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26/02/2011

Je ne sais pas ce qui est arrivé à notre nation, qui donnait autrefois de grands exemples en tout

Cette note datée du 26 février a été en fait mise en ligne le 13 mars . Son titre confirmé par l'actualité à cette date, l'était aussi le 26 février .

Je l'ai écrit en écoutant d'une oreille (oui, une seule suffit pour certaines choses) à la limite de la distraction M. Coppé/Copain-de-qui-vous savez, qui brasse beaucoup de vent pour défendre son beau parti de l'Union des Mauvais Perdants .

Sachez qu'à cette heure-ci, je n'ai pas poursuivi l'écoute de ce débat, qui selon la vedette citée, est le principal sujet de préoccupation des Français .

Pas un mot sur tous ceux qui dès le 15 mars vont se retrouver sur le pavé, le droit à l'expulsion arrivant à échéance . Que n'avons-nous une loi d'expulsion pour périodiquement, annuellement,  éliminer des politiciens sans intérêt !

 

 

 

« A Catherine II ,impératrice de Russie



26è février 1769,à Ferney i



  Cette belle et noire pelisse

Est celle que perdit le pauvre Moustapha,

Quand notre brave impératrice

De ses musulmans triompha ;

Et ce beau portrait que voilà,

C’est celui de la bienfaitrice

Du genre humain qu’elle éclaira.

 

         Voilà ce que j’ai dit, Madame, en voyant le cafetan dont votre majesté impériale m’a honoré, par les mains de M. le prince Kouslowsky, capigi bachi de vos janissaires, et surtout cette boite tournée de vos belles et augustes mains, et ornée de votre portrait ii.

 

Qui le voit et qui le touche

Ne peut borner ses sens à le considérer ;

Il ose y porter une bouche

Qu’il n’ouvre désormais que pour vous admirer.

 

         Mais quand on a su que la boite était l’ouvrage de vos propres mains, ceux qui étaient dans ma chambre ont dit avec moi :

 

Ces mains, que le ciel a formées

Pour lancer les traits des Amours,

Ont préparé déjà ces flèches enflammées,

Ces tonnerres d’airain dont vos fières armées

Au monarque sarmate iii assurent des secours ;

Et la Gloire a crié, de la tour byzantine,

Aux peuples enchantés que votre nom soumet :

Victoire à Catherine !

Nazarde à Mahomet !

 

         Qu’est devenu le temps où l’empereur d’Allemagne aurait, dans les mêmes circonstances, envoyé des armées à Belgrade, et où les Vénitiens auraient couvert de vaisseaux les mers du Péloponnèse ? Eh bien ! Madame, vous triompherez seule. Montrez-vous seulement à votre armée vers Kiovie, ou plus loin, et je vous réponds qu’il n’y a pas un de vos soldats qui ne soit un héros invincible. Que Moustapha se montre aux siens, il n’en fera que de gros cochons comme lui.

 

         Quelle fierté imbécile dans cette tête coiffée d’un turban à aigrette ! Tous les rois de l’Europe ne devraient-ils pas venger le droit des gens, que la Porte ottomane viole tous les jours avec un orgueil si grossier iv ?

 

         Ce n’est pas assez de faire une guerre heureuse contre ces barbares, pour la terminer par une paix telle quelle ; ce n’est pas assez de les humilier, il faudrait les détruire v. Un homme à idées neuves vi me disait il y a quelques jours qu'on pourrait aisément dans les vastes plaines où vos troupes vont marcher se servir avec succès des anciens chariots de guerre en les rectifiant . Il imaginait des chars à deux timons bordés à leur extrémité d'un large chanfrein qui couvrirait le poitrail des chevaux . Chaque char très léger serait conduit par deux fusiliers postés derrière le char sur une soupente . Ces chars précéderaient la cavalerie . Ce spectacle étonnerait les Turcs, et tout ce qui étonne subjugue . Ce qui ne vaudrait rien dans un pays entrecoupé ou montagneux pourrait être merveilleux en plaine, au moins pour une campagne . L'essai coûterait fort peu de chose . Il pourrait beaucoup servir sans nuire . Voila ce que me disait mon songe-creux . Et je le répète à l'héroïne de notre siècle . Elle en jugera d'un coup d'œil . Elle pourra en rire, mais elle pardonnera au zèle .



Pendant qu'elle se prépare contre le Turc elle forme un corps de loi . Je lis votre Instruction vii et je n'interromps ma lecture que pour achever ma lettre . Madame, Numa et Minos auraient signé viii votre ouvrage, et n'auraient pas été peut-être capable de le faire . Cela est net, précis, équitable, ferme, et humain. Soyez sûre que personne n’aura dans la postérité un plus grand nom que vous . Mais, au nom de Dieu, battez les Turcs, malgré le nonce du pape en Pologne, qui est si bien avec eux ix.

 

De tous les préjugés destructrice brillante,

Qui du vrai dans tout genre embrassez le parti,

Soyez à la fois triomphante

Et du saint-Père et du mufti.

 

         Eh ! Madame, quelle leçon Votre Majesté Impériale donne à nos petits-maîtres français, à nos sages maîtres de Sorbonne, à nos Esculapes des écoles de médecine x! Vous vous êtes fait inoculer, avec moins d’appareil qu’une religieuse ne prend un lavement. Le prince impérial a suivi votre exemple. M. le comte Orlof va à la chasse dans la neige, après s’être  fait donner la petite-vérole : voilà comme Scipion en aurait usé, si cette maladie, venue d’Arabie, avait existé de son temps.

 

         Pour nous autres, nous avons été sur le point de ne pouvoir être inoculés que par arrêt du parlement. Je ne sais pas ce qui est arrivé à notre nation, qui donnait autrefois de grands exemples en tout ; mais nous sommes bien barbares en certains cas, et bien pusillanimes dans d’autres.

 

         Madame, je suis un vieux malade de soixante et quinze ans. Je radote peut-être, mais je vous dis au moins ce que je pense ; et cela est assez rare quand on parle à des personnes de votre espèce. La majesté impériale disparaît sur mon papier devant la personne. Mon enthousiasme l’emporte sur mon profond respect. Je révère la législatrice, la guerrière, la philosophe . Je prends la liberté de mettre dans ce paquet des niaiseries indignes d'elle . J'ai ramassé sur-le-champ ce que j'ai pu . S'il paraît quelque chose qui puisse l'amuser, comment pourrai-je l'envoyer ? Est-ce par la poste ? Mais je serai mort d'étisie xi avant d'avoir reçu vos ordres . Battez les Turcs , et je meurs content xii.



Vous n'avez que faire, Madame, des formules ordinaires des lettres . Votre Majesté Impériale est de toute façon trop au dessus du profond respect du vieil ermite .



P.-S. : Ce vieux habitant des Alpes qui osa se présenter l'année passée à Votre Majesté Impériale avec son hommage au cou, était en porcelaine . On ne l'émaille point, parce que l'émail cause des reflets qui empêchent de discerner les figures . C'est un art assez agréable et que Votre majesté peut aisément introduire dans les manufactures, avec tous les autres arts qu'elle fait naître . Mais le premier des arts est d'apprendre à vivre à Moustapha .»

 

 

i Ce texte est celui de la minute autographe de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris ; y compris la page et demie (jusqu'à « pardonnera au zèle ») barrée sur le manuscrit ; et compte tenu des corrections de V* . Nous avons ici le texte non corrigé pour le passage : « pendant qu'elle se prépare ... auraient signé », la correction étant destinée à compenser l'absence de la page et demie barrée qui figure ici . Pour la formule et le post scriptum qui figuraient certainement sur la dernière page qui manque dans cette minute, ici est mis le texte du manuscrit conservé à Moscou .

 

ii  Le 15 mars, dans La Correspondance littéraire, on lit que fin février, le prince Kouslowski a apporté à V* de la part de l'impératrice , « une boite ronde d'ivoire à gorge d'or, artistement travaillée et tournée de la propre main de l'impératrice ... enrichie du portrait de Sa majesté ... entouré de superbes diamants » et « une pelisse magnifique », « accompagnés d'une traduction française du Code de Catherine II, d'un journal manuscrit de l'inoculation de cette auguste souveraine, et d'une lettre ... » ; le journaliste ajoute : « on prétend que cette ambassade impériale a rajeuni le patriarche de dix ans ... M. Huber ... a envoyé à l'impératrice le tableau de la réception de l'ambassade impériale ... »

 

iii Au roi de Pologne .

 

iv Choiseul, au contraire, inquiet de l'intervention armée de Catherine en Pologne, avait poussé le sultan à déclarer la guerre à la Russie en octobre 1768. Ayant arraché du résident russe l’aveu que, malgré des promesses réitérées, l’impératrice n’avait pas encore donné à ses troupes l’ordre d’évacuer la Pologne, le sultan l’avait fait enfermer aux Sept-Tours et avait déclaré qu’il allait entrer en campagne avec cinq cent mille hommes .

 

v V* a atténué le terme par la suite, remanié lors de la publication . La guerre dura jusqu'en 1774 et les Turcs furent battus .

 

vi V* avait envoyé à l’impératrice, dans cette même lettre, un mémoire d’un officier français, Florian, futur époux de sa nièce Marie-Elisabeth,, qui proposait de renouveler dans la guerre des Turcs l’usage des chars de guerre, absolument abandonné par les anciens depuis l’époque de la guerre Médique . V* avait proposé ce char à la France lors de la Guerre de Sept ans, on avait fait une maquette au ministère de la Guerre, mais sans suite .

Voir lettre à Mme de Fontaine du 3 avril 1757 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/04/03/j...

 

vii L'Instruction de Sa Majesté Impériale Catherine II pour la commission chargée de dresser le projet d'un nouveau code de lois.

Voir page 6 : http://www.ac-paris.fr/portail/upload/docs/application/pd...

 

viii Le passage après correction : «  Madame, quoi ! Pendant que votre majesté impériale se prépare à battre le grand-turc, elle forme un corps de lois chrétiennes. Je lis l’Instruction préliminaire qu’elle a eu la bonté de m’envoyer. Lycurgue et Solon auraient signé votre ouvrage, et n’auraient pas été capables de le faire. Cela est net, précis, équitable, ferme, et humain. Les législateurs ont la première place dans le temple de la gloire, les conquérants ne viennent qu’après. »

 

ix Voir Essai sur les dissensions des Églises de Pologne : « Les plus ardents catholiques (polonais) ayant le nonce du pape à leur tête, implorèrent l'Église des Turcs contre la grecque et la protestante », à savoir contre les Dissidents polonais et les Russes qui les soutenaient . Le nonce du pape en Pologne pensait qu'une guerre des Turcs contre la Russie obligerait Catherine à retirer ses troupes de Pologne, et aiderait ainsi les Confédérés catholiques polonais .

 

xAutre version : « à notre ridicule Sorbonne, à nos charlatans disputeurs dans les écoles de médecine ! »

 

xi De phtisie = tuberculose .

 

xii Le texte de « je révère » à « content » est barré dans le manuscrit.

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