conspiration tramée contre le roi de Pologne. Il a été page du prince Charles de saxe et c'était pour placer ce prince sur le trône qu'il a tramé cet horrible complot. Les autres Confédérés rejettent ce prince ... les uns y veulent placer le landgrave de Hesse, les autres l'Électeur de Saxe, d'autres encore le prince de Teschen. Tous ces partis différents ont ... de la haine l'un pour l'autre. » En effet, les ambitions personnelles et les rivalités y sont importantes.

 

xiv     Riche abbaye près de Dantzig dont l'abbé était par tradition un gentilhomme prussien jusqu'alors nommé par le roi de Pologne.  

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