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19/01/2011

Je maudis Ferney quatre mois de l'année au moins, mais je ne puis le quitter, je suis enchaîné à ma colonie.

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

19è janvier 1771

 

Mon cher ange,j'ai dit au jeune homme i que la fin de son deuxième acte était froide, et je l'en ai fait convenir. C'est une chose fort plaisante que la docilité de cet enfant. Il s'est mis sur la champ à faire un nouvel acte. Je vous l'enverrais aujourd'hui s'il ne travaillait pas les autres.

 

Quand je vous dis que vous n'avez rien perdu ii, j'entends que vous conservez votre place, votre belle maison de Paris, et que vous allez au spectacle tant qu'il vous plait. Pour moi, je vous ai donné des spectacles, et je ne les ai point vus. J'ai établi une colonie, et je crains bien qu'elle ne soit détruite iii. Les fermiers généraux la persécutent, personne ne la soutiendra. Je ne suis pas même à portée de solliciter la restitution de mon propre bien qu'on s'est avisé de me prendre sans aucune forme de procès iv. Voilà comme j'entends que je perds, et malheureusement je perds aussi la vue. Je suis enseveli dans les neiges qui m'ont arraché les yeux par l'âcreté de l'air qu'elles apportent avec elles. Je maudis Ferney quatre mois de l'année au moins, mais je ne puis le quitter, je suis enchaîné à ma colonie.

 

J'ai bien envie de vous envoyer pour votre amusement une grande lettre en vers que j'ai écrite au roi de Dannemark sur la liberté de la presse qu'il a donnée dans tout son royaume v: bel exemple que nous sommes bien loin de suivre. Vous l'aurez dans quelques jours ; on ne peut pas tout faire à la fois surtout quand on souffre.

 

Je vous prie de vouloir bien me mander s'il est vrai qu'un homme de considération qui écrivit le 23è décembre à un de ses anciens amis vi, lui manda qu'il l'aurait envoyé voyager plus loin sans madame sa femme qui est fort délicate.

 

Au reste, cette dame a encore plus de délicatesse dans l'esprit que dans la figure, et à cette délicatesse se joint une grandeur d'âme singulière qui n'est égalée que par la bonté de son cœur.

 

Est-il vrai, comme on le dit, que monsieur et madame sont endettés de deux millions vii?

 

Est-il vrai qu'on leur ait offert douze cent mille francs le jour de leur départ viii?

 

Reçoivent-ils des visites ? Comment se porte votre ami de trente-cinq ans ix? Son séjour est bien beau, mais il est bien triste en hiver.

 

Pouvez-vous me dire ce que devient M. de La Ponce x? Vous me direz que je suis un grand questionneur mais vous répondrez ce qu'il vous plaira, on ne vous force à rien.

 

Conservez votre santé, mes deux anges; c'est là le grand point . Je sens ce que c'est que de n'en avoir point ; c'est être damné au pied de la lettre . Je mets ma misère à l'ombre de vos ailes.

 

V. »

 

 

ii Consécutivement à la disgrâce de Choiseul.

 

iii V* dit que Choiseul avait promis d'exempter sa colonie d'impôts ; cf. lettre du 22 juin 1770 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/06/24/q...

ou page 96 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80040v/f101.image.p...

 

 

iv Rappel de l'argent des rescriptions que les édits de l'abbé Terray lui ont fait perdre.

 

v Epître au roi de Danemark Christian VII sur la liberté de la presse accordée dans tous ses Etats.

http://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89p%C3%AEtre_109

 

vi Etienne-François de Choiseul, comte de Stainville, puis duc de Choiseul, avait reçu l'ordre du roi de se retirer à Chanteloup jusqu'à nouvel ordre .http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tienne_Fran%C3%A7ois_d...

 

vii Ce qui est vrai .

 

viii  Le roi ayant accordé trois millions à Choiseul pour payer ses dettes, cette somme ne fut jamais versée.

 

ix César-Gabriel de Choiseul-Chevigny , marquis de Choiseul, puis duc de Praslin exilé à Praslin.

 

x Secrétaire du duc E.-F. de Choiseul .

 

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