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04/02/2011

Je vous avertis que cette postérité a l'œil sur vous, quoique vous soyez continellement occupé du présent

 Pour le contraste avec les fauteuils de l'Académie, si confortables qu'ils soient, je préfère les bancs publics :

http://www.deezer.com/listen-917425

 

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 Mon esprit, qui n'en est plus à une gaffe près, soupçonne Volti d'avoir, in petto, pensé la denière phrase de sa lettre telle que je vous la livre, insolemment : "le très vieux et très raillé solitaire du mont Jura, ... qui en est pour son culte".

Vu son esprit de répartie qui ne craint pas d'appeler un chat, un chat, je vous mets au défi de certifier, -croix de bois, croix de fer,- que ma version ne peut exister ! 

 

 

 

« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu

 

4è février 1771, à Ferney

 

Mon héros passe sa vie à m'accabler de bontés et de niches . On i me mande qu'il est à la tête d'une faction brillante contre M. Gaillard ii. Je le supplie de descendre un moment du grand tourbillon dans lequel il plane pour considérer que M. Gaillard travaille au Journal des savants depuis vingt quatre ans ; qu'il a remporté des prix à l'Académie ; qu'il a fait l'Histoire de François Ier iii laquelle est très estimée, et qu'il n'a fait ni Les Fétiches, ni les Terres australes iv.

 

Je supplie notre respectable doyen, le neveu de notre fondateur, de ne pas contrister à ce point ma pauvre vieillesse toute décrépite. Je sais bien qu'il ne fera que rire de mes lamentations, et qu'il se moquera de moi jusqu'au dernier moment de ma vie . Mon héros est très capable de me venir voir, et de m'accabler de plaisanteries. Il daigne m'aimer depuis longtemps, et me tourner parfois en ridicule . Je suis accoutumé à son jeu, et il sait que je supporte la chose avec une patience angélique.

 

Il me reproche toujours des chimères, des préférences qu'il imagine v, des négligences qui n'existent pas, et sur ce beau fondement il mortifie son très humble et très obéissant serviteur.

 

L'Europe croit que j'ai beaucoup de crédit sur l'esprit de mon héros ; l'Europe se trompe, et je lui certifierai quand elle voudra que je n'en ai aucun, et qu'il passe sa vie à se moquer de moi . Cependant, il faut qu'il soit juste.

 

Là, mon héros, mettez la main sur la conscience . Vous avez fait serment devant Dieu de donner votre voix au plus digne, sans écouter la brigue et les cabales . Jugez quel est le plus digne, et songez à ce que dira de vous la postérité si vous me bafouez dans cette affaire de droit ! Je vous avertis que cette postérité a l'œil sur vous, quoique vous soyez continellement occupé du présent. Je me plaindrai à elle comme font tous les mauvais poètes, et toute prévenue qu'elle est en votre faveur, elle me rendra justice. Ne désepérez point le très vieux et très raillé solitaire du mont Jura, qui vous a toujours aimé et révéré du culte de dulie vi, et qui en est pour son culte.

 

V. »

 

i D'Alembert.

ii Pour l'élection à l'Académie française.

iii Histoire de François Ier, roi de France, 1766-1769. http://books.google.be/books?id=a1E2AAAAMAAJ&printsec...

Elu en 1771, Gabriel-Henri Gaillard , fauteuil 22.

iv Qui sont des œuvres du président De Brosses, qui semble être soutenu par Richelieu ; cf. lettre à d'Alembert du 10 décembre 1770 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/09/s...

v Pour d'Argental notamment.

vi = « culte de respect et d'honneur, par opposition au culte de latrie, qu'on rend à Dieu seul. » ; dulie qui donne "aduler", latrie qui donne 'idolatrie".

 

 

 

 

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