27/02/2011
je ne croirais pas cette bêtise, si celles de mon pays ne m’y avaient préparé.
Il est parfois difficile de faire partie du "modèle" français, aujourd'hui comme hier !
En matière d'éducation, regardons du côté de l'étoile du nord .
« A Catherine II, impératrice de Russie
A Ferney, 27 Février.
Madame,
Votre Majesté Impériale daigne donc me faire juge de la magnanimité avec laquelle elle prend le parti du genre humain i. Ce juge est trop corrompu et trop persuadé qu’on ne peut répondre que des sottises tyranniques à votre excellent mémoire. Ne pouvoir jouir des droits de citoyen ii parce qu’on croit que le Saint-Père ne procède que du Père me paraît si fou et si sot, que je ne croirais pas cette bêtise, si celles de mon pays ne m’y avaient préparé. Je ne suis pas fait pour pénétrer dans vos secrets d'État ; mais je serais bien attrapé si Votre Majesté n’était pas d’accord avec le roi de Pologne iii ; il est philosophe, il est tolérant par principe ; j’imagine que vous vous entendez tous deux, comme larrons en foire, pour le bien du genre humain, et pour vous moquer des prêtres intolérants.
Un temps viendra, Madame, je le dis toujours, où toute la lumière nous viendra du Nord : Votre Majesté Impériale a beau dire, je vous fais étoile, et vous demeurerez étoile. Les ténèbres cimmériennes resteront en Espagne ; et à la fin même elles se dissiperont. Vous ne serez ni ognon, ni chatte, ni veau d’or, ni bœuf Apis ; vous ne serez point de ces dieux qu’on mange, vous êtes de ceux qui donnent à manger. Vous faites tout le bien que vous pouvez au-dedans et au dehors. Les sages feront votre apothéose de votre vivant ; mais vivez longtemps, Madame, cela vaut cent fois mieux que la divinité ; si vous voulez faire des miracles, tâchez seulement de rendre votre climat un peu plus chaud. A voir tout ce que Votre Majesté fait, je croirai que c’est pure malice à elle, si elle n’entreprend pas ce changement : j’y suis un peu intéressé ; car, dès que vous aurez mis la Russie au trentième degré, au lieu des environs du soixantième, je vous demanderai la permission d’y venir achever ma vie, mais, en quelque endroit que je végète, je vous admirerai malgré vous, et je serai avec le plus profond respect, Madame, de Votre Majesté Impériale, etc. »
i Dans son Manifeste sur les Dissensions de la Pologne, Catherine invoquait le « Devoir sacré de l’humanité ».
ii C’était ce que les catholiques polonais prétendaient imposer aux dissidents.
iii Stanislas Poniatowski, ancien amant de Catherine.
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